Voici notre scénario pour la transition énergétique en Belgique
Pour couvrir ses besoins en électricité et surtout en chaleur, la Belgique 100 % renouvelable devra importer beaucoup d’énergie, la transformer et miser sur l’essor prometteur des gaz synthétiques. Voici le plan du Vif/L’Express à l’horizon 2050.
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La Belgique a beau s’être dotée d’un Plan national énergie-climat (Pnec) pour la période 2021-2030, le document de 629 pages ressemble à un catalogue de promesses formulées au futur simple. il ne dit rien sur la trajectoire future de chaque filière d’énergie renouvelable. Ni, dès lors, sur les choix politiques à assumer sur le long terme, dans les trois Régions, avec l’accord d’un maximum de partis. La fin de ce bon vieux nucléaire, par exemple : dix-sept ans que la Belgique en parle. Pourtant, les partis ne s’entendent toujours pas sur la radicalité du plan de sortie, prévu pour 2025. Une inaction coûteuse. » Mieux préparée, une sortie du nucléaire aurait coûté beaucoup moins cher que le mécanisme envisagé de rémunération des capacités « , constate Pierre Henneaux, professeur à l’ULB.
Mieux préparée, une sortie du nucléaire aurait coûté beaucoup moins cher.
En recoupant les analyses de 13 experts loin d’être unanimes, Le Vif/L’Express propose donc un scénario pour une Belgique 100 % renouvelable à l’horizon 2050. Il vise à évaluer le potentiel futur de chaque filière, en tenant compte de la sortie du nucléaire ainsi que des objectifs européens de 2030. Voici les principaux enseignements.
1. Le potentiel belge reste limité
Les énergies renouvelables 100 % belges (essentiellement l’éolien, le photovoltaïque et la biomasse locale) couvriraient moins de 35 % des besoins en 2050, même dans l’hypothèse d’une réduction de la consommation finale d’énergie de 40 % par rapport au niveau actuel – ce qui est très loin d’être acquis. Plusieurs experts estiment que la partie belge de la mer du Nord pourrait accueillir maximum 8 gigawatts (GW) d’éolien, contre un total de 2,2 GW attendu pour la fin de cette année. Même ordre de grandeur technique pour les éoliennes terrestres. Mais le scénario retenu ici est plus faible (6 GW, contre 2,2 à l’heure actuelle), vu les contraintes spatiales qu’elles engendrent et leur faible degré d’acceptabilité. » Les obstacles administratifs et le phénomène Nimby (NDLR : Not In My Backyard, pas dans mon jardin) nous compliquent la tâche, commente Mark Van Hamme, porte-parole chez Eneco. Un parc éolien, c’est six mois de construction mais huit à dix ans de procédures. » Les réticences autour du grand éolien terrestre ne permettent pas aux développeurs d’opter pour des modèles dernier cri, plus hauts et plus puissants, comme le rappelle la Fédération des énergies renouvelables (Edora).
Le photovoltaïque pourrait offrir plus de latitude. Notre plan intègre une puissance installée de 40 GW-crête en 2050 (contre 4,8 en 2019). En tenant compte d’une amélioration du rendement des cellules de demain, un tel parc équivaudrait à couvrir 300 kilomètres carrés en panneaux solaires, soit presque dix fois plus qu’aujourd’hui. Là encore, le potentiel réel est probablement supérieur. Mais il reste limité par la capacité du réseau, même modernisé, à encaisser les fluctuations intrasaisonnières et les pics de production. » Un scénario basé majoritairement sur le solaire pourrait générer des besoins colossaux en stockage électrique impliquant soit de nouvelles technologies, soit des moyens financiers très importants, soit les deux « , indique Ores, le principal gestionnaire de réseaux de distribution en Région wallonne.
