D’anciens responsables politiques en France et en Italie face à la justice pour leur gestion de la crise sanitaire
La mise en examen de l’ancienne ministre française de la Santé Agnès Buzyn pour sa gestion de la crise sanitaire résonne comme un coup de semonce pour les responsables politiques. En ont-ils fait trop ou pas assez? Ont-ils commis des erreurs? La justice italienne tente aussi de relever le défi.
Pour les politiques ayant dû gérer la plus grande catastrophe sanitaire du siècle, le temps des condamnations judiciaires se profile-t-il déjà alors que l’épidémie n’est pas encore finie? La mise en examen, le 10 septembre, de l’ancienne ministre française de la Santé, Agnès Buzyn, a résonné comme un tir de sommation. D’autant que les préventions retenues ne sont pas anodines, qui plus est pour la médecin qu’elle fut avant d’entrer en politique: « mise en danger de la vie d’autrui » du fait de sa gestion de la crise sanitaire et, en tant que témoin assisté, « abstention volontaire de combattre un sinistre ». L’inculpation émane de la Cour de justice de la république (CJR), habilitée en France à juger des ministres pour des faits commis dans l’exercice de leur fonction, et dont Emmanuel Macron avait dit vouloir la suppression dès 2017 en raison du caractère obsolète de cette juridiction d’exception. La CJR compte quinze juges, six députés, six sénateurs et trois juges du siège de la Cour de cassation.
Tout le monde sait que cette crise était absolument inédite. Tous les gouvernements européens ont tâtonné.
D’autres responsables politiques pourraient se voir pareillement mis en examen: le Premier ministre en fonction au début de l’épidémie, Edouard Philippe, et l’actuel ministre de la Santé, Olivier Véran. Mais le cas d’Agnès Buzyn pourrait revêtir un aspect singulier en raison, notamment, du décalage entre ses propos publics, qui tendaient à minimiser la menace du risque sanitaire venu de Chine, et ses déclarations au quotidien Le Monde, une fois sortie de charge en juin 2020, où elle affirmait: « Quand j’ai quitté le ministère, je pleurais parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous. »
La saga judiciaire lancée intervient en période de précampagne électorale pour la présidentielle de 2022. Et cette concomitance est susceptible d’inquiéter la majorité. Elle s’en défend officiellement mais met en garde. Le Premier ministre Jean Castex, par exemple, a évoqué le risque d’une inaction préventive des gouvernants: « Il faut à tout prix éviter […] que la paralysie guette l’action des pouvoirs publics au moment où, au contraire, on a besoin des décisions pour faire face à des crises. » Mais l’opposition qui voudrait exploiter les déboires judiciaires des ministres ne serait pas nécessairement à l’abri. L’eurodéputé français Raphaël Glucksmann (Place publique, allié au Parti socialiste) l’illustre à sa façon en dénonçant l’attitude d’une certaine opposition prompte à clamer qu’elle aurait mieux géré la crise si elle avait été au pouvoir. « Cela décrédibilise totalement notre parole parce que tout le monde sait que cette crise était absolument inédite et que tous les gouvernements européens ont tâtonné. Cela étant, si des erreurs ont été commises, il faut rendre compte. »
L’Italie « pionnière »
Le sort d’Agnès Buzyn renvoie aussi au parcours auquel ont été soumis, dès le printemps 2020, plusieurs hauts responsables en Italie. Premier pays européen à avoir été frappé par la violence épidémique, la Péninsule a aussi été la première nation à ouvrir la voie à un rigoureux examen judiciaire des stratégies sanitaires mises en place par les autorités pour combattre la Covid. Les principaux dirigeants qui ont été visés par les magistrats chargés des enquêtes sont l’ancien président du Conseil, Giuseppe Conte, des ministres de son gouvernement, dont le ministre de la Santé, Roberto Speranza, encore en fonction, mais aussi des représentants régionaux de la Lombardie, territoire cruellement touché par la première vague de contaminations.
Omissions, erreurs, sous-estimations du risque mais aussi un prétendu « excès de zèle » ayant amené, selon certaines plaintes, à d’excessives restrictions sur le plan national: le travail des enquêteurs s’est avéré titanesque et le processus judiciaire sera certainement long et complexe. Le 8 juillet dernier a ainsi eu lieu, à Rome, la première audience du procès civil intenté contre les autorités par des centaines de familles de victimes de la région de Lombardie. Un réquisitoire de 2 099 pages, comprenant enquêtes judiciaires et journalistiques, documents officiels, histoires personnelles, chiffres et analyses ponctuelles des faits, a été préparé. Parallèlement au travail mené sur le plan pénal par le parquet de la ville de Bergame, qui enquête sur les raisons de l’hécatombe qui a frappé la province, dans la capitale se joue la question des réparations financières réclamées par les proches des victimes. Les autorités sont accusées d’avoir tardé à fermer l’hôpital d’Alzano, l’un des premiers foyers épidémiques nationaux, laissé le virus se propager, mais aussi d’avoir fondé leurs stratégies sur un plan pandémique national qui n’était apparemment pas mis à jour depuis 2006.
Vaccination mise en cause
« Nous assumons toute la responsabilité des décisions que nous avons prises dans l’urgence, alors que nous étions dépourvus de lignes directrices et de plan d’action », a déclaré Giuseppe Conte. Son exécutif a été accusé d’avoir été incapable d’anticiper la crise mais aussi d’avoir commis des erreurs fatales dans la tentative de maîtriser la propagation du virus. « Ils n’ont pas isolé la Lombardie quand il était impératif de le faire et ils ont paralysé les activités économiques dans le reste du pays lorsque ce n’était pas nécessaire », a souvent répété Matteo Salvini, leader de la Ligue, dans l’opposition.
Cette douloureuse page judiciaire en cours n’est pourtant pas la seule héritée de la pandémie. La saison des procédures légales à la suite des décès liés à la campagne vaccinale risque de commencer bientôt. Certains parquets du pays, à commencer par celui de la ville de Gênes, s’organisent. Les magistrats attendent les rapports médicaux sur des morts suspectes ayant suivi la vaccination et des mises en examen ne sont désormais pas exclues.
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