Un an de crise sanitaire: le bilan et les perspectives des experts de l’UCLouvain
Une dizaine d’experts de l’UCLouvain – immunologue, psychologue, philosophe, politologue, géographe, … – font le point après un an de crise sanitaire. Avec en toile de fond, la question suivante: « reviendra-t-on un jour au monde d’avant? » Et si oui, est-ce souhaitable?
La pandémie qui dure depuis maintenant une année a complètement bouleversé notre quotidien. Les relations sociales, professionnelles, familiales en sont sorties transformées. Notre santé physique et mentale en a aussi pris un coup, et cela dans toutes les tranches d’âges. Des experts de l’UCLouvain ont fait le point après un an de crise sanitaire lors d’une conférence de presse virtuelle. Avec un regard tourné vers le future.
La situation épidémique est encore très compliquée, avec la diffusion dans la population des nouveaux variants. Pour Sophie Lucas, immunologiste, on n’est malheureusement pas à l’abris de l’émergence de nouveaux variants, plus ou moins contagieux. « Nous observons pour le moment trois variants inquiétants très contagieux qu’il est difficile de contrôler, à part en limitant au maximum les contacts sociaux« , explique l’immunologiste. « Le souci, c’est que plus ces virus vont se diffuser, plus ils vont muter et devenir peut être encore plus dangereux« , prévient-elle.
« La grande difficulté est que la vaccination doit bien suivre son cours pour ne pas qu’elle soit rattrapée par de nouveaux variants qui rabattraient les cartes et devraient peut-être imposer de nouveaux vaccins que ceux déjà développés. C’est une vraie course contre la montre« . Sur le long terme, l’immunologiste estime que la vaccination pourrait se faire comme pour le virus de la grippe, à intervalle saisonnier.
Un retour à la normale pour 2022?
Niko Speybroeck est épidémiologiste. Il se montre optimiste pour une sortie de crise… à l’horizon 2022. « La Belgique n’a pas été la meilleure en terme d’anticipation de l’épidémie par rapport aux autres pays européens. On a oublié d’anticiper, voilà pourquoi les courbes ne sont pas en baisse« , déclare-t-il. Pour cet expert, il faut continuer à réduire les contacts sociaux face aux variants plus contagieux et graduellement assouplir pour revenir à une vie normale pour la fin de l’année.
La crise a augmenté la détresse psychologique chez des personnes déjà fragiles mais a également déclenché des problèmes mentaux chez des personnes qui n’en avaient jamais rencontré auparavant. Gérald Deschietere, chef des urgences psychiatriques des Cliniques universitaires Saint-Luc explique que son métier a du être réinventé par le biais de consultations téléphoniques ou de visio conférences. Il commente la santé mentale des Belges. « On a observé une augmentation des urgences psychiatriques en mai, juin et octobre », explique-t-il. Le psychiatre avance aussi qu’il n’y a pas eu que des côtés négatifs au confinement. « Des personnes se sentaient mieux car elles dormaient plus, voyaient davantage leur famille, ne passaient plus des heures dans leur voiture,… il est important de souligner ces aspects bénéfiques aussi. » D’un autre côté, des patients plus fragiles mentalement se sont confortés dans cet isolement imposé. Selon le spécialiste, ils pourraient alors vivre le déconfinement comme un traumatisme, quand ils seront obligés de retrouver des contacts sociaux et de sortir de leur cocon rassurant.
« La transgression est parfois nécessaire pour sauvegarder la santé mentale des jeunes »
Le Dr Deschietere voit cette crise à la fois comme une menace mais aussi comme une opportunité sociétale et individuelle. « On a vécu une perte d’insouciance et une recherche de sens mais la crise nous a aussi permis de prendre soin de nous et de nos proches. » Il plaide pour un discours médiatique et politique qui laisse une plus grande place au bien-être psychique lors d’un prochain déconfinement progressif, avec un espoir : que la crise soit bénéfique à long terme, même pour les personnes les plus en souffrance.
La psychologue louvaniste Isabelle Roskam, observe au quotidien une grande souffrance chez les jeunes et une difficulté de la part des parents à les soulager. « Le confinement est une période très compliquée à la fois pour les parents et pour leurs enfants, particulièrement les ados« . Elle pointe la difficulté à faire respecter des règles pas toujours très claires et cohérentes à des jeunes épris de liberté.
« Pour qu’une règle soit applicable, il faut qu’elle soit réaliste et que sa finalité soit claire. Il y a pour le moment trop de règles à suivre. Le maximum devrait être de 5, poursuit la spécialiste de la parentalité. Les parents sont perdus par rapport à la difficulté à faire respecter ces règles parfois impossibles à mettre en pratique. Dans certains cas, la transgression est même nécessaire pour sauvegarder la santé mentale des enfants et adolescents.« , explique-t-elle.
Isabelle Roskam déplore que trop peu d’experts en santé mentale et en sciences humaines n’ait été consultés par les autorités du pays dans la gestion de la crise et insiste pour que ce soit le cas lors du prochain déconfinement. « Nous avons déjà commencé le tri dans les hôpitaux psychiatriques, trop d’enfants vont mal« , alerte-t-elle.