2 La biomasse, toujours indispensable en 2030
Dans son plan national énergie climat, la Belgique s’est engagée à couvrir 18,3 % de sa consommation finale d’énergie par des sources renouvelables en 2030. Même avec une réduction significative de la demande, elle ne pourra pas atteindre cet objectif sans produire et importer de la biomasse (30 TWh dans notre calcul) pour les besoins en chaleur, sous forme de pellets ou de gaz renouvelables comme le biométhane, à injecter directement dans le réseau gazier. » Il y a moyen de faire beaucoup plus avec le potentiel existant, plaide Eric Monami, expert chez Edora. La biomasse n’est pas la première option, mais elle doit faire partie du bouquet. » Pour Hervé Jeanmart, professeur à l’UCLouvain, elle se profile comme une alternative aux énergies fossiles pour répondre aux besoins d’une partie des industries.Le scénario intègre aussi le développement futur de gaz et de carburants synthétiques, produits à partir d’électricité renouvelables et éventuellement associés à des procédés de capture de CO2 dans l’atmosphère. Timidement en 2030 (1 TWh), puis massivement en 2050 (90 TWh). Comme le gaz naturel, ceux-ci pourraient être acheminés sur de longues distances vers la Belgique, vu le faible potentiel local en la matière. Il s’agit toutefois d’un pari technologique, qui pose aussi la question de la sécurité d’approvisionnement et d’enjeux géopolitiques. En 2050, ces gaz synthétiques concurrenceraient une partie de la filière biomasse, d’où le recul de celle-ci.
3. Des importations massives d’électricité
Se dirige-t-on vers une société 100 % électrique en 2050 ? Certaines études l’affirment, mais ce n’est pas l’hypothèse retenue dans le graphique ci-contre. Il serait hasardeux, vu le niveau de connaissances actuel, d’imaginer une électrification de tous les besoins, comme pour l’aviation et l’industrie, même à un horizon aussi lointain. D’autant que le vecteur électrique n’est pas le plus efficace pour produire de la chaleur. En revanche, il semble acquis que la part des usages électriques augmentera dans les prochaines années. Dans le scénario d’une électrification de 63 % de la consommation finale (180 TWh), la Belgique devrait importer massivement de l’électricité verte (92 TWh) pour répondre à la demande.
Mais il semble tout de même possible de réduire les importations. En construisant des sites de production prioritairement connectés au réseau au-delà des frontières, par exemple au départ d’une partie non belge de la mer du Nord . En misant notamment sur les promesses de l’éolien flottant, comme le souligne Engie, dont un modèle a récemment été mis en service au large du Portugal. En reconvertissant des gaz synthétiques en électricité, même si les rendements actuels sont médiocres. Voire en misant sur le retour du nucléaire. Cette hypothèse n’est pas écartée par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), rappelle Luminus. Les small modular reactors (SMR), des versions miniatures des centrales nucléaires, pourraient par exemple faire partie du mix énergétique futur. » Ils peuvent être fabriqués plus rapidement et sont moins risqués que les générations actuelles, vu leur taille, leur système de sécurité passif et leur capacité à brûler les déchets nucléaires « , annonce le professeur Damien Ernst (ULiège). Dans l’attente d’un débat plus poussé sur la question, les SMR ne font cependant pas partie de notre scénario en 2050.
Cinq ans avant l’échéance fatidique, la Belgique n’est toujours pas unanime sur l’opportunité d’une sortie totale du nucléaire en 2025. Dans cette perspective, le gestionnaire du réseau électrique à haute tension, Elia, a estimé qu’il manquerait 3,9 GW afin de garantir la sécurité d’approvisionnement du pays. Ce chiffre tient compte de la probabilité d’une indisponibilité de quatre réacteurs nucléaires français. A lui seul, le marché de l’énergie ne suffira pas à attirer des investisseurs en ce sens, a confirmé la Direction générale Economie. Pour y remédier, le gouvernement fédéral a donc promulgué, en avril 2019, une loi instaurant un mécanisme de rémunération des capacités. Celui-ci consiste à rémunérer des fournisseurs candidats pour injecter leur électricité dans le réseau. Soit depuis la Belgique, soit depuis une unité basée à l’étranger mais connectée en priorité au réseau belge. Le mécanisme n’entrera en vigueur qu’après l’approbation de la Commission européenne. Les premières enchères devront avoir lieu en 2021 au plus tard. En février 2019, la coopérative limbourgeoise Nuhma et le groupe allemand RWE ont, entre autres, proposé de connecter sur cette base Claus C, une centrale au gaz d’1,3 MW installée aux Pays-Bas et mise à l’arrêt depuis 2014. Comme l’indique un rapport de 2018 du bureau PwC, le coût total du mécanisme sur quinze années » s’élèverait à 5,4 milliards d’euros, soit 344,9 millions d’euros par an « .
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