Pendant que le bateau (ici le MSC Preziosa) vogue en Méditerranée, les passagers s'égaient entre les bars, les lounges et les miniscènes musicales. (PhilBerki)

Croisières: la course au gigantisme continue

Philippe Berkenbaum Journaliste

Avant la pandémie, ce secteur connaissait la plus forte croissance dans le domaine du tourisme. Qui ne devrait pas tarir : de nombreux mastodontes devraient sortir des chantiers navals dans les cinq prochaines années. Pas de quoi réjouir les défenseurs de l’océan, malgré les efforts des croisiéristes.

Parmi tous les secteurs économiques qui souffrent de la pandémie de coronavirus, celui du tourisme a particulièrement souffert. En son sein, la niche des croisières n’a pas été la moins impactée. On se souvient notamment de ces paquebots géants devenus des clusters pendant la première vague, errant comme des âmes en peine pour trouver un port qui accepte de les accueillir ou bloqués à quai pour des quarantaines de plusieurs semaines, avec des dizaines de cas d’infection à bord. Depuis, l’immense majorité de ces monstres des mers sont restés à quai.

Pour mieux repartir après la crise ? La course au gigantisme, en tout cas, ne s’est pas ralentie. Début février 2021, le leader européen MSC Cruises prenait livraison du dernier-né d’une flotte qui atteindra dix-neuf navires cette année, tandis que quatre autres seront lancés d’ici 2025. Le MSC Virtuosa est le frère jumeau du MSC Grandiosa, inauguré fin 2019. Ce fleuron du croisiériste italien était alors le plus grand paquebot d’Europe avec 330 mètres de long, 19 ponts et une capacité de 6 334 passagers.

Aucun des deux ne figure pourtant dans le top 10 mondial des plus gros vaisseaux de croisière, dont les cinq premières places sont occupées par l’américain Royal Caribbean. Sur la première marche du podium trône le Symphony of the Seas : 362 mètres, 228000 tonnes, plus de 6 600 occupants et 2 300 membres d’équipage. Un building de près de 20 étages et plus long qu’un porte-avions, plus large qu’un terrain de football, plus peuplé que près de la moitié des villages wallons.

Une évolution qui ne semble pas rebuter les amateurs de confinement marin. Au contraire ! Ils sont de plus en plus nombreux à s’entasser à bord. Avant 2020, le secteur des croisières connaissait une croissance annuelle moyenne frisant les 10 %, loin devant le tourisme en général. Selon les chiffres de la CLIA, l’association mondiale des croisiéristes, les géants des mers ont embarqué 17,8 millions de passagers en 2009 et dépassé les 30 millions en 2019. Si 250 navires étaient recensés en 2018, 29 nouveaux ont pris la mer l’année suivante, 30 autres étaient attendus en 2020 et… 66 mastodontes étaient encore en commande pour livraison à partir de 2021. Toujours plus grande, toujours plus attirante, la croisière n’a pas fini de s’amuser.

Plusieurs compagnies ont relancé leurs activités dès l’automne 2020, comme les italiennes MSC et Costa en Méditerranée et dans le Golfe. Dans le respect de stricts protocoles sanitaires qui font désormais l’objet de certifications. Qu’est-ce qui fait courir autant de passagers dans les coursives de tels monstres ?

Le tour du monde sans effort

Une cinquantaine de cars numérotés sont alignés sur le quai du port de Casablanca. La sortie du MSC Preziosa est réglée comme du papier à musique. Une grande partie des 4 000 passagers mettent pied à terre en moins d’une heure. Les uns se rendent en ville par leurs propres moyens, les autres prennent place à bord des bus pour visiter les incontournables de la cité marocaine – dont la mosquée Hassan II – ou pousser jusqu’à Marrakech, Rabat, Essaouira, voire jusqu’aux portes du désert. Seul impératif : être de retour avant le départ du bateau vers sa prochaine escale.

Hier l’Andalousie, aujourd’hui le Maroc, demain Lisbonne, Barcelone et Marseille avant le retour à Gênes… « Cinq pays en huit jours sans se préoccuper du logement ni des déplacements, c’est la formule idéale », témoigne une passagère belge qui reproduit l’expérience en famille pour la troisième fois avec mari, enfants et petits-enfants. » On n’est pas obligés de faire tous la même chose. A Lisbonne, les plus jeunes sont allés voir l’aquarium, tandis que mon mari et moi avons visité deux musées. A Barcelone, ma fille ira faire du shopping pendant que nous garderons les petits. Au bord de la piscine. « 

On peut parcourir en croisière les coins les plus reculés de la planète, de l’Antarctique au pôle Nord en passant par la péninsule russe du Kamtchatka, les Caraïbes ou le canal de Panama. Ceux qui rêvent d’un tour du monde peuvent le faire en 106 jours sur le mythique Queen Mary II ou… en cargo, comme le propose l’agence Voyageurs du Monde, le luxe en moins. Et pour retrouver les sensations que devaient éprouver les grands navigateurs des siècles derniers, rien ne vaut la traversée de l’Atlantique sur l’un des voiliers 4 ou 5 mâts de Star Clippers, construits tout en bois pour naviguer à l’ancienne.

