Trois ans avec les militants de la N-VA: « Tous les médias s’en prennent à nous »
Bart De Wever, Theo Francken et les leurs ont développé une stratégie bien réfléchie dans les médias et sur les réseaux sociaux. Mais de quoi parlent-ils avec leurs militants et membres quand les caméras et les micros sont absents ? Le journaliste indépendant Aubry Touriel a suivi discrètement une dizaine de réunions internes de la N-VA à Anvers, pendant trois ans, pour Le Vif/L’Express. À travers son récit, il analyse la rhétorique du parti nationaliste flamand et dépasse les clichés qui l’entourent. Découvrez la N-VA depuis l’intérieur, en plusieurs épisodes d’une série qui pourrait s’intituler « La faute des autres ». Voici le second volet.
Mon article du 19 décembre 2014 a mis de l’huile sur le feu dans les relations entre la N-VA et Le Vif/ L’Express. Deux mois après publication, la rédaction du Vif publie un encart sur levif.be pour expliquer que la N-VA boycotte l’hebdomadaire :
« […] Il a toujours été difficile, pour les médias francophones, de travailler avec le parti nationaliste. Depuis la mi-décembre, c’est devenu tout simplement impossible pour Le Vif/ L’Express, privant ses 400 000 lecteurs de toute information émanant d’un parti qui occupe des postes-clés au sein du gouvernement fédéral.
Il s’agit de représailles à la publication d’un article dans notre édition du 19 décembre dernier. Le vendredi 12 décembre 2014, un journaliste freelance avait assisté, sous son propre nom, à une réunion à huis clos de la N-VA à Anvers, au cours de laquelle son président Bart De Wever avait notamment affirmé que le CD&V était « un problème ». La N-VA a contesté cette pratique journalistique, sans toutefois déposer la moindre plainte devant le Conseil de déontologie comme elle en avait le droit.
Depuis, toutes les demandes de contact avec des représentants de la N-VA ont été refusées, notamment une demande d’interview du vice-Premier ministre Jan Jambon au lendemain des attentats de Paris et une autre du ministre des Finances Johan Van Overtveldt. Quant au parti lui-même, il nous boycotte ouvertement. »
Ce n’est pas la première fois que la N-VA place un média sur liste noire. En septembre 2010, la RTBF a diffusé dans son émission Mise au point un reportage sur le passé de la famille de Bart De Wever. On y voyait une succession d’images comportant notamment la tombe du grand-père de Bart De Wever, Leon, qui a été membre du parti de la VNV (Vlaams Nationaal Verbond ou Ligue nationale flamande, parti nationaliste flamand fondé en 1933 qui obtint 17 % des voix en Flandre aux élections de 1939. Ce parti se lança, pendant la guerre, dans la collaboration politique avec l’occupant nazi) à Mortsel. Selon Bart De Wever, le reportage laisse insinuer qu’il a grandi dans une famille qui adhérait au nazisme. Il a ensuite décidé de boycotter le média public francophone pendant plusieurs mois. Il se justifiera dans sa tribune « Nazis flamands » le 21 septembre 2010 dans De Standaard :
« Il y a peu, la RTBF a diffusé un reportage comportant des images de la tombe de mon père pour ensuite mentionner mon grand-père, autrefois membre du VNV, saisissant ce prétexte pour truffer le sujet de photos de collabos en uniforme. Des dénonciations de mon prétendu nazisme continue d’apparaître dans un certain nombre de messages injurieux émanant parfois de Flamands, mais surtout de francophones. Il vaut de toute façon mieux faire toute la lumière sur le passé d’une société sans masquer la réalité plutôt que de juger en vertu d’une supériorité morale déplacée et basée sur l’ignorance collective. »
La N-VA a également boycotté Le Soir après la parution le 16 mars 2010 de la tribune de Jean-Paul Marthoz, « De Wooncode et la loi du talion. » En 2010, le gouvernement flamand a adopté le décret « Wonen in eigen streek » (Résider dans son propre terroir) dans le cadre du code du logement. Il prévoit que les terrains et les habitations dans certaines communes flamandes ne peuvent être vendus qu’à des personnes qui peuvent prouver qu’elles ont un lien suffisant avec la commune en question. Par conséquent, certaines familles francophones se sont vu refuser l’achat d’un logement sur le territoire flamand.
