Scènes de joie des talibans dans un aéroport de Kaboul saccagé: et maintenant? (photos)
A Kaboul, le chaos a subitement laissé place à la joie des talibans, au lendemain du départ des troupes américaines. Les scènes sont surréalistes. Le mouvement islamiste parade dans un aéroport où les Américains ont pris le soin de mettre « hors d’usage » tout leur attirail avant de partir. Quel avenir pour l’Hamid Karzai International Airport, dont l’existence est jugée « existentielle » par Angela Merkel?
Concert de klaxons à Kandahar, parades de leurs forces spéciales à l’aéroport de Kaboul, drapeaux du mouvement omniprésent : les talibans, nouveaux maîtres de l’Afghanistan, pavoisent après le départ des derniers soldats américains du pays.
Dans la capitale, le principal porte-parole des islamistes, Zabihullah Mujahid, a mené un groupe de responsables sur le tarmac de l’aérodrome, son expression généralement impassible étant cette fois-ci remplacée par un large sourire.
Les forces spéciales talibanes, appelées « Badri 313 », chaussures et gilets beiges immaculés sur leur tenue de camouflage, posent pour des photos, lèvent des fusils américains et agitent le drapeau blanc de leur mouvement.
Longtemps considéré comme l’un des endroits les plus sûrs du pays, l’aéroport civil de Kaboul a été saccagé. Des cartouches vides jonchent le sol près de toutes les entrées.
Pendant les quinze jours qui ont suivi la prise de la capitale par les talibans le 15 août, les environs immédiats de l’aéroport ont été occupés par une foule nombreuse tentant de monter désespérément dans les vols d’évacuation de la communauté internationale, orchestrés par les Etats-Unis.
Mais bien plus d’Afghans sont restés bloqués à l’extérieur de cette zone par une série de barrages talibans. Mardi, tous ces postes de contrôle, sauf un, ont été démantelés sur la route menant à l’aéroport.
L’humeur des nouveaux maîtres de l’Afghanistan a également changé. Les combattants talibans manifestent leur joie en serrant les mains des automobilistes et de leurs passagers.
‘Cimetière des superpuissances’
A Kandahar (Sud), le berceau du mouvement, des milliers de partisans manifestent joyeusement dans les rues, dans un concert de klaxons et de « Allah Akbar » (Dieu est le plus grand). Nombre d’entre eux agitent le drapeau des islamistes.
« Aujourd’hui est le jour de l’indépendance de l’Emirat islamique. Nous félicitons tous les frères musulmans et la nation afghane », se réjouit Abdullah, dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux. « Nous brandissons l’étendard du prophète Mahomet et nous le brandirons sur le monde entier », poursuit-il.
En 1996, les talibans étaient partis de Kandahar, avant de conquérir rapidement le reste du pays, qu’ils ont tenu jusqu’en 2001, lorsqu’ils ont été chassés du pouvoir par une coalition internationale menée par les Etats-Unis.
Vingt-cinq ans plus tard, des foules venant des villages environnants ont envahi la capitale provinciale dans la nuit de lundi à mardi, dès l’annonce du retrait américain, a constaté un journaliste de l’AFP. « Nous avons défait la superpuissance. L’Afghanistan est le cimetière des superpuissances », chantaient ces hommes armés en tenue traditionnelle.
Une douzaine d’hommes et d’enfants étaient amassés à l’arrière d’un pick-up de l’ancienne police afghane, défaite par les talibans. Sur les réseaux sociaux, des groupes d’hommes sont apparus, dansant et applaudissant au son de la musique, alors que celle-ci était interdite par les islamistes durant leur premier passage au pouvoir.
Les nouveaux maîtres du pays ne pourront toutefois pas compter sur l’aviation militaire de l’ancien régime afghan pour se défendre, par exemple, face à d’éventuelles attaques du groupe Etat islamique, qui a visé l’aéroport jeudi dernier, faisant près de 100 mots, dont 13 soldats américains.
A l’intérieur de l’enceinte, des dizaines d’avions et d’hélicoptères, donnés à l’armée régulière afghane par Washington, gisent, vides, après avoir été détruits par les troupes américaines avant leur départ.
