Spécial Bruxelles: l’après-Covid se dessine dans la capitale
Durement frappée par la pandémie, l’économie bruxelloise panse ses blessures alors qu’elle reste à la traîne sur le plan de la vaccination. L’instauration, depuis le 15 octobre, du Covid safe ticket n’arrange pas les affaires des secteurs obligés de le contrôler, surtout l’Horeca.
Dossier spécial Bruxelles
Durement frappée par la pandémie, l’économie bruxelloise panse ses blessures alors qu’elle reste à la traîne sur le plan de la vaccination. L’instauration, depuis le 15 octobre, du Covid safe ticket n’arrange pas les affaires des secteurs obligés de le contrôler, surtout l’Horeca. Mais là comme ailleurs, la reprise semble s’amorcer et on espère que le plus dur est passé. Tour d’horizon, du tourisme et de la restauration à la culture, en passant par le commerce et les entreprises. Sans oublier les Bruxellois, qui peinent à retrouver le sourire derrière le masque qu’ils n’ont jamais quitté.
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« Ce n’est encore qu’un frémissement, mais on sent une amélioration », témoigne Jean-Michel André, CEO de Limited Edition Hotels (le Jam, le Berger, le Jardin secret…). Après de longs mois de galère, dont certains ne se relèveront pas, l’Horeca, qui regroupe l’hôtellerie et la restauration, commence à retrouver des couleurs même si, au vu des dernières nouvelles sur le front de la Covid, voire des craintes évoquées par certains de nouvelles fermetures ou de nouveaux confinements partiels, tout le monde reste prudent.
C’est que le secteur a subi la double peine: obligation de fermeture pendant onze mois, au total, sur un an et demi pour les bars et restos, désaffection du tourisme de loisir et d’affaires pour les hôtels… mais également pour la restauration, qui vit en partie de l’appétit des visiteurs étrangers pour notre gastronomie. Surtout dans le centre-ville et les quartiers touristiques. Déjà éprouvées par les conséquences des attentats et du piétonnier avant le choc de la pandémie, des enseignes aussi mythiques que le Belga Queen (place de la Monnaie), le Greenwich (rue des Chartreux), la Brouette (Grand-Place) ou la Taverne du Passage (galerie de la Reine) ont été contraintes de mettre la clé sous le paillasson – ou de trouver un repreneur téméraire, comme c’est le cas pour la Taverne du Passage, censée rouvrir d’ici à la fin de l’année.
L’hôtellerie bruxelloise a réussi à garder la tête hors de l’eau en n’enregistrant quasi aucune faillite.
Touristes, le (timide) retour
En croissance d’année en année, le tourisme urbain était devenu une manne avant le coronavirus. Et un vivier d’emplois plus ou moins qualifiés puisqu’il représentait à lui seul plus de 8% des emplois bruxellois. « Les visiteurs ont dépensé deux milliards d’euros à Bruxelles en 2018, faisant vivre plus de 65 000 travailleurs, pointait dans nos colonnes le porte-parole de visit.brussels Jeroen Roppe. En 2019, on a atteint un record avec près de dix millions de nuitées, 2020 s’annonçait meilleure encore… Puis tout s’est effondré! »
Les chiffres StatBel les plus récents montrent encore une chute de la fréquentation hôtelière de 83% au premier trimestre 2021 par rapport à 2019, de 79% au deuxième trimestre et si ceux de l’été ne sont pas encore connus, le président de la Brussels Hotels Association (BHA), Yves Fonck, s’attend toujours à une baisse de 70%. Mais depuis la rentrée, pointe-t-il avec une infinie prudence, la tendance semble s’être enfin inversée: « En septembre, nos membres ont atteint un taux d’occupation d’environ 35% et en octobre, il devait frôler les 40%. » On se contente de peu. Les premiers à revenir sont les touristes issus… de Belgique ou des pays voisins, essentiellement le week-end. Or, avant la Covid, le gros de leur chiffre d’affaires était fourni aux hôtels par les voyageurs d’affaires en semaine, avec des taux d’occupation dépassant les 90% du mardi au jeudi. La BHA ne s’attend pas à les voir revenir en masse de sitôt, quand on sait que même les institutions européennes continuent à privilégier le travail à distance.
Malgré l’impact catastrophique de la crise sanitaire, l’hôtellerie bruxelloise a pourtant réussi à garder la tête hors de l’eau en n’enregistrant quasi aucune faillite. Même si un fleuron comme le Steigenberger Wiltcher’s a annoncé un plan de restructuration avec quatre-vingt-cinq licenciements à la clé (la moitié de son effectif! ), le secteur a parallèlement salué l’arrivée de nouveaux venus haut de gamme, avec l’ouverture en septembre d’un cinq étoiles sur la place des Martyrs (l’hôtel Juliana), du Double Tree by Hilton (place Rogier) et plusieurs ambitieux projets sont dans les cartons, dont un quatre étoiles dans l’ancien bâtiment de la Royale Belge, à Auderghem.
L’hypercentre est encore fort touché alors que l’Horeca reprend dans les quartiers plus périphériques.
Tous avaient été lancés avant la pandémie, mais certains pensent aujourd’hui qu’ils arrivent à point nommé pour doter la capitale européenne d’une plus grande capacité d’accueil pour des congrès et réunions professionnelles… à taille réduite. Soit quelques dizaines ou centaines de personnes au maximum, là où les grand-messes de plusieurs milliers de participants risquent d’être rayées pour longtemps des agendas business. Exclue de ces shows à l’américaine par manque de capacité d’accueil, Bruxelles aurait donc une carte à jouer dans ce nouveau contexte, souligne Marion Flipse, spécialiste du secteur hôtelier et responsable de la communication du Juliana. Une option B pour Bruxelles, en quelque sorte – pour paraphraser la campagne lancée par la Ville pour tenter, elle aussi, de faire revenir les visiteurs au centre-ville.
