E-commerce vs magasins: qui s’en sort le mieux sur le terrain de l’écologie?
Livraisons, retours, invendus, déchets… Entre la vente en ligne ou en magasin, qui s’en sort le mieux sur le terrain de l’écologie? De part et d’autre, le bilan global peut basculer pour un rien. Et le consommateur a aussi un rôle clé à jouer. Décryptage.
C’était loin d’être une urgence, mais il est déjà là, moins de 48 heures après la commande en ligne. Le dernier colis en date n’attend plus qu’à être dépecé. Quelques coups de ciseau dans le ruban en PVC en dévoilent le contenu: du papier matelassé pour remplir le vide, du papier bulles ou du film mousse pour encaisser les coups, de la frigolite, parfois, ainsi qu’une feuille A4 présentant les instructions de retour. Après ce déblayage apparaît, enfin, le produit commandé, occupant à peu près le tiers du volume de la boîte, lancée illico dans le monticule des cartons en attente du prochain ramassage. « Tant de déchets pour si peu », se dit-on alors.
Un rituel plus familier que jamais. En 2019, la Belgique a vu défiler 266 millions de colis, selon les derniers chiffres de l’Institut belge des services postaux et des télécommunications (IBPT), soit 23 par habitant. Le secteur affiche une croissance de 212% par rapport à 2010. Et encore: c’était avant que les commandes en ligne explosent en 2020, au gré des mesures sanitaires et des fermetures répétées des magasins. Inévitablement, la question se pose: entre les plastiques, les kilomètres, les appels à la (sur)consommation et les retours à l’envoyeur, l’e-commerce international serait-il un gouffre environnemental?
Bien avant l’enjeu des déchets, le bilan environnemental d’un produit dépend de la quantité d’énergie consommée pour l’acheminer, de l’usine de départ jusqu’au consommateur. Reste, ensuite, à comparer le bilan global de l’e-commerce avec celui des magasins traditionnels. Les études sur le sujet sont loin d’être unanimes. Leurs conclusions varient selon le type de produit analysé et les hypothèses prises en compte: quelle distance parcourue, quelle méthode de livraison, quel pourcentage de retours de commandes? Henrik Pålsson est professeur à l’université de Lund, en Suède. En 2017, il a co-écrit un article compilant les analyses de onze études portant sur 16 produits (livres, musique, DVD, produits électroniques, ordinateurs) dans quatre pays différents. « Dans la majorité des cas analysés, la consommation d’énergie totale s’avère moins élevée pour le canal de l’e-commerce que pour celui des magasins traditionnels, résume-t-il au Vif/L’Express. Mais il faut rester prudent sur les conclusions que l’on peut en tirer, puisque beaucoup de facteurs entrent en jeu. » Une évidence: si la logistique échappe en partie au consommateur, ses choix personnels pèsent lourdement dans la balance finale. Voici les atouts de part et d’autre.
Le commerce électronique présente des avantages climatiques, mais ceux-ci disparaissent à mesure que la livraison s’accélère.
Avantage magasins…
« Plus ancien, le canal des magasins traditionnels est aussi plus mature que celui des acteurs de l’e-commerce, poursuit Henrik Pålsson. De ce fait, les premiers ont pu travailler sur l’efficience de leur logistique, là où les seconds se sont concentrés avant tout sur la captation de parts de marché, vu la croissance rapide du e-commerce. Mais leur marge de progression est plus grande également. »
Pour Nicolas Rigo, chargé de recherches, professeur invité à l’ULB et gérant de la société Dart Consulting, les géants de l’e-commerce disposent néanmoins, eux aussi, de chaînes d’approvisionnement particulièrement optimisées, du moins jusqu’à leurs centres de distribution. L’efficience est presque toujours l’alliée des considérations environnementales. Un entrepôt surdimensionné nuit au business comme à l’empreinte carbone, autant que la multiplication de trajets de camions roulant à vide. « Il y a un lien clair entre les considérations environnementales et la quête d’efficience énergétique, elle-même liée au gain économique », ajoute Nicolas Rigo.
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Parmi tous les biens imaginables, il existe une césure entre les produits dits « de recherche » et les produits « d’expérience »… Les premiers ne nécessitent pas de contact physique pour en évaluer la bonne conformité. C’est le cas des livres, de certains produits de soin ou équipements électroniques… Pour les seconds, en revanche, ce n’est qu’après essai que le client pourra s’en assurer. C’est là un obstacle de taille sur la scène de l’e-commerce, notamment dans le prêt-à-porter, mais surmonté via les retours, une pratique parfois systématique mais potentiellement désastreuse d’un point de vue environnemental. Il y a, bien sûr, l’empreinte carbone de ce nouveau trajet. Mais aussi le débat sur le sort des produits renvoyés: revente, recyclage, destruction? En 2018, Amazon avait été accusé d’avoir détruit 3,2 millions de produits neufs sur le seul territoire français. Il s’agissait toutefois également d’invendus, un problème auquel les magasins traditionnels sont également confrontés. Contactés par Le Vif/L’Express, des acteurs majeurs comme Veepee, Zalando et Coolblue combinent plusieurs solutions pour valoriser les produits retournés et réduire tant les coûts que l’empreinte carbone qui en résultent (lire Les dessous d’une mise au vert en fin d’article).