Quand on demande au philosophe Axel Gosseries s’il est souhaitable de revenir un jour au monde d’avant, il répond que c’est possible mais que ce ne serait pas une bonne nouvelle. « Car cela voudrait dire que l’on aurait pas résolu les problèmes existants, liés aux inégalités sociales et aux problèmes climatiques« .
Il ajoute : « Cette crise est un véritable labo à ciel ouvert sur notre société. Elle nous met face à notre grande vulnérabilité face à une toute petite chose qui peut paralyser la planète. » Il se pose aussi la question : « A-t-on donné trop d’importance à la santé par rapport à la culture et aux voyages ? J’espère qu’il en sortira dans le débat publique une réflexion de ce qu’on peut sortir de positif de cette pandémie « .
Axel Gosseries aborde aussi la vision de la justice intergénérationnelle qui s’est dessinée ces derniers mois mais dont il regrette le peu de débat dans l’opinion publique. « Notre réponse à la pandémie mobilise l’âge. Il détermine l’accès aux soins ou aux vaccins. On s’inquiète du sort des jeunes après avoir laissé nos aînés s’éteindre en nombre. »
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La démocratie sous tension
Le politologue Min Reuchamps, évoque la démocratie sous tension en pleine crise. « C’est en période de crise que la démocratie doit montrer toute sa résilience. C’est un chemin à suivre, une norme à construire de manière collective. Il faut qu’à l’avenir, il y ait plus de place pour la participation citoyenne dans les débats parlementaires. » Il aspire aussi à ce que les individus sortent de leur bulle médiatique, en s’ouvrant à d’autres points de vue que ceux dans lesquels ils sont enfermés. « Il faut aller à l’encontre des algorithmes, pour plus de diversité et de perspectives« .
La géographe Sophie Vanwambeke, explique que la pandémie agit comme une loupe sur divers (dys)fonctionnements et notamment nos relations à l’environnement. « Le virus est bien le produit de l’activité humaine. Il est nécessaire de modifier nos comportements à l’avenir, en réduisant notamment l’interconnectivité entre les humains. On a vu ces dernières décennies les volumes des mouvements de personnes et de marchandises fortement augmenter, il faut organiser dans le futur ces activités en prenant en compte le risque de plus en plus présent de zoonose « , alerte-t-elle. « Il faut aussi plus de collaborations entre les gouvernements et les institutions« , selon la géographe.
L’électrochoc climatique
Pour Jean-Pascal van Ypersele, climatologue et ex-vice-président du GIEC, la crise sanitaire a fait l’effet d’un électrochoc par rapport à la crise climatique. « Nous avons pris conscience que la pandémie est la conséquence de l’activité humaine. Nous avons négligé notre écosystème, notre biodiversité. Il faut que nous réévaluons sur le long terme notre relation à la nature » dit-il. « On nous a demandé d’aplanir la courbe du coronavirus, on peut faire l’analogie avec la courbe beaucoup plus importante du réchauffement climatique qui se poursuit sur le long terme car il n’y a pas de vaccin contre le réchauffement climatique. ».
L’expert fait remarquer à regret que la chute drastique des émissions mondiales de CO2 lors du premier confinement n’aura qu’un effet négligeable sur la concentration en C02. Jean-Pascal van Ypersele amène aussi l’idée d’un « GIEC de la Santé ». « L’interface science-politique doit être améliorée« . Il prend comme exemple concret l’expertise à propos de la transmission du coronavirus par les aérosols qui a été bien trop longtemps ignorée par les experts de la santé et les décideurs politiques. « Une approche interdisciplinaire aurait été nécessaire plus tôt, à tous les niveaux. »
« Absents du bureau pour être plus présents ensemble »
Pour Laurent Taskin, expert en management à l’UCLouvain, le télétravail intensif que nous avons connu marquera durablement notre rapport au travail, nécessitant une re-régulation du management, de l’organisation du travail et de ses espaces. « C’est en priorité la présence à l’autre, au collectif, à l’entreprise qu’il faut repenser dans un « demain » où nous serons plus absents des bureaux, mais mieux présents ensemble », explique-t-il.
« Le télétravail a amené un certain bien-être aux employés mais il a aussi créé de l’isolement et une perte des contacts sociaux. » L’expert explique que toutes les recherches qui ont été faites jusqu’à présent sur le télétravail peuvent quasiment être jetées à la poubelle car elles étaient basées sur un jour de télétravail isolé par semaine, ce qui n’est pas représentatif si l’on décide à l’avenir dans les entreprises d’instaurer 3 jours fixes de travail à domicile. « Avec le risque que l’on duplique à la maison ce que l’on fait au bureau. L’organisation des tâches n’en serait alors pas repensée. On a aussi des doutes sur la hausse de la productivité en cas de télétravail à temps plein », nuance-t-il.
Enfin, Renaud Mazy, administrateur délégué des Cliniques universitaires Saint-Luc, est revenu lors de cette conférence de presse sur gestion de la crise hospitalière. « On a vu une solidarité fantastique. Des aides-dentaires venaient laver des malades, des réceptionnistes devenaient brancardiers… c’était inédit. Nous n’avons jamais été dépassés car nous avons réussi à bien planifier notre organisation, notamment en étant en contact étroit chaque jour avec des collègues du Nord de l’Italie, et en faisant preuve d’une flexibilité insoupçonnée ».
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