En attendant, reconnaît Jean-Michel André, le secteur doit sa survie aux aides dont il a bénéficié grâce, notamment, aux efforts de la BHA, du chômage temporaire aux subsides régionaux (1 100 ? par chambre, prise en charge des 13e et 14e mois en 2020…), en passant par les plans de relance initiés en 2020 et 2021 par visit.brussels (cinq millions d’euros à la clé). Et Yves Fonck « lance un cri au gouvernement » pour le maintien des aides au moins jusqu’à fin 2021, dont le financement des primes de fin d’année, estimant que le secteur pourrait s’en passer dès 2022 – du moins ses membres qui auront survécu. Mais il ne s’attend pas, d’après les études, à un retour à la normale avant 2024, pour autant que Bruxelles « arrive à se positionner comme une destination attractive sur la scène internationale ». Le travail promotionnel est en cours à différents échelons (Région, Ville de Bruxelles, Beci, visit.brussels…), il lui reste à produire ses effets. « Et surtout à se montrer plus créatif », plaide Jean-Michel André.
S’il a mangé son pain noir, l’Horeca bruxellois ne l’a pas encore digéré.
La restauration retient son souffle
C’est aussi le souhait du jeune entrepreneur Rafael Nataf, déjà propriétaire de brasseries et resto-bars aussi emblématiques que La Chaloupe d’Or (Grand-Place) ou l’Ultime Atome (Ixelles), qui s’est lancé le défi de redonner son lustre d’antan à la Taverne du Passage malgré la crise. « On sent que l‘hyper-centre est encore fort touché alors que l’Horeca reprend dans les quartiers plus périphériques », où les restaurateurs peuvent compter sur une clientèle locale, avide de retourner au restaurant après des mois de privation.
« L’instauration du Covid Safe Ticket n’arrange rien: on sent une différence à la baisse depuis son entrée en vigueur alors que, lorsqu’il avait été imposé en France, la restauration bruxelloise avait bénéficié d’une fréquentation en hausse de visiteurs français. » Avant que le Codeco du 26 octobre ne décidât de généraliser le pass à tout le pays, les enseignes de la capitale craignaient un départ massif vers la Flandre de leur clientèle la plus réfractaire au vaccin ou aux contrôles. L’exode gastronomique, s’il a eu lieu, n’aura duré que quelques semaines.
L’autre mesure qui fait du tort au secteur est fédérale, mais les professionnels bruxellois ne sont pas les derniers à s’en plaindre: il s’agit de la TVA. Le gouvernement a réduit le taux à 6% pour la restauration en mai, afin de soutenir les cafés et restaurants autorisés à reprendre leurs activités – d’abord en terrasse, puis à l’intérieur. Coup de massue à la rentrée, lorsque le ministre des Finances a annoncé la fin de la mesure et le retour au taux normal dès le 30 septembre, alors que le secteur espérait la voir prolongée au moins jusqu’à la fin de l’année.
Arnaud Mestdagh, cofondateur de La Meute, qui a ouvert le 8 mai une deuxième adresse à Uccle après le succès de l’enseigne à Flagey, en avale son filet pur de travers. « C’était une excellente mesure dont on a pu voir les effets cet été et voilà qu’à peine le secteur entrevoit-il une timide reprise, ils relèvent la TVA sans ménagement. Les clients qui se plaignent du prix de l’addition ne se rendent pas compte des charges que les restaurants supportent et la TVA vient en supplément. Alors qu’on subit de plein fouet l’augmentation du prix des matières premières alimentaires: celui de la viande, par exemple, a littéralement explosé. »
Déception, aussi, du côté des primes régionales de soutien au secteur qui n’ont atteint « que » 3 000 euros par établissement contraint de fermer pendant le confinement. « De quoi nourrir un sentiment d’injustice quand on constate les différences entre primes octroyées par les Régions à des établissements qui ont été obligés de fermer, regrette Séverine Berger, patronne du Parvis, une institution d’Uccle-Centre. En Flandre, l’aide était proportionnelle au chiffre d’affaires alors qu’elle était fixe à Bruxelles et sans lien avec nos frais réels, qui continuaient à courir pendant toute la période de fermeture. »
Comme partout ailleurs dans la capitale, la situation apparaît contrastée. « Les gens veulent à nouveau sortir, se faire plaisir, découvrir de nouveaux établissements », se réjouit Arnaud Mestdagh. Cela suffira-t-il à relancer la machine? « Je suis toujours sur le fil, je n’ose rien investir, j’ai dû déménager pour m’installer au-dessus de mon établissement, emprunter, je travaille quinze à dix-sept heures par jour et je ne me suis pas payée depuis deux ans… Je vous avoue que j’ai longtemps hésité à tout arrêter mais j’ai tellement de dettes que je n’ai pas le choix: il faut que j’avance. Et tout le monde est dans le même cas », lâche Caroline Case. Elle porte son bar-à-manger ucclois Chez Musette à bout de bras après avoir été forcée à fermer le Stam, une institution qu’elle possédait à Matonge et qui n’a pas résisté à la Covid. S’il a mangé son pain noir, l’Horeca bruxellois ne l’a pas encore digéré.
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