L’auteur estime dans son opinion que ce décret est discriminatoire et qu’il s’agit d’une vengeance des Flamands contre les francophones qui veulent s’installer en Flandre. Il compare cette mesure avec le massacre de centaines de chrétiens par des extrémistes musulmans au Nigeria qui se sont eux-mêmes vengés d’une tuerie dont les musulmans avaient été les victimes quelques mois plus tôt.
Bart De Wever a alors réagi en colère sur Radio 1 (VRT) : « Le Soir est un journal qui incite fortement à la haine et qui montre de temps en temps son vrai visage. Je ne veux plus accorder d’interview à ce journal. Je ne veux plus rien avoir à faire avec eux. »
Le Standaard, un bulletin paroissial
La N-VA n’entretient pas seulement des relations houleuses avec des médias francophones. Le quotidien De Standaard en est un bel exemple. « Ce journal et ses journalistes publient tout, tant que c’est contre la N-VA« , déclare Bart De Wever à VTM en février 2015. Le dirigeant de la N-VA ne digérait notamment pas le fait que le quotidien ait accordé pendant trois ans une tribune hebdomadaire à Abou Jahjah, militant pro-palestinien et fervent opposant à la N-VA.
Pourtant, De Standaard a aussi offert une tribune à Bart de Wever entre 2009 et 2013. Le quotidien a servi de porte-voix à l’idéologie du leader de la N-VA alors que le parti vivait une période de transition : de 13 % en 2009, la N-VA est passée à près de 32 % en 2014 au Parlement flamand.
Malgré ce tremplin, Bart De Wever n’exprime pas de reconnaissance envers le quotidien flamand, que du contraire. Le 22 septembre 2015, il est l’invité d’honneur de la rentrée de l’université de Gand. Le chef de la N-VA attaque à nouveau ouvertement De Standaard dans son discours.
Sur un slide, les étudiants gantois peuvent contempler la Une du journal du 4 septembre 2015 qui donne l’impression que des parents réfugiés sont en train de se faire agresser par les forces de l’ordre hongroises sur les rails de train avec le titre « Harde aanpak » (Méthode musclée). Une vidéo de Russia Today apparaît ensuite, on y voit les mêmes parents se jeter sur les voies alors que les policiers essaient de contrôler la situation.
« Voyez-vous des actes violents de la part de la police ?« , demande-t-il au public, « Était-ce objectif, nuancé, neutre ? C’est le bulletin paroissial de la correction du politiquement correct, c’est ça le Standaard. »
Le lendemain de son discours à Gand, Bart De Wever répétera en version accélérée son discours lors d’une réunion interne à Hoboken à laquelle j’ai assisté. Devant une centaine de membres rassemblés dans la salle Extra Time, il a repris à peu de choses près mot à mot son discours de la veille. Mais il s’est toute de même permis quelques anecdotes amusantes sur les étudiants gantois. Ce sont les petits « bonus » des réunions en interne :
« Ce sont tous des étudiants Sciences Po. La plupart sont entrés en étant contre moi. Ils étaient silencieux. Ils n’ont pas posé de questions profondes. C’est comme quand j’étais étudiant : ils sont arrogants, mais n’ont rien à raconter. Ils sont rentrés avec des T-shirts « I am a refugee » comme c’est infantile… Moquez-vous de quelqu’un d’autre alors que ce sont des fils à papa. Ils pensent qu’ils savent tout. »
La VRT, objective ?
Dans ce même discours, Bart De Wever s’en prend aussi à la VRT. Il raconte que Björn Soenens, alors rédacteur en chef du JT de la VRT, a déclaré que la chaîne publique flamande ne montrerait plus les images atroces de l’Etat Islamique (EI) dans l’actualité. « Les Flamands ne doivent plus les voir, car ce n’est pas constructif. Ça n’apporte rien« , indique Bart De Wever en reprenant les propos de Björn Soenens.