Building itinérant

Etalés sur plus de 300 mètres chacun, les quinze ponts du Costa Diadema, autre exemple, permettent à chacun des… 5 000 passagers de trouver à tout instant l’activité qui lui convient. Pendant que le bateau vogue dans le golfe Persique, les voyageurs s’égaient entre les piscines, solariums et jacuzzis, la dizaine de bars, les salles de jeux et de sports, le spa et le fitness, le cinéma 4D, les neuf buffets et restaurants de spécialités, les comptoirs de glaces et de pâtisseries, les boutiques de mode, de bijoux et hors-taxe, les salons cossus pour taper la carte, le cigare lounge et le wine bar, les salons de coiffure et de beauté, les miniscènes musicales ou le casino.

Piscines, solariums et jacuzzis font le bonheur des familles qui préfèrent passer du temps à bord. (PhilBerki)
Piscines, solariums et jacuzzis font le bonheur des familles qui préfèrent passer du temps à bord. (PhilBerki)

Le soir, place aux spectacles de style Broadway ou Cirque du Soleil, aux animations musicales, ludiques et festives, à la discothèque et aux concours en tous genres : miss, plus beau couple, meilleur déguisement, etc. Et à tout moment, les enfants peuvent être pris en charge par des animateurs. Pour agrémenter le voyage, quelques célébrités sont invitées comme conférenciers par la compagnie Ponant (anciens ministres, grands explorateurs, scientifiques renommés…), les naturalistes guidant les excursions de Grands Espaces, l’ascension du mât proposée par Star Clippers ou… le champagne et caviar servis à volonté sur les navires de Seabourn, numéro un des croisières de luxe.

Si les flottes rivalisent en taille, en offre et en qualité de services, c’est parce que pour la plupart des clients, le bateau est d’abord une destination en soi, comme les villages de vacances all-in de type Club Med. Il faut tout de même aimer la foule pour apprécier le genre. Huit jours dans le golfe Persique avec Costa ? A partir de 500 euros ! Neuf jours en Méditerranée avec MSC ? A partir de 600… Qui dit mieux ? Les croisiéristes pratiquent avec une science inégalée l’art du tout-compris… sur mesure. Le tarif de base offre un séjour en cabine double intérieure (sans hublot ni balcon), tous les repas dans les restaurants et buffets principaux et même le vin à table. Inclus également : spectacles, animations, kids clubs ou loisirs passifs de type piscine. Beaucoup s’en contentent.

Impact environnemental

D’autres s’autorisent des extras. Un restaurant de spécialités par-ci, un forfait boissons à volonté par-là, un soin au spa, une bonne bouteille de vin, une crème glacée, une cabine avec balcon… Et des excursions. Là, c’est le coup de fusil. Pas grand-chose à moins de 100 ou 150 euros par personne. Douloureux pour une famille nombreuse ! Chez MSC, on évalue la dépense moyenne à 1 300 euros par passager et par semaine, toutes croisières et saisons confondues. Imbattable vu le niveau des prestations et la variété des escales. Les achats hors taxes ou les dépenses au casino peuvent encore faire gonfler le tarif. Option complémentaire : certaines compagnies intègrent une classe supérieure, sorte de bateau dans le bateau, accessible à quelques dizaines de happy few pour le double du prix… Celui de la tranquillité tout en ayant accès aux autres  » plaisirs  » du bord.

Des mastodontes qui défigurent les villes pendant qu'ils sont à quai (ici à Lisbonne). (PhilBerki)
Des mastodontes qui défigurent les villes pendant qu’ils sont à quai (ici à Lisbonne). (PhilBerki)

Si elles égayent leurs passagers, les croisières n’amusent cependant pas les défenseurs de la nature. Une étude de l’ONG Transport & Environnement montrait qu’en 2017, le premier croisiériste du monde (Carnival, maison mère de Costa) émettait dix fois plus de dioxyde de soufre que les 260 millions de voitures en circulation en Europe ! Le second (Royal Caribbean) quatre fois plus. Et la même ONG estimait que les paquebots dispersent deux fois plus de CO2 que les avions. Sans parler du dioxyde d’azote, des déchets alimentaires ou de la pollution… visuelle des mastodontes qui défigurent les villes pendant qu’ils sont à quai – Venise les a interdits, c’est un début.

Tout cela, les opérateurs en sont tellement conscients qu’ils ont entrepris d’énormes efforts ces dernières années, en particulier les compagnies européennes soumises à plus forte pression. Fin 2019, Costa prenait livraison de son nouveau navire amiral entièrement alimenté au GNL, le Costa Smeralda (6 600 passagers), premier d’une série de cinq pour un investissement total de six milliards d’euros. Ce carburant lui permettra d’éliminer radicalement les émissions de SO2, à 98 % celles de particules fines et de réduire de 20 % celles de CO2. Quant à MSC, elle s’est imposée comme la première compagnie au monde neutre en carbone pour ses opérations maritimes. Virtuosa, son petit dernier prétend être doté des technologies actuellement les plus avancées en matière de respect de l’environnement, certifiées par le bureau Veritas. Il est même pourvu d’un système de gestion des ondes acoustiques pour minimiser leurs effets sur la faune marine. Il reste du chemin à parcourir, mais les croisiéristes affirment l’avoir emprunté.

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