Matériel US mis hors d’usage
Quelque 73 aéronefs ont été « démilitarisés », c’est-à- dire mis hors d’usage, selon le chef du commandement central de l’armée américaine, le général Kenneth McKenzie. « Ces appareils ne voleront plus jamais », a-t-il expliqué. « Ils ne pourront être utilisés par personne. »
Les fenêtres de leurs cockpits ont notamment été brisées, et leurs pneus crevés.
Quelque 70 véhicules blindés MRAP résistant aux mines — d’un coût d’un million de dollars pièce — et 27 véhicules légers Humvee ont également été mis hors d’usage par l’armée américaine au terme du pont aérien mis en place pendant deux semaines, et qui a permis d’évacuer quelque 123.000 personnes du pays, en grande majorité des Afghans.
Les Etats-Unis ont également détruit leur système de défense anti-missile C-RAM, qui a arrêté lundi des tirs de roquettes du groupe Etat islamique contre l’aéroport.
« C’est une procédure complexe et longue de démonter ces systèmes », a souligné le général McKenzie. « Alors on les démilitarise pour qu’ils ne soient plus jamais utilisés. »
L’aéroport de Kaboul est d’une « importance existentielle » pour l’Afghanistan
Angela Merkel a jugé que l’aéroport de Kaboul, désormais sous contrôle taliban après le retrait des Etats-Unis, était d’une « importance existentielle » pour l’Afghanistan et pour le soutien médical et humanitaire à ce pays.
« Cet aéroport est d’une importance existentielle pour l’Afghanistan car sans lui, aucune aide médicale ou humanitaire ne peut parvenir, ce qui signifie qu’il est aussi de la plus haute importance pour l’action des Nations Unies« , a déclaré la chancelière allemande lors d’une conférence de presse commune avec son homologue autrichien, Sebastian Kurz.
Malgré le départ dans la nuit des derniers soldats américains, l’Allemagne n’a pas renoncé, selon Mme Merkel, à exfiltrer des Afghans, ceux qui ont collaboré avec l’armée allemande lors de l’intervention occidentale dans le pays, mais aussi ceux employés par les organisations humanitaires.
Elle a estimé entre « 10.000 et 40.000 personnes » le nombre de ceux destinés à être sortis du pays.
« Cette fin douloureuse avec l’évacuation de nombreuses personnes n’est bien sûr pas encore terminée », a déclaré Mme Merkel.
« L’Allemagne compte encore un grand nombre de forces locales que nous voulons faire sortir d’Afghanistan et nous nous préoccuperons bien sûr aussi de la situation humanitaire dans le pays », a plaidé la dirigeante, à quelques semaines de quitter le pouvoir.
Quel avenir pour l’aéroport?
1. Qui va en gérer la sécurité?
Les événements récents ont montré que l’aéroport pouvait être l’objet d’attaques terroristes. Sa sécurité est une préoccupation majeure.
L’attaque-suicide de jeudi dernier revendiquée par l’Etat islamique au Khorasan (EI-K), qui a fait plus d’une centaine de morts, dont 13 soldats américains, a visé l’une des portes du complexe. Et lundi, son système de défense anti-missiles a intercepté des roquettes lancées par l’EI-K.
A la veille de la prise de pouvoir par les talibans, le 15 août, les Américains et leurs alliés ont organisé un pont aérien depuis l’aéroport pour évacuer leurs ressortissants et des Afghans craignant pour leur sécurité. Au total, ils ont exfiltré en deux semaines 123.000 personnes.
La Turquie avait proposé de se charger de la sécurité de l’aéroport, mais les talibans ont toujours répété qu’ils n’accepteraient aucune présence militaire étrangère au-delà du 31 août.
« Nos combattants et nos forces spéciales sont capables de contrôler l’aéroport et nous n’avons besoin de l’aide de personne pour la sécurité et le contrôle administratif de l’aéroport de Kaboul », a déclaré lundi à l’AFP un porte-parole des talibans, Bilal Karimi.
Mais Michael Kugelman, expert sur l’Asie du Sud au cercle de réflexion Wilson Center à Washington, estime qu’une présence sécuritaire étrangère est indispensable pour garantir le retour des compagnies aériennes étrangères, et qu’un accord est encore possible.
