Yves Coppieters: « La Belgique est capable de faire des tests salivaires, mais la volonté politique ne suit pas » (entretien)
Face au covid, la Belgique fait un pas en arrière dans sa stratégie de testing. On ne testera désormais plus que les personnes présentant des symptômes. Pourtant, un panel d’autres tests existe, mais la Belgique n’y a pas recours pour l’instant. Entretien avec Yves Coppieters, épidémiologiste et professeur de santé publique à l’ULB.
Le Vif : Le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke avait fait miroiter l’utilisation de tests salivaires dans la stratégie belge de testing. Mais à l’issue de la dernière Conférence interministérielle, il a indiqué : « il faut d’abord être sûr de la validité de ces tests. Et ensuite se pose la question: où va-t-on les utiliser, comment lier leurs résultats à notre système informatique? Il y a un enchainement de décisions complexes, et cela va demander des semaines ». C’est important d’intégrer les tests salivaires au plus vite dans notre stratégie de testing ?
Yves Coppieters: Bien sûr. Ces tests-là, mais aussi tous les tests rapides. Il ne faut pas les confondre. Les tests salivaires sont un prélèvement rapide et un auto-prélèvement. Cela rentre dans le système des tests PCR, c’est la même technologie au niveau des laboratoires. Quand le ministre dit que cela demandera des systèmes informatiques en plus, c’est faux. Au niveau laboratoire, le test salivaire est le même que le frottis naso-pharyngé.
Ce qui n’est pas « validé », c’est la qualité du prélèvement, qui est moindre. Comme c’est dans la salive, les études disent que cela dépend fortement du moment du prélèvement : si vous le faites trop tôt, vous n’avez rien ; si vous le faites trop tard, vous ne découvrirez pas le virus. Le moment clé, où la charge virale est sans doute la plus forte, c’est 2 jours avant les symptômes et 4-5 jours après. Il faut vraiment informer les gens, pour leur dire à quel moment il faut le faire. Il est néanmoins vrai que c’est un peu moins sensible. Je pense que l’Université de Liège a évalué la validité de ces tests en regard d’une PCR classique et que la sensibilité est évaluée à environ 70%. C’est-à-dire la probabilité de détecter quelqu’un de positif s’il est malade. On risque d’avoir 30% de faux négatifs.
Est-ce que c’est grave, à un moment où il y a tant de transmission ? On risque de moins détecter de cas. Mais dans une situation où on a besoin de trier rapidement les gens, il y a des alternatives, même de moindre qualité, qui sont nécessaires. Il suffit d’envoyer faire une PCR classique à ceux qui sont négatifs.
Il faudra donc attendre, au moins, plusieurs semaines. Qu’est-ce qui coince ?
Une volonté politique. Je ne vois pas très bien ce qui coincerait… peut-être la production de ces écouvillons pour mettre la salive. Il y a aussi les ressources humaines, il faut des gens dans les laboratoires pour faire tous ces tests, car cela va augmenter le nombre de tests à traiter puisqu’ils sont plus faciles à faire.
Mais à part cela, je ne vois pas ce qui bloquerait, ni sur un plan technologique, ni sur un plan de transferts de données informatiques. En termes de matériels, de réactifs et d’environnement, la Belgique est tout à fait capable aujourd’hui de le faire.
Le centre de tests et les laboratoires étant débordés, la Belgique est obligée de revoir la stratégie de testing. Il existe pourtant, outre les tests PCR, d’autres tests qui pourrait nous aider à « trier » les patients plus rapidement.
Il y a les tests antigéniques par exemple, qui sont aussi basés sur la salive ou d’autres types de frottis. Ces tests sont encore peu développés au niveau industriel, mais il y a quand même des pays qui l’utilisent. La France, notamment, est en train de les intégrer dans sa stratégie. Il faut que la Belgique se positionne sur ces tests, qui sont les futurs tests de tri des patients. On aura une réponse en 30 minutes, avec une moins bonne sensibilité. Mais ici aussi, il suffit de faire passer un autre test de contrôle aux personnes négatives. C’est le principe de gestion de foule quand une épidémie touche la population.
Il y a aussi la question des tests rapides sérologiques. Ils peuvent aussi nous aider à trier. Ils peuvent être utiles dans les collectivités : on peut imposer des tests sérologiques à tous les résidents d’une maison de repos, par exemple. S’ils ont encore un bon taux d’anticorps, il n’y pas de raison de les laisser confinés dans leur chambre, qu’on leur fasse subir des frottis naso-pharyngés dès qu’il y a un cas positif. Cela permettrait de soulager ceux qui ont déjà eu contact avec le virus, d’avoir une meilleure organisation au sein de la collectivité et de lâcher un peu la pression.
C’est la même chose pour la population. Si on est positif, qu’on a des anticorps, ça ne garantit pas une protection mais psychologiquement, on peut quand même traverser les semaines à venir de manière plus sereine, même si ce n’est pas une raison pour ne plus observer les gestes barrières.
Les autorités se trompent-t-elle un peu de chemin, en revenant en arrière sur les critères de testing plutôt qu’en mettant en place un panel plus large de tests ?
Clairement. Les asymptomatiques ne resteront jamais en quarantaine. D’abord, parce qu’ils sont asymptomatiques, donc pas conscients du risque. Et, ensuite, parce qu’il faut avoir une vraie conscience citoyenne pour rester en quarantaine si on n’a pas de symptômes. Ce n’est pas réaliste. Les gens qui reviennent de zone rouge sont peut-être davantage conscients de l’importance de s’isoler, mais ceux qui ont été en contact avec un malade ou qui ont été notifiés par Coronalert, ils vont se demander s’ils avaient le masque, s’ils ont gardé la distance et très peu vont réellement se mettre en quarantaine.
Est-ce que cette stratégie de ne plus tester les contacts asymptomatiques de personnes positives ne réduit pas l’impact d’une application comme Coronalert, que les autorités nous somment à télécharger et activer depuis des semaines ?
Bien sûr. L’intérêt de Coronalert, c’est de comprendre qu’on a eu des personnes asymptomatiques positives dans son entourage dans les lieux publics. Le malade symptomatique, il sera resté chez lui. Par contre, l’asymptomatique, qui reçoit ses tests après plusieurs jours et qui s’est baladé dans les lieux publics, et qui est testé positif, c’est lui qu’il faut détecter. On est en train de défaire l’intérêt de l’application, car on ne va plus la nourrir que de personnes symptomatiques qui vont rester chez elles, et donc qui ne sont pas à risque pour les autres. Pour autant, bien sûr, que les résultats du test leur arrivent dans les 24 à 36h.
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