Transition énergétique: les cinq mesures pour un objectif Terre
Après les chiffres, place à l’action dans le pays de la non-décision. Des heures d’entretien avec les experts, il en ressort des dizaines d’idées, jusqu’ici trop peu explorées. En voici cinq.
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Il n’y a pas de plan B pour la planète « , entend-on partout. Jusqu’ici, il n’y a pas non plus de plan fédérateur pour la préserver. Les climatologues parlent en degrés de réchauffement, les gilets jaunes regardent leur facture et les boomers sont accusés de tous les maux. La transition énergétique ne se mesure pas qu’en gigawattheures. » Le débat sur l’énergie est trop souvent déconnecté des usages des gens « , observe le professeur Francesco Contino (UCLouvain). » Avec actuellement 24 % de citoyens en situation de précarité énergétique (en Wallonie) et un contexte de paupérisation croissante, le manque de cohésion sociale pourrait être un obstacle aussi important que les questions technologiques ou économiques « , souligne Ores, l’un des gestionnaires du réseau de distribution. Puisqu’il faut agir à tous les niveaux, voici donc cinq mesures concrètes pour accélérer la transition énergétique.
1. Un comité d’experts permanent
La Belgique ne manque pas d’études sur l’énergie, mais bien d’objectifs politiques assumés. Faut-il se réjouir que les constats de l’étude » Vers 100 % d’énergie renouvelable en Belgique en 2050 « , cosignée fin 2012 par le Bureau du Plan, soient toujours à ce point d’actualité ? » Il manque un vrai plan à trente ans, avec des objectifs intermédiaires chiffrés et révisables, par exemple tous les six mois « , plaide Benjamin Wilkin, secrétaire général de l’Association de promotion des énergies renouvelables (Apere). » On ne peut pas convaincre nos actionnaires de s’engager dans un projet sur vingt ans si les conditions changent tous les cinq ans « , résume Mark Van Hamme, pour Eneco. Afin d’assurer un suivi actualisé de chaque filière et de surmonter les enjeux électoraux, les partis pourraient déléguer à un comité d’experts permanent la conception d’un tel plan, après une large campagne de consultation. » Il faut une chaîne de décision rapide, mais aussi une chaîne d’expertise fiable « , souligne le professeur Pierre Henneaux (ULB). Ce comité devrait être composé de techniciens, mais aussi de sociologues pour travailler sur la demande, comme le préconise son collègue Michel Huart. » Culpabiliser les citoyens ne sert à rien, dit-il. Par contre, qu’est-ce qui pourrait inciter un groupe à opter pour des pratiques moins énergivores ? Voilà la question centrale. »
Équiper un dixième de la mer du Nord en éolien offshore couvrirait la consommation électrique de toute l’UE.
2. Intégrer le coût carbone au quotidien
Une piste parmi d’autres : permettre à chacun de calculer son propre bilan carbone, pour mieux le réduire par la suite. Sur son site, l’Agence wallonne de l’air et du climat (Awac) propose un module en ce sens. Mais il faut s’armer de patience pour établir un profil complet sur cet interface d’un autre âge. Ce n’est qu’après ce type d’effort pédagogique que les pouvoirs publics pourraient induire un changement sociétal. D’abord en montrant l’exemple, en jaugeant l’intérêt du moindre euro dépensé à l’aune du coût carbone sociétal qu’il pourrait générer. En s’inspirant de certaines entreprises ? » Spadel, par exemple, intègre déjà un coût du carbone fictif dans ses investissements « , salue Jehan Decrop, expert à la Fédération des énergies renouvelables (Edora). Ensuite, en osant éventuellement concrétiser le principe d’une taxe carbone sur la consommation de certaines énergies fossiles, en fonction des niveaux de revenus des ménages. A condition qu’une partie des bénéfices leur soit redistribuée et que l’autre partie alimente un fonds pour la transition énergétique. » Après dix ans de discussion, la Suisse a introduit en 2008 une taxe carbone sur le fioul domestique, poursuit Jehan Decrop. Depuis, elle y est sociétalement acceptée. » La Belgique, et singulièrement le sud du pays, est toutefois loin d’afficher le même niveau de vie que la Suisse. Selon les pays, la logique taxatoire n’est par ailleurs pas toujours la plus efficace, ni la mieux accueillie.