« Vous avez affaire à un environnement très volatile en terme de sécurité », a-t-il expliqué à l’AFP.
Le ministre des Affaires étrangères du Qatar, cheikh Mohammed ben Abdelrahmane Al-Thani, a déclaré au Financial Times que son pays essayait de convaincre les talibans d’accepter de l’aide étrangère.
« Ce que nous tentons de leur expliquer, c’est que la sécurité d’un aéroport implique beaucoup plus de choses que de simplement en sécuriser les périmètres », a-t-il dit.
L’aéroport est d’une « importance existentielle » pour l’Afghanistan et pour le soutien médical et humanitaire à ce pays, a souligné de son côté la chancelière allemande Angela Merkel. « Il est essentiel de garder l’aéroport ouvert », a également insisté le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg.
2. Qui assurera la logistique de l’aéroport?
Le porte-parole du Département d’Etat, Ned Price, a déclaré vendredi que du point de vue américain l’aéroport était désormais rendu « aux Afghans ».
Ces dernières semaines, l’Otan a joué un rôle clé, son personnel civil se chargeant du contrôle aérien, du ravitaillement en carburant et des communications.
Comme pour la sécurité, des discussions ont eu lieu avec la Turquie afin qu’elle fournisse son assistance technique.
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a indiqué que son pays discutait avec les talibans. Mais avec l’insistance des islamistes à s’occuper de la sécurité, il a ensuite semblé abandonner l’idée.
Entretenir et gérer un aéroport est une tâche complexe, qui requiert une forte expertise. Il n’est pas sûr que les talibans l’aient, après la fuite de milliers d’Afghans éduqués et qualifiés ces derniers jours.
3. Dans quel état se trouve l’aéroport?
Des responsables américains ont reconnu que l’aéroport était dans un mauvais état, l’essentiel de son infrastructure de base ayant été endommagée ou détruite.
Un pilote a indiqué à l’AFP que le bâtiment du terminal passagers avait été saccagé par les personnes qui avaient pris d’assaut l’aéroport dans les heures de confusion extrême qui ont suivi la prise de pouvoir par les talibans.
La tour de contrôle pour le trafic passager devra aussi être remplacée avant que les vols commerciaux ne puissent faire leur retour.
Les deux pistes d’envol restent encore utilisables, comme l’ont prouvé ces deux semaines d’évacuations, mais ne sont pas non plus dans le meilleur des états.
4. Les vols commerciaux reprendront-ils?
Les talibans ont insisté sur le fait qu’ils entendent garder ouvert l’aéroport civil. Mais sans de réelles garanties sécuritaires, les compagnies commerciales ne viendront pas à Kaboul.
Une « parfaite tempête de risques » est à attendre pour ces compagnies, estime M. Kugelman.
Avoir un aéroport opérationnel permettrait aux talibans d’améliorer leur image sur la scène internationale.
« Si les talibans cherchent à obtenir la reconnaissance et la légitimité des gouvernements du monde entier, alors ils doivent avoir un aéroport qui marche, où la sécurité est assurée, et en lequel on puisse avoir confiance », ajoute M. Kugelman.
Mais il est probable que tout cela prenne du temps.
5. Les Afghans seront-ils autorisés à quitter le pays?
Les talibans ont insisté sur le fait que les Afghans disposant d’un passeport et d’un visa seraient libres d’aller et venir.
Nombre d’Afghans et d’observateurs émettent toutefois des doutes sur cette promesse des talibans, ainsi que sur leur engagement à ne pas s’en prendre à ceux qui ont travaillé pour l’ex-gouvernement ou les forces étrangères.
Il y a également de fortes chances que les Afghans qui n’ont pas réussi à monter à bord d’un des vols d’évacuation ces deux dernières semaines soient désormais trop effrayés pour se rendre de nouveau à l’aéroport, selon M. Kugelman.
« Pour nombre d’entre eux, qui ont déjà des raisons de craindre les talibans, la perspective de tenter de fuir le pays via un aéroport contrôlé par les talibans n’est pas une pensée très agréable », a déclaré l’expert.
(Avec l’Afp)
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