Les magasins traditionnels ont l’avantage d’être moins concernés par les retours pour les produits d’expérience, puisqu’ils peuvent y être testés juste avant l’achat. De même, de nombreux produits vendus en rayon engendrent proportionnellement moins de déchets d’emballage que l’e-commerce. En 2018, un livre sur deux vendu en France l’était via Amazon, d’après une étude du bureau Kantar Worldpanel. Or, s’il existe bien un produit exigeant autant de carton que son propre volume, c’est bien ce livre envoyé par Amazon dans son colis individuel. Le constat vaut également pour certains produits cosmétiques et de soin, souvent disponibles à proximité immédiate du consommateur dans les villes.
… Avantage e-commerce
Plus encore que les bâtiments ou que leur climatisation parfois excessive, les magasins classiques souffrent, eux, d’un grand défaut sur le plan environnemental. « Environ 65% des émissions totales de la vente au détail traditionnelle proviennent du déplacement des clients vers et depuis le magasin« , résume un article scientifique de 2008 régulièrement cité.
Le bilan réel dépend de la distance parcourue pour s’y rendre, du moyen de transport utilisé et de la possibilité de mettre à profit un autre trajet (par exemple, le retour du travail) pour faire son shopping. Mais la plupart du temps, c’est l’e-commerce qui gagne le duel du last mile delivery. Ce terme, bien connu en logistique, désigne la dernière étape du transport d’un produit jusqu’à sa destination finale. Celle qui, précisément, est considérée proportionnellement comme la plus énergivore.
En 2019, la Belgique a vu défiler 266 millions de colis, soit 23 par habitant. C’est une croissance de 212% par rapport à 2010.
Pour cette raison, la plupart des études consultées considèrent que le bilan énergétique global est plus favorable à l’e-commerce… A quelques strictes conditions. Dans le cas d’une livraison à domicile: que le destinataire soit présent lors de la première tentative. Au-delà d’un certain taux d’échec, la livraison à domicile peut s’avérer moins efficiente qu’autant d’achats effectués en magasin. Dans le cas d’une livraison en point-relais, en principe plus écologique: que le consommateur ne prenne pas sa voiture dans la seule optique d’aller chercher son colis à la librairie du coin. Enfin, que ce dernier refuse, autant que possible, les livraisons express, plus énergivores. « C’est l’un des principes de base en logistique: plus vous avez du temps, plus vous avez la capacité d’être efficient et de réduire la consommation d’énergie », souligne Henrik Pålsson.
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Depuis quelques années, des observateurs dénoncent l’effet pervers des livraisons ultrarapides, comme celles proposées par Amazon Prime. « Le commerce électronique présente des avantages climatiques, mais ceux-ci disparaissent à mesure que la livraison s’accélère », synthétisait Miguel Jaller, professeur à l’université de Californie à Davis, dans une enquête menée par le site d’information américain Axios. A cela s’ajoute la problématique des particules fines, relève Nicolas Rigo: « S’ils sont critiqués au niveau de l’analyse de leur cycle de vie, l’usage de véhicules de livraison électriques ou à hydrogène peut être une vraie plus-value pour la santé dans les zones densément peuplées. » Alimentée par la rapidité des concurrents, la course à la livraison n’est pas toujours un critère de choix pour le consommateur. En 2018, un sondage de l’Institut flamand pour la logistique (VIL) révélait que 80% des commandes en ligne n’étaient pas urgentes. « Les sites de l’e-commerce devraient permettre aux consommateurs de poser des choix plus éclairés, en optant par exemple pour la livraison la plus écologique, même si elle prend plus de temps », poursuit-il.
Et les déchets?
A l’heure actuelle, neuf des dix plus gros acteurs de l’e-commerce actifs en Belgique sont affiliés à Fost Plus, le responsable de la collecte et du recyclage des emballages ménagers. « Sur base annuelle, la quantité de déchets produits par ces acteurs s’élève à environ 9 000 tonnes, dont 90% de papier-carton », précise l’asbl. C’est moins de 1% du total des déchets produits par l’ensemble de ses membres. Mais ces chiffres ne correspondent qu’aux entreprises de e-commerce pur. Pour les nombreuses enseignes hybrides, « les chiffres ne permettent pas de différencier les emballages liés à leurs magasins physiques de ceux liés aux ventes en ligne ». Le volume réel de déchets liés à l’e-commerce est donc supérieur à ce ratio de 1%.
