Une infirmière aux soins intensifs : « On ne veut plus des applaudissements des gens »
Les hôpitaux liégeois accueillent actuellement autant de patients covid qu’au pic de la première vague. Mais aujourd’hui, le personnel soignant est épuisé. Nous avons interrogé une infirmière qui travaille dans le service de soins intensifs d’un hôpital à Liège.
Comment cela se passe-t-il en ce moment dans votre service ?
Les cas augmentent de plus en plus. Quasiment la moitié des lits de soins intensifs sont déjà occupés par des cas de covid. On va vers la même situation qu’en mars-avril où le service a dû être divisé en deux pour créer une partie covid et une partie « propre ». On y sera obligés parce que sinon le risque deviendra trop élevé de contaminer les autres patients des soins intensifs.
Vous aurez donc le même nombre de lits pour accueillir les patients covid que lors de la première vague ?
Oui. Et si besoin, on peut déborder sur d’autres services. Cela a été prévu après la première vague. Des travaux ont été réalisés pour nous permettre d’augmenter notre capacité d’accueil, sans être obligés de fermer complètement d’autres services.
Est-ce que vous avez suffisamment de matériel et de médicaments pour affronter cette nouvelle vague ?
(Nb. Lors de la première vague, certains médicaments essentiels ont été en pénurie)
Pour ce qui est des masques, des gants et des tabliers, nous avons tout ce qu’il nous faut. Des stocks ont été constitués et nous ne manquons de rien. Pour les médicaments, il faudra voir au fur et à mesure. Je ne sais pas si des stocks ont été constitués.
Y a-t-il assez de personnel pour gérer cette seconde vague ?
Certains membres du personnel soignant sont malades. Cette seconde vague va être beaucoup plus compliquée parce qu’au printemps les autres services de l’hôpital étaient fermés et on avait l’aide du personnel soignant. Cette fois-ci, ce n’est pas le cas.
On doit vraiment jongler tout le temps avec le manque de personnel.
Dans les soins intensifs, nous avons de gros problèmes d’effectifs depuis longtemps. Après la première vague, pendant l’été, ça a été compliqué aussi. Nous avons travaillé à trois par unité au lieu de quatre afin que tout le monde puisse prendre ses congés. Mais du coup, c’était fatigant. On doit vraiment jongler tout le temps avec le manque de personnel. Mais la pénurie de personnel n’existe pas que chez les soignants. Les laboratoires qui font les tests manquent aussi de main-d’oeuvre.
Pendant combien de temps votre hôpital a-t-il été sans patient covid cet été ?
Les derniers patients ont quitté le service fin mai. Mais les autres services ont recommencé à fonctionner dans la foulée, donc cela a augmenté notre travail. Les soins intensifs, de toute façon, c’est très rarement calme.
Ensuite en juillet, on a traité quelques patients qui venaient d’un foyer très localisé. Puis ça s’est à nouveau calmé avant de reprendre fin août.
Est-ce que le profil des patients a changé depuis la première vague ?
Non. C’est toujours le même profil de patients.
Est-ce que la prise en charge a évolué ?
Oui. Aujourd’hui, le leitmotiv est d’essayer d’éviter l’intubation. Avant on les intubait tout de suite. Mais cela a d’autres conséquences en plus des problèmes pulmonaires liés au covid. Surtout chez des patients qui ont déjà une santé fragile.
Aujourd’hui, le leitmotiv est d’essayer d’éviter l’intubation.
Certains arrivent à s’en sortir sans l’intubation, mais on est quand même obligés d’en passer par là pour d’autres. Et quand c’est le cas, il faut cinq à six semaines au patient pour sortir du coma. S’il en sort.
Est-ce que vous sauvez plus de patients que lors de la première vague ?
C’est difficile à dire. On arrive à mieux gérer les personnes qu’on n’intube pas. Mais c’est vrai aussi que les personnes de plus de 75 ans s’épuisent plus vite. On a toujours l’espoir de les sauver, mais parfois ils se dégradent d’un coup, sans aucun signe avant-coureur.
Comment gérez-vous émotionnellement ce retour du covid avec vos collègues ?
Tout le monde est fatigué. À vrai dire, on est épuisés. C’est dur de se dire que l’on va revivre la même chose. En mars, on avait peur parce qu’on ne savait pas à quoi s’attendre. Aujourd’hui, on sait ce qui nous attend et c’est encore pire.
En mars, on avait peur parce qu’on ne savait pas à quoi s’attendre. Aujourd’hui, on sait ce qui nous attend et c’est encore pire.
Est-ce que vous arrivez à garder le moral ?
Oui. Il y a une bonne ambiance dans l’équipe. On se soutient beaucoup. On essaie de décompresser pendant les pauses. On rit ensemble.
Est-ce que vous êtes en colère sur la manière dont la crise a été gérée et sur l’arrivée de cette deuxième vague ?
Oui. On peut dire qu’on ressent de la colère concernant la manière dont les politiques ont géré, mais aussi sur la manière dont la population prend les choses à la légère. On ne veut plus d’applaudissements. C’était facile de nous applaudir pendant deux mois et puis de ne pas respecter les gestes barrière ou de remettre en cause l’usage du masque.
C’était facile de nous applaudir pendant deux mois et puis de ne pas respecter les gestes barrière ou de remettre en cause l’usage du masque.
De plus en plus de gens ont un comportement à risque. Si les gens gardaient leur masque et leurs distances, on n’en serait pas là aujourd’hui.
Après la première vague, beaucoup de personnes se sont dit que c’était terminé. Ils ont recommencé à se faire la bise, ils n’ont plus porté leur masque au travail, etc. On voit le résultat aujourd’hui.
C’est dur pour le moral. On vient de perdre un patient qu’on a soigné pendant six semaines. On finit par se dire : « à quoi bon ? » On se bat encore et encore. Et puis nous y revoilà.
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