Séverine Evrard, avocate et médiatrice : « La discrimination, c’est la difficulté de voir l’autre comme un autre soi-même »
C’est la colonisation qui a fondé la différence dans le rapport entre Belges et Afro-descendants, estime Séverine Evrard, avocate et médiatrice. Mais tout n’est pas perdu.
La sous-représentation de la population noire en Belgique concerne-t-elle tous les secteurs ?
Elle s’observe dans tous les milieux. Il y a quelques années, lors d’un événement organisé par une maison d’édition juridique, j’étais la seule métisse – je suis quarteronne congolaise – parmi cinq cents invités. Il ne s’y trouvait aucune personne noire. Dans tous les milieux intellectuels, la communauté noire a très peu de place. Cela tient à plusieurs facteurs. D’abord le sentiment, pour un Afro-descendant, de devoir toujours faire plus qu’un Blanc pour obtenir la même reconnaissance. Si un étudiant belge a une cote de 16/20 à son examen, l’Afro-descendant devra réaliser une prestation de niveau 18/20 pour obtenir 16. Cela tient à un manque de confiance bilatéral : des Belges par rapport aux Afro-descendants, dont ils doutent de la gestion, de la réflexion et des compétences. Et des personnes noires elles-mêmes qui, du fait de ce regard, peuvent avoir une piètre estime d’elles-mêmes.
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A quoi cela tient-il ?
A l’histoire et à l’inconscient collectif par rapport à la colonisation, notamment. Cette démarche s’inscrivait, non dans la coconstruction, mais dans une forme d’exploitation d’un territoire, d’un sol et d’une population au service d’un intérêt unilatéral. Cela a fondé une différence dans le rapport entre Belges et Africains car dès lors, l’autre n’était pas un égal mais » au service de « . Induite, cette domination du Blanc par rapport au peuple africain est inscrite, qu’on le veuille ou non, qu’on le sache ou non.
Avez-vous ressenti, dans votre parcours de vie, cette forme de domination ?
Plutôt que de domination, il m’est arrivé, à certains moments, de sentir de la discrimination, teintée d’un paternalisme pas toujours conscient. Un paternalisme inutile, qui relève d’une forme d’ignorance, et qui a suscité chez moi de la colère et de la tristesse.
Votre parcours universitaire a-t-il modifié le regard que vous sentiez posé sur vous ?
J’ai réussi dans mon cursus avec aisance et obtenu une place dans un cabinet avant la fin de mes études. Je suis allée puiser la confiance nécessaire dans mes propres ressources et ai appris à cultiver une forme d’autonomie, en deux temps. D’abord, j’ai fait preuve d’un certain conformisme pour montrer ma capacité à répondre aux attentes. Ensuite, j’ai développé mes valeurs et aspirations personnelles, dans mon propre projet professionnel : j’applique une forme de haute collaboration avec les membres de mon équipe. On y capitalise sur les points communs et les différences, vues non comme des obstacles mais comme positives et complémentaires.
En tant que femme, avez-vous ressenti une autre forme de discrimination ?
Quand je suis arrivée au Barreau en 1995, j’étais femme, Afro-descendante et stagiaire. Je cumulais donc toutes les tares ! Mais j’en ai fait un atout et une force. Cela dit, la discrimination demeure, c’est une difficulté à voir l’autre comme un autre soi-même. La discrimination est le fruit de la méconnaissance du rapport fondamental à l’autre. Or, nous sommes tous liés, venus d’une même énergie et d’une même source. Cette ignorance entraîne des comportements qui provoquent des souffrances chez l’autre.
Y voyez-vous une issue ?
Oui, et je suis plutôt confiante. Chaque être humain doit prendre conscience de qui il est, en matière d’intelligence et de coeur. Il ne sert à rien de se laisser guider par ses peurs, à la source du racisme comme du machisme. Que ce soit dans sa sphère professionnelle, sa famille, son cercle amical, son couple, c’est travailler chacun ses peurs pour laisser son coeur rayonner qui fera avancer le monde.
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