Chaos en Afghanistan: le fruit d’une longue série d’échecs
Le retour des talibans au pouvoir, analyse Tanguy Struye (UCLouvain), est la conséquence de l’abandon américain, mais aussi d’une cinquantaine de pays membres de la coalition. L’avenir, dit-il, est incertain: « c’est un pays compliqué »
Remontons quelques années en arrière. Le 11 septembre 2001, le groupement terroriste Al-Qaïda déroute deux avions qu’il fait tomber sur les Tours Jumelles, à New York. Un troisième rate sa cible de peu: le Pentagone, le quartier général de la défense américaine. Dans les semaines qui suivent, les Etat-Unis envahissent l’Afghanistan, où le groupe était implanté.
« La mission première était de se débarrasser d’Al-Qaïda. Mais l’objectif a ensuite changé: instaurer la démocratie dans le pays« , explique Tanguy Struye, professeur en relations internationales à l’UCLouvain. Cette prise de pouvoir est largement vue comme un échec de 20 ans de présence américaine: dès que les Etats-Unis partent (le retrait militaire est en cours depuis mai), le talibans reprennent le pays en quelques semaines. « Mais ce n’était que le leadership américain. C’était une mission internationale, une cinquantaine de pays étaient représentés », nuance Tanguy Struye.
Pour le professeur, l’échec de ces 20 ans de présence vient aussi d’un manque de moyens: « quand on change d’objectif, il faut aussi y mettre les moyens économique, matériaux, politiques, militaires. Mais on n’y a pas mis ces moyens. » Dès 2011-12, de nombreux pays se désengagent. Les Etats-Unis, depuis la mort du chef d’Al-Qaïda Ben Laden, ont vu leur intérêt pour l’Afghanistan diminué, et réduit leur présence militaire. Il y a quelques semaines, ils n’étaient plus que 5.000 sur place.
« L’armée s’est évaporée »
Une des grandes questions de l’avancée des talibans est l’échec total de l’armée afghane. Comment plus de 300.000 soldats peuvent ne pas faire face à 80.000 insurgés? « Il s’agit d’abord d’une armée mal entraînée, malgré quelques bonnes élites, il y a beaucoup de personnes qui se sont engagées parce qu’elles ne trouvaient pas de travail ailleurs. On voit également sur les images de talibans dans les bases aériennes afghanes que rien n’est prêt pour le combat, les avions, hélicoptères etc. », analyse Tanguy Struye.
Mais les raisons sont multiples, et pour l’heure ce phénomène de disparition de l’armée doit encore être analysé. « Il y a plusieurs hypothèses possibles : est-ce qu’il y a eu l’ordre de ne pas combattre? Est-ce que des soldats étaient trop « lâches » pour combattre? Est-ce qu’ils ont retourné leur veste? Est-ce qu’il y a eu des arrangement dans les provinces?« , réfléchit Tanguy Struye.
En Afghanistan, il n’y a pas de logique nationale. Le pays est resté très tribal, et le pouvoir central était détesté. Selon le professeur, il serait alors fort probable que des chefs de guerre locaux se seraient ralliés aux talibans. La corruption gangrènait également l’armée et l’administration. « Le scénario était prévisible, mais personne ne pouvait se douter que l’armée allait s’évaporer et s’écrouler si vite« .
Quel futur pour le pays?
De 1996 à 2001, les talibans régnaient sur l’Afghanistan et imposaient leur vision religieuse. Les caméras, la musique, les photos étaient interdites, les femmes n’avaient aucun droit et devait porter le voile intégral couvrant même les yeux. Les talibans coupait des membres, lapidaient et fouettait en guise de châtiment. « Et si les forces internationales sont intervenues, ce n’est pas pour les droits humains, mais bien pour combattre Al-Qaïda », souligne Tanguy Struye.
Est-ce que le pays va resombrer dans cet obscurantisme? Pour le professeur, il est difficile de prévoir cela. La génération d’aujourd’hui pourrait être moins radicale. C’est d’ailleurs maintenant que le travail commence véritablement: former le pouvoir. Or, il peut y avoir des divergences parmi les talibans même. Les chefs de guerre locaux ralliés à la cause, s’ils n’obtiennent pas ce qui était arrangé, vont se désister.
Un nid à terroristes? L’Occident le redoute. Selon Tanguy Struye, il se pourrait que les talibans soient plus pragmatiques. C’est la présence d’Al-Qaïda qui a amené l’intervention des forces étrangères, en 2001. Aussi, les talibans seraient pluôt à gérer leur affaires internes, et ne se préoccuperaient moins de l’étranger. Les talibans auraient d’ailleurs même combattu Daesh, avec qui ils ne sont pas d’accord. Mais toujours est-il que des groupes terroristes étrangers pourraient tout de même venir se réfugier en Afghnaistan.
« C’est un pays très compliqué. Et là dans le futur ça va sans doute devenir encore plus compliqué », conclut Tanguy Struye.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici