Salaire des grands patrons: « Les rémunérations pourraient être basées sur le bien-être des travailleurs »
Professeur à la Louvain School of Management de l’UCLouvain, Leonardo Iania a dans son champ d’expertise la finance, y compris la finance responsable et durable. Au-delà des questions éthiques, ces salaires mirobolants posent la question de la stratégie des entreprises.
Que peut-on lire sur la fiche de paie d’un grand patron?
On y trouve une composante fixe et deux composantes variables. La première des deux variables est liée à des objectifs à court terme, la seconde à des objectifs à long terme. Le but de ces composantes additionnelles, c’est de faire en sorte que les CEO servent les intérêts des actionnaires. La partie « à long terme » inclut des actions dans l’entreprise cotée en Bourse, que les PDG sont obligés de conserver durant plusieurs années, ce qui les incite à rester longtemps à la tête de l’entreprise et à poser des actes visant à garantir que les valeurs de l’entreprise continueront de croître.
Constatez-vous des évolutions dans la proportion de ces parts fixes et variables?
Si on regarde l’évolution dans le paiement des salaires des patrons, une grosse part est liée à la composante variable. Dès lors qu’il y a une augmentation des valeurs des actions, cela a automatiquement un impact sur la rémunération du CEO. Dans le cas spécifique de Stellantis, il faut être prudent, car la part de composantes liées aux profits réalisés par la société est importante. Avec le Covid, les entreprises automobiles ont rencontré des difficultés. Après la sortie de crise, la demande de véhicules a fortement augmenté, ce qui a provoqué une hausse des prix. Les constructeurs ont réagi en privilégiant la production des voitures les plus coûteuses pour augmenter leurs profits, ce qui pose question sur le plan stratégique et éthique pour Stellantis, qui prétend offrir des voitures à des prix abordables. Les bénéfices engendrés par le secteur automobile sont dus à cette croissance des prix. Etant donné que le paiement des CEO est lié à cet indicateur « short term » et à la profitabilité, cela a eu un impact direct sur son salaire. Par ailleurs, comme l’entreprise s’est agrandie en raison de la fusion de plusieurs groupes, on considère qu’il doit gérer des choses plus complexes.
Il y a eu une augmentation relative du salaire de base mais surtout de la valeur de l’action, elle-même liée aux objectifs à long terme du manager.
Cela donne quand même le sentiment qu’il n’y a plus aucune limite…
Ce ratio a atteint le même niveau qu’au début des années 2000. Avec une différence essentielle: à l’époque, les rémunérations élevées des PDG étaient principalement liées à des objectifs qui devaient être atteints au moment du paiement, et moins à des conditions à long terme. Tandis que l’augmentation de la rémunération des PDG constatée au cours des dernières années est en partie due au fait que la partie variable est à présent liée à des objectifs à long terme. En clair, si une partie variable de la rémunération du PDG est liée à une condition qui doit se matérialiser quatre ou cinq ans plus tard et que cet objectif est effectivement atteint, le patron recevra la prime supplémentaire promise. On peut donc dire qu’il y a eu une augmentation relative du salaire de base mais surtout de la valeur de l’action, qui est elle-même liée aux objectifs à long terme du manager.
Ne devrait-on pas envisager qu’un patron ne puisse pas gagner plus de « x » fois le salaire moyen de ses employés?
Si les salaires sont davantage liés aux objectifs à long terme des entreprises, il est plus intéressant de travailler sur la formule qu’on utilise pour les calculer. Il faut que ce soit clair, transparent et que tout le monde puisse savoir sur quelle base le CEO a été évalué. Cela dit, l’un des indicateurs pourrait être le bien-être des travailleurs. Ce que je veux dire, c’est que même si je considère qu’un tel écart de salaire n’est pas correct sur le plan éthique, il vaut mieux tabler sur une formule de rémunération des patrons corrélée avec des objectifs à long terme pour la société, pas seulement pour les actionnaires.
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