Philippe Jottard
Sauvegardons notre langue des anglicismes ! (carte blanche)
Alors que la Fédération Wallonie-Bruxelles prépare un décret sur l’écriture inclusive, les députés ne devraient-ils pas plutôt tenter de réduire l’usage des anglicismes ?, s’interroge l’ambassadeur honoraire Philippe Jottard.
Une Commission parlementaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles propose le vote d’un décret imposant l’écriture inclusive. Il s’agirait de consacrer l’égalité des sexes dans la langue par l’élimination de la primauté du genre masculin. Objectif louable qui correspond à l’évolution des esprits et des moeurs. Toutefois l’écriture inclusive suscite de sérieuses questions pédagogiques et grammaticales et nourrit un vif débat idéologique.
Ses détracteurs dénoncent sa complexité, les difficultés qu’elle cause à la lecture, à l’écrit et à l’apprentissage, spécialement pour les dyslexiques et l’accusent d’enlaidir la langue. Le ministre français Blanquer l’a proscrite dans les écoles au motif qu’elle serait un obstacle à la lecture et à la compréhension de l’écrit. C’est le cas aussi en France dans les usages administratifs.
Fort heureusement des solutions simples existent qui permettent d’éviter la forme la moins esthétique et la plus complexe de l’écriture inclusive, celle qui prévoit l’inclusion des deux genres par l’adjonction de points médians. Outre la féminisation déjà actée des noms de métier, la langue, comme le préconise d’ailleurs l’écriture inclusive, permet déjà de rendre justice aux deux sexes par l’utilisation de formes doubles (par exemple dieux et déesses), noms collectifs (la famille) ou qui ne renvoient pas à un sexe particulier (la personne). Point besoin d’un décret qui divisera la société et l’espace francophone, enlaidira la langue et ajoutera de nouvelles difficultés à son apprentissage déjà mal en point !
Que nos parlementaires tentent plutôt de remédier à la pénétration excessive et toujours plus forte des anglicismes dans le français et ceci jusque dans la communication publique ! M. Pierre-Yves Jeholet, ministre-président de la Communauté française, Mmes Désir et Glatigny, ministres en charge de l’enseignement, et vous les responsables régionaux et bourgmestres, ne voilà-t-il pas un problème bien plus grave qui devrait vous inciter à légiférer ou agir ?
Ne dites pas qu’il s’agit d’un effet de mode, d’un phénomène de société contre lequel on ne peut rien faire. Cette évolution est loin de correspondre à la volonté générale ! C’est en effet d’abord une question de volonté politique. Le Québec et, en dehors de la francophonie, l’Islande, ont trouvé la parade. L’Islande islandise les termes étrangers et l’usage des pictogrammes y est très fréquent.
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Certaines de nos autorités et administrations par contre n’hésitent pas à afficher communications et slogans parfois uniquement en anglais: Get Up Wallonia ! Buy in Ciney ! Welcome to Stockel Village ! A Bruxelles, l’anglais domine dans la publicité pour les spectacles culturels. Un exemple pour rire ou pleurer: We art XL. Tout ceci est pitoyable, inefficace, inadapté et méprisant pour nos concitoyens dont une large part ne comprend pas l’anglais et dénote un manque de respect à l’égard de notre langue. Nos autorités doivent être exemplaires.
J’entends déjà les objections: « l’anglais est aujourd’hui la première langue de communication dont on ne peut se passer ». Cela est bien sûr le cas dans certains domaines mais là n’est pas la question. Il importe en effet de sauvegarder ce qui est notre première patrie, notre langue. Aucune agressivité contre l’anglais, ni de nationalisme linguistique mais aussi pas de servilité ! En Belgique, l’anglais, arguent certains, est un moyen de communication entre le Nord et le Sud. Apprenons plutôt la langue de l’autre, ce qui conduira à mieux l’apprécier. En Wallonie, rendez obligatoire l’étude du néerlandais. Abandonnons aussi cette idée néfaste qui ferait de l’anglais la langue de la région bruxelloise érigée en district européen et vise à éliminer le français de cette région où les francophones sont majoritaires. Pour les Bruxellois francophones et les Wallons, il est impératif de maintenir les liens qui les unissent travers le français.
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Autre objection entendue: les emprunts à l’anglais enrichiraient notre langue. Or ce rythme qui s’accélère comme jamais sous l’effet des médias électroniques, menace l’avenir de la langue. N’introduisons pas un mot ou toute une phrase en anglais comme ces personnes inconscientes, paresseuses, ces cuistres ou les professionnels de la publicité et de la communication ! Utilisons le terme français: traçage au lieu de tracing, sûr ou sécurisé de safe, défi et non challenge. Inventons un équivalent français. Logiciel a réussi mais pas encore infox.
L’anglais comporte une multitude de mots français qui ajoutent à sa richesse. Certes mais cette francisation du vieil anglais date de la conquête normande qui a fait du français la langue de la cour et de l’élite pendant deux siècles. L’anglo-américanisation en cours qui frappe à des rythmes divers les langues européennes, n’est pas une conquête territoriale mais une conquête des esprits. Le rythme actuel d’emprunt de l’anglais aux autres langues est sans commune mesure avec le phénomène contemporain d’anglicisation du français. On objectera aussi que le français était la langue internationale jusqu’au début du XXe siècle. Exact, mais au contraire de notre époque, son usage était bien plus limité et sa diffusion ne bénéficiait pas des moyens électroniques qui font pénétrer l’anglais dans tous les esprits.
Solution de facilité
Certains linguistes sous-estiment le défi. A leurs yeux, tant que la syntaxe n’est pas atteinte, l’avenir du français n’est pas menacé. Ce constat n’est pas réaliste car la syntaxe souffre également. Bien plus, l’accumulation de termes anglais finira par dénaturer la langue et à faire préférer l’original à un jargon.
La quasi-totale domination de l’anglais dans les communications de l’Union européenne est une solution de facilité encore moins acceptable après le Brexit. Les idiomes de plus grande diffusion de l’Union méritent une place plus large comme principales langues de communication et de travail. La seule langue européenne partagée, c’est l’interprétation et la traduction (Barbara Cassin). De plus, vu que le phénomène affecte toutes les langues continentales, ne serait-il pas efficace d’examiner ensemble la parade ?
Il est évident que toute langue évolue, mais la résistance ou non par nos contemporains à la pression inédite exercée par l’anglais sera décisive pour l’avenir de la langue. Francophones, ressaisissez-vous !
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