Le chef de la N-VA adopte quant à lui un autre point de vue : « Je ne vais pas non plus entrer dans le jeu de l’EI : c’est vrai, ils prennent ses vidéos, car nous allons les regarder. C’est une guerre de propagande, c’est vrai, mais il faut la montrer et l’expliquer« .
Le slide suivant contient une capture d’écran du profil Facebook privé du journaliste de la VRT où l’on y voit la photo d’Aylan, un petit Syrien de 3 ans dont le corps a échoué sur la plage turque. Une image qui a fait la une de tous les journaux européens. « Une atrocité n’est pas l’autre apparemment« , commentera Bart De Wever.
Ici, le dirigeant de la N-VA veut convaincre son public que Björn Soenens applique deux poids deux mesures en publiant des images horribles sur son compte Facebook. Pourtant, il compare des pommes et des poires : la ligne directrice d’un journal télévisé avec un compte Facebook privé et une vidéo de propagande de l’EI avec une photo réalisée par une agence de presse.
Les flèches à décocher vers la VRT ne manquent pas dans le carquois de la N-VA. Comme à la fin de chaque réunion interne, la parole est donnée au public et les membres peuvent poser des questions aux dirigeants. « Combien de combattants de l’EI passent par le flux des migrants ?« , interroge un militant.
« Ils n’ont pas besoin des migrants : s’ils veulent venir, ils viennent. L’EI est d’ailleurs le plus grand bénéficiaire du trafic d’êtres humains. En ce qui concerne le nombre de combattants qui arrivent via l’afflux de migrants : l’État islamique dit 4 000, la VRT : 0. Qui dois-je croire entre la VRT et l’EI ? Je vous laisse choisir… » S’en suit un tonnerre d’applaudissements.
Pour couronner le tout, un autre membre N-VA enchaîne : « La VRT peut-elle communiquer de manière objective ? » Et Bart De Wever de répondre : « Je présume que c’est une question rhétorique… » En remettant constamment en cause l’objectivité les médias de la sorte, la N-VA s’adonne à des techniques populistes utilisées outre-Atlantique par un certain Donald Trump.
Apache, média diffamatoire
L’attaque la plus cinglante de la N-VA envers un journal remonte à 2016. Cette fois-ci, le parti nationaliste s’attaque à Apache, un site d’investigation indépendant qui siège à Anvers, en quelque sorte le Mediapart flamand. Dans la Gazet Van Antwerpen, Bart De Wever avait déjà déclaré qu’il ne répondrait pas aux questions de ce « média diffamatoire ».
Les journalistes d’Apache suivent particulièrement les dossiers immobiliers, dont celui d’un ancien garage Renault au Tunnelplaats à Anvers. Une société des hommes d’affaires Maurice De Velder et Tom De Wilde a acquis le garage pour 5,8 millions d’euros en décembre 2012. Le jour même, la société a revendu ce garage pour 9 millions à une filiale de Land Invest Group, Société immobilière fondée par Erik Van Der Paal, un proche de Bart De Wever.
Apache (que Le Vif/L’Express va rejoindre dans ses investigations, qui vont aboutir au « Land Invest Gate », dans lequel le fonds de pension liégeois Ogeo Fund est impliqué : https://bit.ly/LandInvestGate) se pose des questions sur le rôle qu’a joué Joeri Dillen, membre N-VA, dans ce dossier. De septembre 2009 à juillet 2012, il était conseiller de l’échevin de l’Aménagement du territoire, Ludo Van Campenhout (N-VA). Entre juillet et décembre 2012, il occupait la fonction de directeur des opérations de Land Invest Group. Pour finalement devenir chef de cabinet de Bart De Wever.
Contre l’avis de l’organe public d’urbanisme, la ville accepte en août 2016 le projet de construction d’une tour à cet endroit. Du coup, Land Invest Group peut construire plus d’appartements que ce qui était officiellement prévu au départ. Les rentrées d’argent seront donc plus importantes. Le promoteur était-il au courant que la ville allait accepter une dérogation ? « Tous les promoteurs ont suivi les prescriptions sauf Land Invest Group. Les mêmes règles ne valent pas pour tous« , explique Kristiaan Borret, ancien maître-architecte d’Anvers.
En 2016, Joeri Dillen, ex-chef de cabinet de Bart De Wever et membre N-VA, introduit une action en responsabilité contre Apache. Il exige 100 000 euros de dommages et intérêts pour un préjudice matériel et moral à la suite de la publication d’une série de 17 articles. Land Invest réclame quant à lui 250 000 euros plus la suppression des articles concernant le Tunnelplaats. La raison ? Apache aurait diffusé des mensonges. « C’est une claire tentative de réduire Apache au silence », explique Karl Van Den Broeck, le rédacteur en chef du site d’informartion. « Au vu de la hauteur des montants, on dirait que le but est de mettre fin à Apache« , confirme Pol Deltour, secrétaire national de l’Association flamande des journalistes (VVJ).
Le 16 novembre 2017, Apache diffuse aussi une vidéo montrant une bonne partie du collège, dont Bart De Wever, arrivant à une fête d’anniversaire privée d’Erik Van Der Paal de Land Invest Group dans le restaurant de luxe ‘t Fornuis. Les soupçons de conflit d’intérêts continuent de planer.
Au final, Joeri Dillen et Land Invest ont été déboutés de leur action en 2019. Ils n’ont pas interjeté appel. Apache n’a donc pas dû s’astreindre au paiement des 350 000 euros de dommages et intérêts réclamés. Ce ne sera pas cette fois-ci qu’un membre de la N-VA parviendra à faire taire la presse indépendante.
Medialaan, Persgroep et les faveurs
« Vous n’avez aucun ami dans la presse. Tous les jours, tous les médias s’en prennent à la N-VA et notamment à ses ministres« , déclarait un membre du public lors de ma première réunion interne en décembre 2014. Cette phrase résume à merveille la rhétorique de la N-VA : le parti aime faire penser que tous les médias sont contre eux, cela renforce cette image d’anti-establishment.
Pourtant, c’est notamment grâce à ces mêmes médias que la popularité de Bart De Wever a grimpé. Sans médias, les Flamands n’auraient pas pu découvrir l’humour pince-sans-rire du chef de la N-VA dans De Slimste Mens Ter Wereld. Sans médias, il n’aurait pas pu propager son idéologie dans les rubriques du Standaard. Sans médias, il n’aurait pas non plus fait la couverture de P-Magazine avec sa main sur l’épaule de Miss Belgique…
En tant que président de la N-VA, Bart De Wever déclare ouvertement sa réticence envers de nombreux médias. En tant que bourgmestre d’Anvers, il accueille les bras ouverts les grands groupes de presse Medialaan et Persgroep Publishing. Ils sont en train de construire le bâtiment « Newscity », juste à côté de la gare centrale d’Anvers, un chantier de 1 900 m2.
News City rassemblera sous un même toit les rédactions de Het Laatste Nieuws, HLN.be, De Morgen, HUMO, Dag Allemaal et VTM Nieuws. Le studio de VTM Nieuws va également déménager de Vilvorde à Anvers, même si les émissions de divertissement seront encore produites dans le Brabant flamand.
« En plus de la forte présence de Mediahuis à Linkeroever (les bureaux de la Gazet Van Antwerpen et une partie de ceux de Nieuwsblad se situent sur la rive gauche à Anvers), News City institue Anvers comme la capitale médiatique de la Flandre« , se réjouit le bourgmestre d’Anvers dans un communiqué. Pour plaire aux demandes de Christian Van Thillo, le PDG de Persgroep, le conseil communal anversois a dû accorder certaines concessions.
Le plan régional d’exécution spatial prévoit en théorie que tout nouveau bâtiment construit dans cette zone doit contenir au minimum 30 % de logements destinés à l’habitation privée. L’architecte en charge du projet pour Persgroep avait tenu compte de ces critères lors de la rédaction du dossier. Son projet a d’ailleurs remporté l’appel de vente du terrain de 1 900 m2 pour la somme de 5 350 000 euros.
Mais le groupe de presse a ensuite demandé de modifier le plan : plus question d’habitations, seulement des bureaux avec un rez-de-chaussée où se trouveront notamment une brasserie et une salle de réception.
