Voitures, jouets, bois,…: pourquoi tant de pénuries?
L’économie mondiale fait face à une pénurie de matières premières. Tous les secteurs, ou presque, sont affectés. Les causes sont multiples. Les conséquences pour les consommateurs et les entreprises non négligeables. Cette rupture d’approvisionnement est-elle partie pour durer?
Des voitures ou des vélos dont les délais de livraison dépassent l’an. Des ordinateurs en pénurie faute de puces électroniques nécessaires à leur fonctionnement. Des chantiers de rénovation reportés ou qui s’éternisent à défaut de matériaux en suffisance. Des chaudières contraintes de rester à l’arrêt malgré les premiers froids à cause d’une pièce devenue introuvable. Ces situations sont devenues monnaie courante et risquent très probablement de se prolonger à durée… indéterminée. En cause, une pénurie des matières premières à l’échelle mondiale. Pourquoi touche-t-elle quasi tous les secteurs au même moment? Quels produits sont les plus affectés? Quelles sont, et seront, les répercussions pour les consommateurs?
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Les sources du mal
Le processus de fabrication de la très grande majorité des objets du quotidien nécessite de l’énergie et des matières premières provenant, souvent, de plusieurs pays. Un grain de sable dans l’engrenage, et c’est toute la chaîne de production qui peut se mettre à dérailler. Encore plus lorsque la demande pour ces biens « précieux » devient extrêmement forte, comme ces derniers mois à cause de la reprise, après une année de ralentissement économique due à la pandémie. « Comme rien n’a bougé durant de nombreux mois, les stocks ont été consommés, confirme l’économiste Philippe Ledent. Maintenant, on a ce double phénomène: tout le monde veut des matières premières pour produire, mais aussi pour reconstituer les stocks ». Etienne de Callataÿ, économiste en chef d’Orcadia Asset Management, abonde: « Les entreprises qui avaient cédé au just in time, qui avaient misé sur des réserves a minima, ont aujourd’hui revu leur scénario et préfèrent constituer des stocks pour se mettre à l’abri. » L’ économie fait donc face à une double demande – « accélérée, on l’oublie souvent, par les injections que les pouvoirs publics ont mis dans l’économie », souligne Bruno Colmant, économiste et professeur à l’ULB – alors que l’offre est restée similaire.
Pour Etienne de Callataÿ, les pénuries sont néanmoins la preuve que l’économie mondiale se porte bien: « Si nous étions dans un état de dépression économique, il n’y aurait pas une telle demande, souligne-t-il. On pourrait penser que, parce qu’il y a des pénuries, l’économie va mal. La situation est inverse: parce que l’économie est florissante, il y a des pénuries. »
Un deuxième facteur d’explication des pénuries, serait, selon le chief economist, « les perturbations liées aux chaînes de production ». Les lignes d’approvisionnement en Chine connaissent, en effet, quelques problèmes. « Ce paramètre est beaucoup plus grave qu’on ne l’imagine, appuie Bruno Colmant. Les usines fonctionnent de manière très éparse. Il n’y a donc pas de flux continu, ce qui génère des ruptures de production. » La sidérurgie chinoise est aussi contrainte par des objectifs de réduction des émissions de CO2. La production d’acier, par exemple, s’en trouve ralentie. « Des problèmes géopolitiques pourraient aussi participer au ralentissement de l’exportation de certains minerais, et ainsi aggraver la problématique », ajoute Philippe Ledent, qui rappelle que « les capacités d’extraction ou de transport ne fonctionnent pas encore de manière normale en raison de la pandémie. »
Enfin, une cause serait à chercher du côté des transporteurs qui ont augmenté leurs prix. Un élément qui ne provoque pas la pénurie des produits en tant que telle, mais qui empêche les matériaux d’être acheminés aussi facilement qu’avant aux quatre coins de la planète. Et non seulement le coût du fret maritime a explosé, mais certains ports sont engorgés. Avec, pour conséquence directe, des retards de livraison. Aurait-on pu anticiper le phénomène? « Tous les économistes ont été surpris par la vitesse du rebond de l’économie mondiale », avoue Etienne de Callataÿ.
Quels matériaux, quels produits
Le secteur de la construction est l’un des plus touchés. Le bois a flambé à 600 dollars le mètre cube voici quelques mois, avant de fléchir. Il continue cependant de souffrir de problèmes d’approvisionnement. L’acier, affiché à 500 euros la tonne avant la Covid, a bondi à 1 900 euros aujourd’hui. Le cuivre, utilisé pour les câbles électriques, a vu son prix doubler. La tonne d’aluminium, utilisé entre autres dans la fabrication des châssis, coûte 900 dollars plus cher. Presque la totalité des matériaux de construction sont affectés.
Le secteur automobile n’est pas épargné, lui qui est à la fois consommateur de semi-conducteurs (les célèbres puces électroniques) et de toute une série de métaux comme l’acier, l’aluminium, le nickel et, désormais, le lithium pour les véhicules électriques. Les usines allemandes, par exemple, vivent une situation très complexe. Elles ne tournent pratiquement plus qu’à 50% de leur capacité. Quant au prix des voitures d’occasion, il a augmenté d’environ 15%. La production de vélos, surtout électriques, est également touchée.