Malgré de fortes fluctuations de prix, le recyclage des papiers et carton ne pose pas de difficultés la plupart du temps. « Le problème, c’est ce qui va avec, commente Cédric Slegers, directeur adjoint de Denuo, la fédération des entreprises actives dans le traitement et le recyclage des déchets. Ces colis sont souvent bourrés de frigolite, de plastique, ou composés de plusieurs matériaux. L’e-commerce n’a pas arrangé les choses sur ce point. En amont, on pourrait envisager une écotaxe sur tous les emballages moins recyclables. En aval, il devient urgent de créer les conditions de marché permettant d’utiliser le plastique recyclé beaucoup plus largement. »
La Belgique est cependant loin d’être submergée par les déchets de l’e-commerce. Contrairement aux Etats-Unis, où ces derniers représenteraient 30% du total des déchets solides produits par les ménages, selon l’Agence américaine de protection de l’environnement. Mais la crise économique ne joue pas en faveur de l’écodesign des emballages en tout genre.
Les dessous d’une mise au vert
Livraisons, retours, invendus, durabilité… Morceaux choisis de ce qu’en disent ces trois acteurs majeurs de la scène de l’e-commerce.
Chez Veepee. Anciennement Vente-Exclusive.com, Veepee figure dans le top 10 des plus grands acteurs actifs sur le marché belge. En 2019, le groupe français a réalisé un chiffre d’affaires total de 3,8 milliards d’euros et vendu 130 millions de produits. Le site propose des ventes limitées dans le temps à des prix compétitifs. « L’année dernière, le taux moyen de retours était de 15% au Benelux et de 20% pour la catégorie mode et vêtements », indique-t-il. Chaque retour est facturé à hauteur de 2 euros ou 2,50 euros selon le transporteur choisi. « Afin de gérer cet enjeu, nous avons développé – en France dans un premier temps – un nouveau service d’échange entre membres. Les articles renvoyés restent des articles de qualité que d’autres clients pourraient vouloir acheter, d’autant que l’offre est inférieure à la demande. Or, aujourd’hui, certains articles vont parcourir des kilomètres pour retourner chez la marque ou rejoindre l’un de nos entrepôts pour être revendus ultérieurement. Cela coûte cher, prend du temps, et écologiquement ce n’est pas optimal. » Ce service est prévu pour début 2021.
A côté de cette initiative, Veepee souligne qu’aucun produit renvoyé ou invendu n’est détruit. « Après un contrôle qualité, les articles en excellent état sont à nouveau proposés à la vente, dans le cadre de ventes Good Deals. Une partie des articles sont renvoyés aux marques. Nous faisons également des dons réguliers à plusieurs associations et organisations locales. » Veepee affirme par ailleurs investir 100 millions d’euros par an en recherche et développement,.
Chez Zalando. Quatrième plus grand e-tailer présent en Belgique, selon le rapport 2019 de l ‘Ecommerce Foundation, le géant allemand du prêt-à-porter a lancé sa nouvelle stratégie de durabilité en octobre 2019. Outre ses efforts pour tendre vers la neutralité carbone, le groupe indique s’être fixé « des objectifs ambitieux vis-à-vis des emballages. D’ici à 2023, nous les concevrons de manière à minimiser les déchets et à réutiliser les matériaux, en éliminant spécifiquement les plastiques à usage unique. Nous avons aussi commencé un projet-pilote d’emballages réutilisables avec un groupe de clients des pays nordiques. »
Tous marchés confondus, le taux de retour des commandes passées sur Zalando s’élève à 50%. « Bien que les retours fassent partie de notre modèle commercial, nous visons à les réduire autant que possible. Nous testons des vidéos, des vues partielles du corps, des vues à 360 °, des outils d’ajustement et des recommandations de taille. » Après inspection, 97% des produits retournés seraient remis en vente sur la boutique principale, le solde étant revendu sur d’autres boutiques connexes ou offert à des associations.
Chez Coolblue. Porté par le marché flamand, le webshop néerlandais, qui dispose aussi de magasins physiques, trône en deuxième position dans le top des plus gros acteurs de l’e-commerce en Belgique. En novembre, Coolblue a passé le cap du million de clients livrés à vélo en Belgique et aux Pays-Bas, fruit d’une stratégie lancée en 2018. A l’heure actuelle, 80% des commandes de petit gabarit livrées de la sorte. Coolblue n’a pas fourni de statistiques relatives au taux de retour des commandes. D’après son Yearbook 2019, la majorité des produits renvoyés ont été remis sur le marché en tant qu’objets neufs ou de seconde main. Coolblue annonce par ailleurs avoir réduit de 20% sa consommation de cartons en 2019.
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