Afghanistan: la résistance n’est pas morte
Malgré la reconquête de la vallée du Panjshir par les talibans, Homayoun Tandar, ex-ambassadeur à Bruxelles et ancien compagnon d’armes du commandant Massoud, croit en une opposition armée et civile au nouveau pouvoir qui, estime-t-il, est traversé par de fortes tensions.
Homayoun Tandar est un homme politique et un diplomate afghan. Ancien compagnon d’armes du commandant Massoud, il a été ambassadeur de l’Afghanistan auprès de l’Union européenne et de l’Otan à Bruxelles, avant de devenir conseiller principal du Haut Conseil pour la réconciliation et l’unité nationale jusqu’en avril 2021.
La vallée du Panjshir, bastion historique de la résistance contre les Soviétiques entre 1979 et 1989 et contre les talibans entre 1995 et 2001, semble avoir été conquise par ces derniers. Comment expliquez-vous cette défaite?
Les talibans avaient à leur disposition deux atouts majeurs: le matériel qu’ils ont récupéré auprès de l’armée afghane et le nombre de combattants. Il faut cependant nuancer la victoire qu’ils proclament. Les talibans n’ont pas encore installé leur pouvoir et les combats continuent, notamment dans les vallées adjacentes. Mais il est certain que les talibans sont des combattants plus motivés que les Russes ne l’ont jamais été. Cependant j’ai vu des témoignages venant du côté taliban qui atteste que les combats sont très durs. L’un d’eux supplie, en pleurs, de pouvoir rentrer chez lui à Kandahar…
Ahmad Massoud, le fils du commandant Massoud, aujourd’hui chef du Front national de la résistance (FNR), appelle le peuple afghan à un soulèvement national. Sera-t-il entendu?
Je crois. Des combattants se sont rassemblés dans la région du centre de l’Afghanistan afin de proclamer leur désir de résistance aux talibans. Il y a également des manifestations à Kaboul, dans la ville de Ghazni, ou encore dans la grande ville de Mazar-i-Sharif, au nord.
Dans différentes villes d’Afghanistan, des femmes osent défier le pouvoir taliban et revendiquer les droits qu’elles ont acquis depuis vingt ans. Les talibans ne réagissent pas…
C’est très intéressant. Les talibans semblent hésiter sur l’attitude à adopter face à ces femmes. Pourquoi? D’abord, parce qu’ils ne comprennent pas comment des êtres qui n’ont, selon eux, qu’une moitié de cerveau, peuvent manifester. Ensuite, ils sont inhibés sur l’attitude à adopter à leur égard en raison d’une éducation traditionnelle dans laquelle les femmes n’existent pas publiquement. Enfin, ils sont conscients que la violence d’une répression à leur égard pourrait condamner la reconnaissance de leur régime à l’étranger.
Est-ce que ce mouvement peut influencer profondément la situation?
En 1996, lorsque le régime taliban était sur le point de se faire reconnaître par les Etats-Unis, à la suite du lobbying exercé par un groupe pétrolier et gazier, un puissant groupe féministe est parvenu à empêcher cette reconnaissance. Cette pression a été déterminante. Est ce possible aujourd’hui? Oui, mais il faut, d’une part, que leur mouvement puisse durer et, d’autre part, qu’il soit soutenu par l’étranger en lui accordant toute son importance. Les femmes qui ont accès depuis vingt ans à une éducation supérieure sont beaucoup plus nombreuses que lors du premier régime taliban.
Cela n’empêche pas les talibans de prendre d’ores et déjà des mesures restrictives…
Dans tout l’Afghanistan, la musique et la peinture ont été interdites. Dans le Badakchan, au nord du pays, les filles ne pourront plus aller à l’école au-delà de 12 ans. L’obligation de séparer les hommes et les femmes, qui a été décrétée à l’université et dans l’administration, va de facto rendre la situation intenable. Il n’y aura pas assez d’enseignants pour constituer deux groupes. Et que faire quand un agent de l’administration devra répondre à une femme? Cette obligation crée les conditions d’une impossibilité pratique qui exclura les femmes.
Le régime taliban peut-il rester au pouvoir durablement? Quelles sont ses forces et ses faiblesses?
C’est un régime qui sera confronté à un échec à moyen terme. Il n’a pas de programme économique. Il a une vision restreinte de la gestion des affaires de l’Etat. Certains mollahs ne savent pas écrire. Ils peuvent lire par le biais de la mémorisation du Coran, mais ne peuvent épeler un mot. Leur préoccupation première est celle-ci: préparer les Afghans à un avenir meilleur au paradis. Je ne plaisante pas. Dans ce cadre, il y aura le ministère de la Répression du vice et de la Promotion de la vertu, qui se résume essentiellement à une répression du vice.
Ne pouvez-vous néanmoins leur accorder quelques qualités?
Les talibans à Kaboul semblent se contenter d’un quignon de pain pour la journée et ils ne volent ni ne pillent pour l’instant. Ils veulent réprimer la corruption endémique. Mais dans les campagnes, leur présence commence à peser sur les populations, car ils demandent à être nourris par les villageois comme le mollah l’est en temps normal. Or, ils sont trop nombreux pour vivre ainsi sur le dos d’une population qui souffre de la sécheresse. La question de la survie du régime sera d’abord économique: comment créer de l’emploi? Où trouver les compétences?
Des observateurs évoquent un risque de guerre civile. Quels en seraient les acteurs?
Le monopole des pouvoirs que les talibans vont mettre en place ne peut que déboucher sur une opposition. Mais il semble également y avoir de fortes tensions entre les talibans. D’un côté, il y a les talibans de Kandahar, plus nombreux, traditionalistes et mieux acceptés par la population ; de l’autre, le réseau Haqqani, qui fédère des djihadistes, violents et internationalistes, soutenus par les services secrets pakistanais. Ce sont eux qui sont dans les rues de Kaboul aujourd’hui. Ces tensions expliquent très probablement le retard dans la formation d’un gouvernement.
Quelle est votre situation personnelle?
C’est le combat d’une vie qui s’écroule. Je peux créer des groupes de réflexion, mais c’est une occupation d’intellectuel exilé, non? J’espère une chose: que la génération née après l’an 2000, qui s’est levée à 5 heures du matin pour étudier, ne s’exilera pas.
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