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Et que dire de la filière technologique et informatique, dont la production nécessite un grand nombre de matières premières? Conséquence: pour acquérir un nouvel ordinateur ou une console de jeu, le revendeur n’aura d’autre choix que de vous conseiller la patience… Idem pour tout le secteur des jouets, d’ailleurs. Le papier, lié au bois, souffre également de problèmes d’approvisionnement. Les livres et le secteur de l’édition sont donc pleinement touchés. La chimie, grosse consommatrice d’énergie, subit de plein fouet la flambée des prix de l’électricité et du gaz avec, en plus, de réels problèmes d’approvisionnement ajoutés à ces problèmes de coût.
L’agroalimentaire, lui, est sensiblement moins touché. Les prix des matières premières agricoles, certes, ont augmenté, mais sans flamber. Du moins pour l’instant. Le blé, par exemple, s’échange à 280 euros la tonne, soit 30 euros de plus que son prix moyen habituel.
Quelles répercussions pour le consommateur?
Pas besoin d’être économiste pour se rendre compte que, pour le consommateur, la première répercussion de ces pénuries est une augmentation des prix. La seconde, des délais d’attente plus longs. « On est dans une période où l’offre, pour toute une série de raisons, est contrainte, à un moment où la demande est forte. Le résultat naturel de cela est une augmentation de prix, voire une réduction de la disponibilité du produit », confirme Philippe Ledent.
« Nous allons assister à une flambée des prix, mais ce n’est pas pour autant qu’elle se poursuivra d’année en année, tente de rassurer Bruno Colmant. S’ils augmentent de 5% l’an prochain, la hausse ne sera pas forcément identique en 2023. On peut assister à une majoration des prix unique, puis à une cassure, ce n’est pas exclu. » Un retour à la normale pourrait donc être envisageable à moyen terme? « Dans certains secteurs, oui, il y aura une normalisation, assure Etienne de Callataÿ. L’ économie possède un mécanisme d’équilibre formidable qui s’appelle les prix. Face à une pénurie, le prix augmente. Deux phénomènes se produisent alors. D’une part, l’offre augmente et, d’autre part, la demande diminue. »
Une autre conséquence (positive?) pour le consommateur belge pourrait être l’augmentation des salaires. « Quand les prix flambent, l’indice des prix à la consommation grimpe, ce qui peut entraîner une revalorisation des salaires. En 2022, les salaires pourraient ainsi croître de 4% en Belgique », affirme Bruno Colmant. Chez nous, les salaires bénéficient en effet de l’indexation automatique. Néanmoins, le système a un inconvénient: cette indexation n’est pas forcément aussi rapide que celle des prix! Bruno Colmant n’y voit donc pas forcément un effet positif, « sauf pour les gens qui se sont endettés à des taux d’intérêt très bas, et qui verront leurs salaires croître, alors que leur marge d’emprunt restera la même. »
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Une inflation, oui, mais laquelle?
La question est aussi de savoir si l’inflation sera durable et soutenue. Et si elle restera sous contrôle… « La hausse de l’inflation sera moins récurrente qu’on ne le croit, prédit Bruno Colmant. C’est un choc, une falaise. Mais ce n’est pas pour autant que le choc, ou la falaise, grandira d’année en année », illustre-t-il. Certains avancent également la possibilité d’une stagflation, à savoir une période prolongée d’inflation combinée à une croissance économique faible. On peut dès lors se demander si la période actuelle d’inflation mêlée à une croissance dynamique laissera place, ou pas, à une période d’inflation avec absence de croissance.
Sur cette question-là, les avis divergent. Pour Philippe Ledent, « l’inflation risque de se stabiliser à un niveau un peu plus élevé que ce que l’on a connu au cours des dix dernières années. Il est probable qu’on la maintienne autour des 2%, mais elle ne reviendra pas à 1%. » Selon lui, les prix se bloqueront probablement à des niveaux plus élevés qu’auparavant. « Durant toute la première partie de 2022, des problèmes d’inflation risquent encore de survenir. De nombreux produits deviendront plus chers. Mais l’idée que les prix continueront à s’envoler infiniment est peu probable ».
Nos entreprises en souffrance?
Les entreprises subissent évidemment les mêmes conséquences. « Les productions sont perturbées, leurs coûts énergétiques sont plus élevés… Tout cela sera répercuté, bien sûr, sur le prix de vente de leurs produits », note Bruno Colmant. Par ailleurs, la Belgique dispose de peu de matières premières. Beaucoup de denrées que nous consommons quotidiennement sont produits ailleurs. L’ économie du pays est donc fortement dépendante des approvisionnements extérieurs. « Nous avons rarement dû faire face à de gros problèmes logistiques, la fourniture de ces ressources nous paraissait, sans doute, naturelle, analyse Philippe Ledent. Face à cette situation nouvelle, nous pourrions déduire qu’il faudrait se réapproprier la production de ces composants. Mais ce n’est pas pour autant qu’on créera des matières premières. Nous ne possédons pas de gisements d’aluminium, de minerais de fer ou de cuivre. Pas plus que de gaz ou de pétrole. L’Europe, technologiquement parlant, affiche un retard dans certains domaines. »
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