Indécents, les salaires des grands patrons ? « C’est choquant et excessif »
Les 66 millions d’euros de rémunération de Carlos Tavares, CEO de Stellantis, relancent la polémique autour des salaires exorbitants de grands patrons. Pour Guillaume Vermeylen, économiste et chargé de cours à l’UMons, il faut revoir les critères d’évaluation de leurs performances.
La divulgation du salaire du patron de Stellantis, entre les deux tours de l’élection présidentielle française, a incité Emmanuel Macron à se positionner en faveur d’un plafonnement à l’échelon européen. « Inadmissible, choquant, excessif », ce sont ses mots. L’est-ce vraiment?
Oui, on peut dire que c’est choquant et excessif pour le commun des mortels. L’ argument derrière ce type de salaire, c’est le paiement à la performance. Il faut savoir que Stellantis a multiplié ses bénéfices par trois depuis 2020 pour atteindre les treize milliards d’euros l’an dernier, alors qu’on n’est pas dans la période la plus propice à ce genre d’entreprise. C’est une performance bien meilleure que les autres acteurs du secteur. En tant qu’ économiste, je suis favorable au concept de base qu’est le paiement à la performance. Il a fait ses preuves: on parle des théories du capital humain depuis les années 1960, et même avant. Un travailleur rémunéré davantage a de bonnes chances d’être plus performant. Après, évidemment, on peut se demander si c’est réellement le CEO qui est si performant, ou les collaborateurs de la société qu’il dirige. Je pourrais comprendre une hausse générale des salaires des dirigeants si elle était partagée avec les employés, ou liée à des objectifs en matière de rémunération à la productivité de ces derniers, mais apparemment, ce n’est pas le cas. D’autant que circulent des rumeurs de restructuration dans les prochaines années: réduire la masse salariale serait un moyen pour Stellantis de devenir encore plus performant.
Quand on parle de telles sommes, on peut se demander quel est l’intérêt pour un patron d’aller chercher un ou deux millions de plus.
Marine Le Pen, elle, proposait de faire entrer les travailleurs dans l’actionnariat…
Ce débat, même s’il est extérieur au cas Carlos Tavares, est également au coeur de l’actualité. Que les représentants des travailleurs entrent dans l’actionnariat n’est, en soi, pas une mauvaise idée: un actionnaire prend des parts dans une entreprise pour la gérer mais aussi pour participer à son développement. Cela a donc du sens, mais c’est une éternelle discussion, qu’on retrouve aussi au sein d’entreprises de plus petite taille ou non cotées, voire des PME. Cette notion d’écoute des salariés est mise de côté. On décide certaines choses qui ne leur sont pas forcément favorables et ils montent au créneau. Mais, encore une fois, cela se retrouve partout.
En quoi cela changerait-il la donne?
Tout dépend de l’influence des travailleurs-actionnaires au conseil d’administration et de l’optique envisagée. On pourrait imaginer une entreprise similaire avec un conseil d’administration qui décide d’une autre trajectoire et d’autres objectifs, avec ou sans représentation des travailleurs en son sein ou dans l’actionnariat. Maintenant, il est clair qu’une concertation plus importante ne peut qu’amener du positif dans les débats. On remarque parfois que des décisions sont prises sans concertation, et c’est là qu’une société peut commencer à vaciller. Si les salariés ne s’inscrivent plus dans l’objectif de l’entreprise, on risque d’être confronté rapidement à une situation où ils sont démotivés et veulent s’en aller. Pour une société cotée, ces divergences de vue peuvent par ailleurs se répercuter sur un actionnariat qui pourrait alors décider de quitter le navire avant la catastrophe. Là, on entrerait dans une problématique nettement plus importante.
On dit qu’au-delà d’un certain plafond, le salaire ne rend pas plus heureux. En va-t-il de même pour la performance d’un patron?
Effectivement. Quand on parle de telles sommes, on peut se demander quel est l’intérêt pour un patron d’aller chercher un ou deux millions de plus, et si ça aide à être plus performant. Je pense qu’on est alors davantage dans une course au hit-parade des PDG les mieux payés. Mais y a-t-il vraiment des valeurs de performance d’entreprise derrière cela?
Plafonner les salaires serait une bonne mesure?
L’idée n’est pas mauvaise. L’écueil, c’est que cela se joue dans le cadre d’entreprises privées. Si un pays décide de plafonner le salaire d’un dirigeant, qu’est-ce qui empêchera celui-ci d’implanter sa société dans un autre Etat qui, lui, ne le plafonne pas? Je pense que cet argument n’est pas réaliste, même s’il est logique. Par contre, on entend de plus en plus parler des critères de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Je pense à cette idée de partager les profits avec les travailleurs, d’avoir des politiques de formation et de réorientation. Si on prend en compte toutes ces propositions, alors oui, pourquoi ne pas augmenter le salaire des CEO? Mais il ne faut pas se limiter au fait qu’ils gèrent bien leur entreprise.
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Quelle est aujourd’hui la part de ces critères RSE dans les objectifs fixés?
On prend de plus en plus en compte les critères sociaux et environnementaux dans la part variable d’un salaire: respect de la mixité, politique de réduction de l’empreinte carbone… Tous ces critères de responsabilité sociétale entrent aujourd’hui dans la stratégie de l’entreprise. Une étude menée l’an dernier a révélé que 80% des 120 plus grandes entreprises françaises ont inclus des critères de responsabilité sociétale dans la rémunération variable.
Quel rôle peut jouer la Commission européenne dans la réglementation des pratiques au sein des grandes entreprises privées?
On constate qu’il existe une politique à l’échelle européenne qui a pour objectif d’inciter les organisations à viser plus de développement durable. C’est une problématique annexe à la question des salaires: comment pousser les sociétés qui veulent s’installer en Europe à avoir un projet en matière de responsabilité sociétale au sens large? L’idée est donc d’établir des critères communs à l’ensemble des Etats de l’Union européenne. Qu’une société, qu’elle s’installe en France, en Allemagne ou en Belgique, soit confrontée à des exigences identiques. Je pense qu’on a tout intérêt à faire aboutir ce genre de projets et à adopter une même ligne de conduite, sinon on risque d’arriver à la situation que j’évoquais tout à l’heure, à savoir qu’une entreprise confrontée à des règles strictes soit tentée de s’installer dans un pays voisin. Quitter toute l’Europe, par contre, c’est déjà plus compliqué. La difficulté, avec cette mesure, est que l’effort doit être fourni par toutes les parties et qu’elles doivent se mettre d’accord.
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