3. Organiser une demande flexible
Quand un risque de blackout se profile, généralement en hiver, certains grands consommateurs d’énergie en Belgique sont parfois invités à arrêter provisoirement leurs activités, en échange d’un dédommagement. Jusqu’où un pays pourrait-il, de manière plus pérenne, assurer la compétitivité d’une économie tournant au gré des aléas d’une production d’électricité toujours plus intermittente ? Un tel changement de paradigme pourrait alléger les besoins en stockage, et donc la facture finale de tous les consommateurs. L’étude de 2012 du Bureau du Plan y faisait déjà référence. En prenant l’exemple de l’industrie de l’acier, très énergivore, elle indiquait que les surcoûts causés par un arrêt temporaire de la production, en période de pénurie, seraient largement compensés par une reprise des activités au moment où l’offre en électricité serait abondante et les prix très faibles. De son côté, Damien Ernst (ULiège) estime qu’un tel système reste déconnecté des réalités industrielles. » Privilégions plutôt le stockage, via une recharge intelligente des batteries des voitures électriques. » Grâce au règne annoncé des compteurs électriques communicants, cette logique win-win profiterait aussi à chaque consommateur, qui pourrait bénéficier d’un prix de l’énergie ajusté quart d’heure par quart d’heure.
4. De l’éolien offshore belge chez les voisins
En Europe, cinq pays se partagent 99 % de la puissance installée éolienne offshore, comme le révèlent les chiffres 2019 de l’association WindEurope. Dans l’ordre : la Grande-Bretagne, l’Allemagne, le Danemark, la Belgique et les Pays-Bas. Ces derniers, qui disposent de longues côtes bordant la mer du Nord, pourraient-ils un jour partager leur potentiel venteux avec d’autres pays, comme la Belgique ? » Il y a certes des barrières géopolitiques, commente Michel Huart. Mais l’Europe d’aujourd’hui nous permet, dans une certaine mesure, de nous affranchir de ces questions territoriales. Avec d’éventuelles concessions à l’étranger où les entreprises belges pourraient, elles aussi, travailler. » S’il fallait encore douter de la pertinence d’une telle démarche, le professeur de l’ULB avance ce chiffre, purement symbolique : avec les technologies actuelles, équiper un dixième de la mer du Nord en éolien offshore suffirait à couvrir la consommation électrique de toute l’Union européenne. Plus largement, c’est aussi la philosophie du réseau électrique mondial ( global grid) proposé par Damien Ernst, qui travaille sur l’objectivation du coût de son modèle.
5. L’essor de communautés locales d’énergie renouvelable
Ces développements à grande échelle peuvent se concilier avec des initiatives à l’échelle d’un quartier, d’un immeuble ou d’un zoning. C’est tout l’enjeu des communautés locales d’énergie renouvelable, comme le rappellent Engie et Luminus. Elles consistent à mutualiser une source d’énergie (panneaux solaires, éolien, chaudière biomasse…) pour en optimiser l’autoconsommation et les coûts. Elles peuvent aussi contribuer à développer les réseaux de chaleur. Dans sa nouvelle directive relative à la promotion des énergies renouvelables, qui entrera en vigueur au 1er juillet 2021, l’Europe préconise une augmentation de 1,3 % par an de la part des sources renouvelables utilisées pour le chauffage ou le refroidissement. » La Flandre est bien plus avancée dans le développement des réseaux de chaleur, mais les choses bougent enfin à Bruxelles et en Wallonie « , constate Eric Monami, expert chez Edora. Dans la commune wallonne de Manhay, le village de Malempré s’est doté depuis 2014 d’un réseau de chaleur en achetant en priorité les combustibles auprès d’acteurs locaux. » Dans les zones déjà construites, le développement de réseaux de chaleur peut aussi se faire de manière opportuniste, par exemple quand un opérateur réalise des travaux d’impétrants « , conclut Eric Monami. D’autant que ces solutions locales contribuent, elles aussi, à alléger la charge du réseau.
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