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Comment le décès de Ruth Bader Ginsburg rebat les cartes de l’élection américaine

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Le décès de la juge Ruth Bader Ginsburg provoque un séisme politique aux États-Unis. Donald Trump veut la remplacer  » très rapidement « . Mais ce choix crucial, à quelques semaines des élections, accentue la division entre républicains et démocrates, dans une campagne déjà très tendue.

L’annonce du décès de la doyenne de la Cour suprême des États-Unis, Ruth Bader Ginsburg, a provoqué l’émoi aux États-Unis, mais aussi dans le reste du monde. Cette juge progressiste était devenue une véritable icône de la cause des femmes, des minorités ou encore de l’environnement.

Mais passé l’émotion de sa disparition, la campagne pour l’élection présidentielle a rapidement repris ses droits. « RBG » laisse en effet vacant un poste doté de grands pouvoirs, ce qui augure d’une intense bataille politique avant la présidentielle du 3 novembre. Car Donald Trump ne s’en cache pas : après avoir salué sa mémoire, il a annoncé qu’il comptait la remplacer « très rapidement ».

Ruth Bader Ginsburg en 2010
Ruth Bader Ginsburg en 2010© Reuters

Choix crucial, enjeu majeur

Son décès offre à Donald Trump l’occasion de nommer pour la remplacer un magistrat défenseur des valeurs chrétiennes conservatrices, même si les démocrates vont engager une bataille de tranchées pour entraver ce processus. D’autant que l’enjeu est de taille : la Cour suprême est notamment censée se prononcer dans les mois à venir sur l’avenir de la réforme de l’assurance santé Obamacare, qui a étendu les couvertures maladie de millions d’Américains, mais que les républicains veulent démanteler. La Cour peut également avoir à trancher les litiges électoraux, lui conférant un rôle crucial dans la finalité de l’élection. C’est elle qui devrait trancher en cas de contestations du résultat, comme cela avait été le cas en 2000, entre George W. Bush et Al Gore.

L’exécutif a eu tout son temps pour se préparer au remplacement de Ruth Bader Ginsburg, qu’on savait malade depuis longtemps. Donald Trump a même publié le 9 septembre une liste affinée de candidats potentiels, un geste de campagne destiné à rassurer ses alliés et mobiliser ses électeurs, notamment ceux opposés au droit à l’avortement.

Il semble impensable que Trump choisisse un homme pour remplacer une pionnière féministe comme Ginsburg, il a trop à perdre. Surtout si près de l’élection et après les remous provoqués par son précédent choix pour la Cour Suprême : Brett Kavanaugh, accusé d’agression sexuelle pendant le processus de confirmation. Il a d’ailleurs fait savoir qu’il comptait nommer « une femme très talentueuse ».

Vite, avant les élections

À six semaines seulement de l’élection, la bataille pour savoir qui la remplacera et quand aura lieu le vote au Sénat est déjà en train de remodeler les enjeux, tout en galvanisant les électeurs passionnés des deux camps. La mort d’un juge de la Cour suprême si proche de l’élection est typiquement le genre d’évènement susceptible de remettre les guerres culturelles américaines au centre du débat politique, dans une année dominée par les retombées de la pandémie de coronavirus et la nouvelle poussée en faveur de la justice raciale après la mort de George Floyd.

Le président américain Donald Trump a déclaré qu’il désignerait dès cette semaine un nouveau juge pour la Cour suprême des États-Unis. « Je l’annoncerai vendredi ou samedi et le travail commencera. Mais espérons que cela ne demande pas trop de travail », a-t-il dit dans un entretien à la chaîne conservatrice Fox News. Il a précisé vouloir attendre, avant de lancer le très politisé processus de succession, la fin des cérémonies funéraires pour la juge Ginsburg.

Donald Trump a par ailleurs estimé que le Sénat, à majorité républicaine, avait « largement le temps » de confirmer la nomination d’un nouveau juge avant l’élection présidentielle du 3 novembre. « Le vote final (du Sénat) devra se tenir avant l’élection », a-t-il dit sur Fox News.

