En Afghanistan, les talibans font face à un nouveau défi: le pouvoir
La retraite de Kaboul des Américains n’a pas été glorieuse. Mais la situation qu’eux et leurs alliés afghans laissent au nouveau pouvoir ne promet pas des lendemains heureux. Entre les sanctions internationales, l’économie moribonde et la guerre promise par l’Etat islamique, comment faire fonctionner le pays?
En retirant leurs dernières troupes de Kaboul le lundi 30 août, les Etats-Unis ont symboliquement remis aux talibans le pouvoir qu’ils exerçaient en Afghanistan à travers leur soutien au gouvernement et à l’armée. Cette évolution était implicitement inscrite dans l’accord conclu entre les deux parties le 29 février 2020 au Qatar. La débâcle de l’appareil militaire gouvernemental et la puissance de l’offensive des « étudiants en théologie » en ont précipité la traduction sur le terrain, illustrée par la prise de la capitale sans combat le 15 août dernier. Les nouveaux dirigeants afghans se retrouvent désormais devant les défis de la pacification et de la gestion d’un Etat miné par quarante années de guerre.
L’émergence du péril de l’Etat islamique associe, momentanément en tout cas, les Américains et les talibans dans un combat commun.
Le retrait des forces des pays étrangers et l’évacuation de leurs ressortissants et de leurs collaborateurs locaux se sont déroulés dans une confusion certaine, malgré la collaboration tacite entre Américains et talibans. Les tentatives désespérées, du fait de nombreux Afghans, de monter à bord d’avions sur le tarmac et les bousculades meurtrières pour accéder à l’aéroport en vue d’un salut hors du pays ont couronné d’un nouvel épisode raté le fiasco de l’intervention américaine depuis vingt ans. Le 26 août, le double attentat aux portes de l’aéroport, avec le tribut élevé de plus de cent Afghans et de treize militaires américains tués, a situé le défi qui attend les nouveaux dirigeants afghans. Leur « compromission » avec les Américains, leur volonté de reconnaissance internationale et donc leur supposée mollesse doctrinaire en font désormais les ennemis jurés du groupe djihadiste radical de l’Etat islamique au Khorasan qui a revendiqué les attaques. La menace est sérieuse.
Représailles américaines
Malgré ce lourd bilan, le bain de sang auquel les changements de régime ont conduit en 1996 et 2001 n’a pas eu lieu. Le renoncement au pouvoir des anciennes autorités, la reconnaissance de la supériorité de l’ennemi taliban et l’entente entre celui-ci et le mentor américain ont permis ce dénouement. L’émergence du péril de l’Etat islamique associe, momentanément en tout cas, les Américains et les talibans dans un combat commun.
Depuis les attaques du 26 août, les premiers ont usé de leurs moyens technologiques pour, comme l’avait annoncé le président Joe Biden, « faire payer » ses auteurs. Une frappe aurait touché deux responsables de Daech circulant dans son berceau de la province de Nangarhar dans la nuit du 27 au 28 août. Une autre aurait neutralisé un véhicule armé en route vers l’aéroport de Kaboul, le 29 août. Le commandement militaire américain a évoqué, sous une formule générique, des actions contre « des organisateurs et des opérateurs de l’attentat » du 26 août. Il y a fort à parier que la réplique à celui-ci se poursuive dans les prochaines semaines. Il en va, pour le président Biden, de sa crédibilité et de celle des Etats-Unis.
Les pays occidentaux disposent peut-être de davantage de moyens de pression sur le pouvoir afghan aujourd’hui qu’hier.
Le démocrate subit là son premier échec de politique internationale. La fin de la présence américaine et l’évacuation ont assurément péché par défaut d’organisation et de cadre politique plus étudié. Mais au regard de la faillite de la nettement plus consistante opération d’éradication du groupe Al-Qaeda d’Oussama Ben Laden après le traumatisme du 11-Septembre et de stabilisation de l’Afghanistan dont la paternité revient à Georges W. Bush, à Barack Obama et à Donald Trump, la responsabilité de Joe Biden est forcément restreinte. Et même sur la retraite peu glorieuse de Kaboul, il est difficile pour ses adversaires républicains de le clouer au pilori alors que c’est son prédécesseur, à travers les accords de février 2020, qui a offert le pouvoir sur un plateau d’argent à ces talibans, jadis protecteurs du chef d’Al-Qaeda et qui n’ont pas rompu tous les liens, loin de là, avec le mouvement instigateur du 11-Septembre. Il n’est donc pas sûr que les déboires d’aujourd’hui puissent encore constituer un argument de campagne électorale pour les adversaires républicains des candidats démocrates aux élections de mi-mandat en… novembre de l’année prochaine.
Moyens de pression
Pour les dirigeants de Kaboul, au-delà même de la coopération sécuritaire ponctuelle ou durable pour éradiquer l’Etat islamique au Khorasan, une forme d’entente avec les Etats-Unis pourrait s’avérer indispensable pour gérer le pays et assurer la survie de son économie. Des démonstrations de mécontentement ont déjà été observées dans certaines rues de Kaboul de la part d’Afghans empêchés de pouvoir retirer leur argent des banques. Les établissements restent fermés, en raison du gel par Washington des fonds de la Banque centrale.
Les talibans sont donc pressés de poser des actes montrant leurs « bonnes dispositions » dans l’exercice du pouvoir: mettre sur pied un gouvernement « inclusif », accepter la cohabitation avec d’autres visions de la société, faire fonctionner l’administration, garantir la sécurité, autoriser le départ des derniers collaborateurs des forces internationales présents… Or, chacune de ces dispositions est potentiellement source de dissensions entre les talibans eux-mêmes. L’avenir de l’Afghanistan reste donc un grand point d’interrogation. Et paradoxalement, les pays occidentaux disposent peut-être de davantage de moyens de pression sur le pouvoir afghan aujourd’hui qu’hier.
Le contexte
Les derniers soldats d’une armée américaine engagée en Afghanistan depuis vingt ans en réponse aux attentats du 11-Septembre ont quitté Kaboul dans la soirée du lundi 30 août. Ils laissent le pays aux mains des talibans en vertu d’un accord signé le 29 février 2020 et à l’issue d’une offensive éclair de ceux-ci contre une armée gouvernementale fantomatique malgré l’assistance des Occidentaux pendant de nombreuses années. Pour les nouveaux dirigeants, le défi sera de relancer l’activité économique et d’assurer la sécurité de la population. Un objectif gravement compromis par la détermination du groupe djihadiste rival de l’Etat islamique au Khorasan de combattre leur pouvoir.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici