En Belgique, l’école des inégalités
Un constat clair : les élèves d’origine africaine réussissent moins bien que les élèves d’origine belge. Revue de quelques chiffres percutants.
C’est une espèce de « test racisme » sur le terrain qu’ont mené la VUB et l’université de Gand (UGent). Des chercheurs se sont fait passer pour des parents d’enfants en âge d’entrer à l’école maternelle. Pour cela, ils ont adressé un courriel à plus de 2.243 établissements néerlandophones en Flandre et à Bruxelles, dans lequel ils demandaient des informations sur la procédure d’inscription ainsi qu’une visite personnelle des lieux. Dans les mails envoyés, en août 2018, ils ont présenté six profils fictifs : deux parents belges, d’origine subsaharienne et d’origine maghrébine. Ils ont également ajouté une variable socio-économique, des couples s’affichant issus de la classe moyenne ou d’un milieu populaire.
Qu’en ressort-il ? Presque tous ont reçu une réponse, loin d’être identique… Ainsi les familles d’origine belge ont 70% de chances de pouvoir inscrire leurs enfants. Elles ne sont plus que 40% pour celles d’origine subsaharienne et 38% pour celles d’origine maghrébine. Lorsque les chercheurs associent l’origine ethnique au niveau socio-économique, les parents belges de la classe moyenne ont 76% de chance d’être invités, contre 36 % pour les Belges les moins nantis. Ce dernier chiffre baisse à 18 % et à 22% pour les parents originaires d’Afrique subsaharienne et les parents originaires du Maghreb issus d’un milieu vulnérable.
u003cstrongu003eLes débuts de la scolarité sont souvent décisifs pour la suite. u003c/strongu003e
Selon les auteurs de l’enquête, jamais une étude n’avait objectivé scientifiquement la discrimination à l’oeuvre dès les petites classes. Rien de similaire du côté francophone, où la collecte de statistiques dites « ethniques » demeure très contrôlée, mais permise au cas par cas, très souvent à des fins scientifiques. « Mais si l’enquête devait être conduite dans les établissements francophones, nous aboutirions aux mêmes résultats », assure Peter Stevens, de l’UGent.
Il existe tout de même des données éparses et elles fournissent une photographie en pointillé. Une précaution, cependant. Les informations disponibles pour mesurer l’origine ethnique au sein des bases de données administratives sont restreintes. Les variables ethniques se limitent en effet à la nationalité de l’élève, laquelle est loin de rendre compte de sa « communauté d’origine ».
Une étude (1), réalisée en 2015 par l’ULB et l’ULiège, quand le redoublement en 3e maternelle était encore autorisé (il doit, désormais, être « exceptionnel »), montre qu’à niveau social équivalent et toutes origines confondues, les élèves de nationalité non européenne (sans plus de précision, toutefois) présentent de 1,5 à 2 fois plus de risques d’être maintenus en maternelle que les élèves belges. En revanche, il n’y a pas de différence significative entre les élèves belges et ceux de nationalité européenne. « Il semble donc bien exister un effet propre à l’origine ethnique puisque « à origine sociale constante », les élèves « hors Union européenne » présentent plus de risques de redoubler », conclut l’un des auteurs.
Or, « les débuts de la scolarité sont souvent décisifs pour la suite », rappelle la sociologue Marie Duru-Bellat, spécialiste des questions d’éducation. De fait, la moitié de ces petits redoublants arrivent à l’heure en 4e primaire, c’est-à-dire sans avoir recommencé une année. La moitié restante répète soit une année (24 %), soit fréquente l’enseignement spécialisé.
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Par ailleurs, jusqu’en 2010, les « Indicateurs de l’enseignement », édités annuellement par la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), renseignaient la part des élèves de nationalité étrangère inscrits dans l’enseignement spécialisé. D’abord, ils sont plus nombreux : 12,5% au niveau fondamental et 19,9% au niveau secondaire alors qu’ils ne sont que 9,3% et à 10,4 % dans l’ordinaire. Cette différence s’explique surtout par un nombre important d’élèves de nationalité française non domiciliés en Belgique. Cela posé, en primaire spécialisé, la part d’élèves originaires de la République démocratique du Congo (RDC) et celle du reste de l’Afrique représentent chacune 0,7% des effectifs, contre 0,8% pour le Maroc et 0,4% pour la Turquie. En secondaire, les chiffres affichent des proportions équivalentes : 0,6 % pour la RDC, 0,7 % pour le reste de l’Afrique, 0,9 % pour le Maroc et, enfin, 0,3 % pour la Turquie.
D’autres repères permettent d’affirmer que, au fil des âges, les désavantages scolaires persistent. Le « Baromètre de la diversité dans l’enseignement » en FWB, réalisé en 2019 par l’ULB à la demande d’Unia (l’institution publique indépendante qui lutte contre la discrimination et défend l’égalité des chances en Belgique), le confirme fortement. Ainsi, en primaire, plus de 90% des élèves belges sont à l’heure, contre 80% des élèves étrangers, dont 76% de nationalité turque, 78% de nationalité congolaise, 78% de nationalité non européenne et 84% de nationalité marocaine. En 5e secondaire, la proportion de Belges qui n’accusent encore aucun retard est de 39%. Ce taux se limite à 18% parmi les non-Belges. Quant aux élèves de nationalité congolaise, ils sont à près 90% dans cette situation.
Au premier rang des inégalités, l’orientation, sur laquelle les établissements pèsent. En 5e secondaire, 40 % des élèves belges fréquentent la filière d’enseignement général, contre 22% des Congolais et 23% des Marocains. En 5e professionnelle, on compte 17% d’élèves de nationalité belge, contre 36% de Congolais et 45% de Marocains.
Est-ce parce qu’ils font partie des populations les moins favorisées, ou parce que l’institution scolaire ne les traite pas de la même manière ? Des travaux tentent de croiser l’indice socio-économique et la nationalité. Les taux de réussite des étrangers sont inférieurs à ceux des Belges à niveau identique. Leur conclusion : la faiblesse socio-économique reste la variable la plus forte, mais l’origine ethnique ne peut être évacuée, parce qu’elle est associée à la langue parlée à la maison, au lieu d’habitation et au regard que l’école pose sur elle… Bref, tant les élèves d’origine maghrébine que ceux d’origine africaine cumulent des indicateurs d’exclusion, que l’école se révèle impuissante à contrer. Quand elle ne les aggrave pas.
Risque de pauvreté plus élevé
Une récente étude, réalisée par l’ULB pour le compte de la Fondation Roi Baudouin (1), indique qu’au cours de la période 2004-2010, 75% des mères qui ont accouché en Région bruxelloise sont issues de l’immigration : 39% sont de nationalité étrangère et 36% sont d’origine étrangère (première nationalité non belge).
Toujours selon l’étude, avoir une mère d’origine non européenne multiplie par trois le risque de naître sous le seuil de pauvreté. Les petits les plus à risque de pauvreté sont les enfants dont la mère provient d’un Etat d’Afrique subsaharienne : à Bruxelles, 70% d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté et 39% vivent dans une famille monoparentale. C’est la communauté la plus à risque, avant les petits Maghrébins (65%), les enfants dont la maman vient d’Europe de l’Est (61%) ou de Turquie (60%). Le taux de pauvreté des petits Bruxellois d’origine belge est, lui, comparable à la moyenne nationale : 18,3%.
(1) « Analyse des causes et conséquences du maintien en 3e maternelle », rapport final, Service général de pilotage du système éducatif, ministère de la Communauté française.
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