Donald Trump a-t-il le droit ?

Donald Trump est parfaitement dans son bon droit : selon la Constitution américaine, c’est au président que revient l’honneur de nommer les juges de la Cour et le Sénat est chargé de confirmer son choix. Un choix qui est loin d’être anodin quand on sait que les juges sont nommés à vie. Aujourd’hui, la Cour compte 5 conservateurs, 3 démocrates, et un siège vacant. Si Trump nomme un ou une juge pour le camp républicain, ils auront l’assurance de garder la majorité pour des années, peut-être même des décennies.

Mais il y a quatre ans, Barack Obama était dans la même situation. Un des juges de la Cour est décédé environ 8 mois avant l’élection. Obama avait nommé son successeur, mais le Sénat, à majorité républicaine, avait bloqué cette nomination. Quand le choix de Trump sera connu, le chef des républicains au Sénat Mitch McConnell organisera un vote. Vote qu’il avait donc refusé pour avaliser le choix de Barack Obama en 2016, au motif que le scrutin était jugé « trop proche ». Ici, le délai est encore plus court, et les démocrates lui reprochent ce revirement.

« Abus de pouvoir »

Le candidat démocrate Joe Biden a accusé Donald Trump d’exercer le pouvoir de manière « brutale » en essayant de nommer un nouveau juge à la Cour suprême avant le scrutin, ce qui suscite des réserves au sein même du parti républicain. Sa volonté d’ancrer solidement la puissante juridiction dans le conservatisme a galvanisé les deux camps et considérablement durci la campagne.

Comment le décès de Ruth Bader Ginsburg rebat les cartes de l'élection américaine
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Lors d’une intervention à Philadelphie, son rival démocrate a dénoncé « un exercice de pouvoir politique brutal », « un abus de pouvoir » qui, selon lui, risque de plonger les États-Unis « dans une crise constitutionnelle » alors qu’ils traversent déjà une profonde crise sanitaire, économique et sociale. Sur un ton grave, Joe Biden s’est adressé directement à la poignée de sénateurs républicains, qui « savent au fond d’eux-mêmes ce qui est bon pour leur pays. (…) Respectez vos obligations constitutionnelles, suivez votre conscience. »

Division chez les républicains

Pour entériner le choix du président, il faudra que le Sénat donne son feu vert. Certains républicains soutiennent leur président dans sa démarche. « On a besoin d’une Cour entière pour le jour du scrutin », a estimé le sénateur Ted Cruz, un ultraconservateur. Mais il a dû admettre ne pas être sûr que son parti ait les voix nécessaires.

Car si le parti républicain dispose de 53 sièges sur 100, deux de ses élues ont déjà annoncé qu’elles pourraient manquer à l’appel. « Par honnêteté envers le peuple américain », la sénatrice modérée Susan Collins, qui mène une campagne difficile, a estimé qu’il faudrait attendre le verdict des urnes avant de pourvoir le siège vacant. Sa consoeur Lisa Murkowski a également fait savoir qu’elle ne voterait pas pour attribuer un poste à la Cour suprême « si près des élections ». Il faudrait deux républicains de plus pour bloquer le processus.

Deux favorites dans la course

Pour courtiser sa base conservatrice, Donald Trump a promis de choisir uniquement des magistrats partageant leurs valeurs sur l’avortement, le droit à porter des armes ou encore les libertés religieuses. Deux noms circulent avec insistance parmi ses favorites.

Le premier est celui d’Amy Coney Barrett, une catholique de 48 ans, qui a une longue carrière académique. Elle est réputée pour ses articles de doctrine juridique, largement influencés, selon ses détracteurs, par ses valeurs religieuses traditionalistes.

Une magistrate d’origine cubaine Barbara Lagoa, 52 ans, semble également bien placée. Ancienne juge à la Cour suprême de Floride, elle exerce aujourd’hui dans une cour d’appel fédérale à Atlanta. Elle présente l’avantage de venir d’un État-clé, susceptible de peser sur le résultat de la présidentielle. (avec AFP)

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