Le collège communal s’est exécuté. Il a envoyé une lettre à la ministre flamande compétente de l’époque Joke Schauvliege (CD&V) pour demander de modifier les plans selon les souhaits du groupe de presse. Demande approuvée. Cerise sur le gâteau : la place Kievit va être renommée en « place des Médias ».
Bart De Wever, qui avait repris les compétences du poste d’échevin au Développement urbain à la suite de la démission de Rob Van de Velde fin avril 2018, autorise donc tout de même quelques faveurs à certains médias… Les membres de la N-VA n’ont d’ailleurs jamais dit un mot de travers sur VTM ou les médias du Persgroep lors des dix réunions auxquelles j’ai assisté.
Joachim Pohlmann, le porte-parole de Bart De Wever, va même jusqu’à prendre la défense d’un journaliste de VTM dans sa tribune du Morgen en mars 2019. « Je vais défendre un journaliste. Ça change pour une fois« . Ce journaliste, c’est Patrick Van Gompel. Il a publié une photo de lui sur Twitter en compagnie de Tommy Robinson, cofondateur du mouvement d’extrême droite britannique l’English Defence League, et de Dries Van Langenhove, figure de proue du mouvement Schild & Vrienden, tête de liste indépendant sur la liste du Vlaams Belang dans la province du Brabant flamand pour les fédérales.
Cela illustre bien que la N-VA se montre assez sélective en matière d’indignation : Bart De Wever critique la photo d’un enfant syrien mort sur la côte méditerranéenne sur le profil Facebook privé de Björn Soenens de la VRT alors que son porte-parole défend un journaliste VTM pour avoir publié une photo de lui en compagnie de personnes aux intentions douteuses.
Antwerpse handjes
Bart De Wever accorde aussi parfois des petits cadeaux aux équipes de VTM. À la mi-décembre 2018, après la sortie de la N-VA du gouvernement suite à la polémique du pacte pour les migrations de l’ONU, les présidents de partis sont invités chez le Roi. Comme à son habitude, Bart De Wever aime surprendre. À son arrivée au Palais royal, où tous les journalistes sont amassés devant la grille, le président de la N-VA ouvre sa fenêtre et tend une boîte de… « Antwerpse handjes », des biscuits typiquement anversois en forme de main, le symbole de la ville. Il donne alors la boîte au journaliste politique de VTM Jan Demeulemeester en lui disant « c’est pour le caméraman. » Du côté de la N-VA, on s’attache donc à soigner ses relations avec certains journalistes…
La N-VA trie sur le volet la liste des médias/journalistes à qui elle accepte d’accorder une interview. Le jour des élections du 25 mai 2014, l’équipe du journaliste Paul Jambers est la seule à pouvoir suivre les moindres faits et gestes du leader le jour de l’élection. Pendant que tous les autres journalistes sont contraints d’attendre dans la rue ou dans la salle du congrès de parti.
« Le jour le plus long« , ce sera le titre du documentaire. Alors que la N-VA a enregistré de très bons scores à tous les niveaux, sauf à Bruxelles, on y voit un Bart De Wever stoïque, qui ne peut pas exprimer de joie. Il pense déjà aux étapes suivantes : comment son équipe va-t-elle s’organiser ?
Le film ‘se termine par Bart De Wever sortant les poubelles en lançant, à son habitude, une citation en latin : « Sic transit gloria mundi » (Ainsi passe la gloire du monde). Elle ne sera diffusée que le 9 septembre, soit quatre mois après les élections. « Je ne voulais pas influencer les discussions sur la formation du gouvernement. J’ai dit à Bart De Wever : je vais attendre qu’un gouvernement soit formé. Je pensais aussi que ce serait plus facile d’obtenir l’accord de la N-VA« , justifie Paul Jambers.
Rebelote pour les communales d’octobre 2018. Jambers et son équipe suivent à nouveau toute la journée Bart De Wever. Dans l’après-midi, les responsables N-VA anversois se sont réunis dans un lieu secret, la « war room » (Référence à un terme utilisé au départ dans le jargon militaire, mais a été repris dans la sphère politique pour expliquer un lieu tenu secret pour établir une stratégie), ou comme dirait l’humoriste Michael Van Peel – qui, pour l’anecdote, est le frère de Valérie Van Peel, députée N-VA – « la salle polyvalente ». Les cadors de la N-VA anversoise se sont en fait réunis dans une salle d’un hôtel pour suivre l’annonce des résultats sur VTM et discuter de la stratégie après le scrutin. Ici, aussi, la N-VA est sortie gagnante à Anvers.
