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Violence policière : « Les forces de l’ordre n’ont pas assez de formation sur le terrain en Belgique »

Caroline Lallemand Journaliste

Les forces de l’ordre en Belgique sont-elles assez préparées lors d’interventions et de manifestations qui pourraient déraper ? On a posé la question à deux experts en criminologie de l’Université de Liège.

Le débat sur les violences policières revient à la une de l’actualité en Europe et aux USA ces dernières semaines. La mort par étouffement de l’Afro-américain, George Floyd, lors d’une intervention policière aux Etats-Unis a provoqué une indignation mondiale. Ce mardi, une infirmière française qui participait à une manifestation à Paris pour le personnel soignant a été interpellée violemment par les forces de l’ordre, tandis qu’une eurodéputée belge a porté plainte pour avoir été brutalisée à la Gare du Nord par des agents. Les forces de l’ordre en Belgique sont-elles assez préparées face à des situations sensibles ?

Vincent Seron, criminologue à l’Université de Liège, évoque une formation de base qui est, pour lui, trop théorique : « Chaque filière est soumise à une formation, selon une circulaire ministérielle qui précise le cadre législatif à respecter et l’entraînement que les futurs policiers belges doivent suivre « . Cependant, et c’est là que le bât blesse, la plupart du temps, les moyens financiers manquent pour s’entraîner sur le terrain. « Il n’est pas toujours évident de mettre en pratique le cadre théorique dispensé. Il n’y a pas assez de stages sur le terrain. La particularité de la fonction de policier est qu’elle est aussi très diversifiée, le fonctionnaire est tiraillé entre de nombreuses tâches, notamment administratives. »

Le criminologue Pierre Thys, professeur honoraire à l’ULiège, remarque également un manque de préparation et d’entraînement des policiers belges. « En Belgique, on a de gros défauts de mise en situation. En France, par exemple, un grand village fictif existe où des simulations grandeur nature de manifestations sont réalisées pour une immersion totale des forces de l’ordre sur le terrain. En Belgique, ce genre d’exercices est rare, c’est aussi fréquent que la préparation d’un crash à l’aéroport de Zaventem. Il n’y a pas assez de moyens financiers pour les réaliser ». Selon Pierre Thys, les policiers ne sont pas non plus assez entraînés aux exercices de tir.

Comment expliquer que des situations dérapent ?

Une formation qui devrait aussi être plus ciblée : « L’approche initiale devrait être plus ciblée par rapport aux contraintes et aux violences rencontrées. Il faut des équipes d’intervention spécialisées, par exemple, comme pour le grand banditisme « , explique Vincent Seron. «  Il serait utile que les policiers reçoivent un suivi, un rafraîchissement des concepts qu’on leur a enseignés. Notamment face à l’utilisation de la contrainte qui est quand même au coeur du métier », complète le criminologue.

Lors d’une manifestation, il est demandé aux policiers d’assurer l’ordre sans heurts ni scandales. Comment expliquer que des situations dérapent ? Pour Pierre Thys, un dérapage dans ce genre d’évènement peut résulter d’un manque de discipline vis-à-vis de la hiérarchie. La bavure peut aussi être causée par un policer isolé qui réagit sur le coup de l’émotion de manière disproportionnée par rapport à la situation. Et de rappeler qu’un policier doit avoir une attitude réactive, pas proactive.

Manifestation des Gilets jaunes à Bruxelles.
Manifestation des Gilets jaunes à Bruxelles. © Twitter

« La police a cette possibilité d’utiliser la contrainte. Le principe est que la contrainte doit être proportionnelle à la situation, un équilibre qui n’est pas toujours évident à gérer dans le feu de l’action. Cela ne veut pas dire qu’un policier peut tout se permettre, mais il y a des moyens de coercition possibles. Ils sont formés pour cela « , avance, pour sa part, Vincent Seron.

Différences de mentalités

Lors d’une manifestation, Pierre Thys évoque également l’importance de la préparation, en amont, de toutes les forces impliquées. « Il est aussi nécessaire de repérer sur les réseaux sociaux les groupuscules qui pourraienr y prendre part. Et sur base de ces renseignements, d’anticiper les ennuis. »

De même, la différence de culture entre les unités de police locale et fédérale est parfois très différente. Quand ces différents corps se retrouvent à gérer ensemble une manifestation, le manque de connaissance de l’autre et la différence de mentalités peuvent être difficiles à gérer dans l’action.

Dans le cas plus précis de l’arrestation musclée de l’eurodéputée Pierrette Herzberger-Fofana (Verts/ALE), le professeur Thys y voit un manque de discernement flagrant de la part des forces de l’ordre, dû à un défaut d’entraînement et de mise en situation. «  Personne n’a jamais dit qu’on ne pouvait pas photographier une intervention de police. Alors soit, les policiers n’étaient pas bien formés, soit ils s’en foutaient.  » Le professeur en criminologie appelle cependant à ne pas verser dans le mode émotionnel avec une vision trop angélique des personnes interpellées. « Si le policier est réellement menacé, avec une arme à feu par exemple, l’usage de la force est justifié. La notion de bavure, c’est quand un policier n’a pas lieu de recourir à la force dans son caractère légal.« 

« Sans cesse tiraillé entre respecter les règles et intervenir »

Vincent Seron avance le racisme, souvent évoqué de par le monde, comme un des éléments de la culture policière à l’origine d’arrestations sensibles. « Le phénomène existe. On le remarque souvent dans les pays anglo-saxons et on a encore pu le constater avec la mort de George Floyd. Un grand travail de sensibilisation est important à ce sujet dans la formation des policiers. »

Vincent Seron donne son avis sur l’arrestation musclée de l’infirmière française lors de la manifestation de ce mardi pour le personnel soignant : «  La violence envers cette infirmière n’était pas justifiée. Si la police a la possibilité d’utiliser la force, il faut que la réponse soit proportionnelle. »

Le criminologue admet que dans le feu de l’action, il n’est pas toujours évident pour les forces de l’ordre de réagir de manière adéquate. « L’équilibre est difficile, le policer est sans cesse tiraillé entre respecter les règles et intervenir. »

L’utilisation de bodycams par les policiers belges – plusieurs projets pilotes sont à l’étude – pourrait être une approche efficace dans le traitement des interpellations controversées et pour une meilleure transparence dans les actions policières.

Et d’évoquer un autre phénomène : « La population entretient une relation d’amour-haine avec la police. On l’a ressentie lors des épisodes du terrorisme. La police obtient alors l’adhésion des citoyens dans ses interventions. Mais cette confiance s’est rapidement étiolée. On l’a remarqué avec les gilets jaunes, très négatifs envers les forces de l’ordre », commente Vincent Seron.

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