Même si elle est passée de 37,7 % à 35,3 %, la N-VA conserve le même nombre de sièges au conseil communal de la ville d’Anvers : 23. Le bourgmestre d’Anvers vient d’apprendre que la coalition précédente (N-VA, CD&V, Open VLD) conserve la majorité, mais elle est très fragile : seulement 28 sièges sur 55. En d’autres termes, si un des membres de la coalition ne suit pas les ordres, il n’y a plus de majorité. Pour trouver une majorité plus stable, Bart De Wever doit dès lors se tourner vers les partis de gauche : Groen a 11 sièges et le SP.A 6. C’est à ce moment-là, devant les caméras de Jambers, qu’il enfile son costume de conciliateur, à la surprise des collègues présents : « Le temps de la réconciliation est vraiment venu. J’en ai marre de la guerre avec la gauche. »
Cette fois-ci, VTM n’attend pas quatre mois avant de diffuser le reportage, mais quatre… jours. Paul Jambers explique : « VTM a mis la pression pour qu’on diffuse le plus vite possible, ce que je comprends parce que c’était l’actualité. Bart De Wever a déjà tendu la main vers Groen avant, c’était déjà connu de tout le monde. »
Pour Wouter Verschelden, rédacteur en chef du média en ligne Newsmonkey, c’est du « mauvais théâtre » : « Bart De Wever va instrumentaliser Paul Jambers pour envoyer un message clair aux Verts à Anvers. Paul Jambers le sait très bien, mais il est content, car son émission devient un élément dans la politique. »
Finalement, Groen a refusé l’invitation de Bart De Wever et les socialistes sont de retour au « Schoon Verdiep » (littéralement « Le Bel Etage » : expression utilisée pour décrire l’Hôtel de ville d’Anvers). Assez ironique de voir les « sossen » – expression péjorative flamande pour qualifier les socialistes – s’allier avec la N-VA, un parti qui se félicitait il y a six ans d’avoir mis un terme à 80 ans de pouvoir socialiste…
Wanted : journalistes
Pour renforcer ses équipes, la N-VA fait notamment appel à d’anciens journalistes. Comme quoi, elle arrive quand même à trouver des alliés auprès des médias, contrairement à ce qu’elle prétend. Philippe Beinaerts, journaliste politique pendant cinq ans à VTM, était par exemple porte-parole de Bart De Wever avant de devenir son chef de cabinet. En soi, rien d’exceptionnel. Que ce soit au nord ou au sud du pays, il arrive souvent que des journalistes passent le pas vers les cabinets de politique.
Mais la liste ne s’arrête pas là : la N-VA a recruté une dizaine de journalistes dans ses rangs depuis 2014. Johan Van Overtveldt était passé de rédacteur en chef de Knack et de Trends à ministre fédéral des Finances. Siegfried Bracke, président de la Chambre, était auparavant journaliste à la VRT. Ancien présentateur de la VRT, Jan Becaus a été coopté comme sénateur par la N-VA entre 2014 et 2019. Mark Demesmaeker (VTM) est actif en tant que député européen.
Peter De Roover était rédacteur en chef du site d’informations nationaliste flamand Doorbraak avant de passer à la N-VA. Il était devenu le chef de groupe à la Chambre après le départ de Hendrik Vuye.
D’ex-présentateurs TV ou radio comme Carl Huybrechts et Manuela Van Werde sont aussi venus gonfler les rangs du parti nationaliste. Les anciens journalistes Michael Lescroart et Diederik Demuynck se sont fait employer par le parti comme porte-parole ou employé de cabinet N-VA.
Michael Freilich, ancien rédacteur en chef du magazine juif Joods Actueel, est le dernier journaliste en date à avoir pris sa carte de la N-VA en janvier 2019. Qui sera le ou la prochain.e ?
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