Rentrée politique: un gouvernement va-t-il tomber?
Entre polémiques et catastrophes naturelles, entre divergences idéologiques et rivalités électorales, entre haines personnelles et conflits ponctuels, les différents gouvernements du pays, la Vivaldi en tête, ne brillent pas par leur unité. De là à tomber bientôt?
On n’a jamais tant parlé de sortie que lors de cette rentrée politique. Après deux saisons très rudes pour la Vivaldi, beaucoup d’observateurs se demandent même si elle va passer l’automne. Le 10 septembre, la VRT le demandait même à Georges-Louis Bouchez. « Il est certain, pour moi, que nous resterons dans le gouvernement Vivaldi jusqu’en 2024 », répondait le président du MR, régulièrement taxé de déloyauté par des partenaires- adversaires qui ne l’épargnent pas. Ce sont d’ailleurs ces mêmes partenaires-adversaires, écologistes et socialistes, qui ont, au cours de l’été, explicitement mis leur démission sur la table du gouvernement si la grève de la faim des sans-papiers se terminait par un décès. Quelques semaines plus tôt, c’est autour du port du voile à la Stib que la chute de l’exécutif régional bruxellois, divisé entre partisans d’une neutralité exclusive et défenseurs d’une neutralité inclusive, était évoquée. Et les inondations de juillet ont mis le gouvernement wallon, et particulièrement son ministre écologiste des Infrastructures (notamment hydrauliques), Philippe Henry, à l’épreuve.
Ces trois coalitions, fédérale, bruxelloise et wallonne, sont-elles pour autant à l’aube de leur crépuscule? Dans les discussions internes, certaines têtes dures le disent parfois. Ils ne sont pas nombreux, les militants socialistes ou écologistes, à se réjouir de leur association avec le MR au fédéral et en Wallonie. Et ils ne sont pas moins fournis, au MR, les rangs de ceux qui trouvent que ces équipages ne mènent pas à de grandes conquêtes réformatrices. Mais les derniers exemples de départ d’un gouvernement viennent calmer durement ces velléités de pureté: ni la N-VA de Bart De Wever, forçant fin 2018 Charles Michel à la démission pour avoir signé le pacte des Nations unies sur les migrations, ni le CDH de Benoît Lutgen, remplaçant en juin 2017 le PS par le MR au gouvernement wallon, n‘ont profité de ces bouleversements. Les deux ont compté parmi les principaux perdants du scrutin de mai 2019.
Beaucoup de ces tensions naissent, s’accentuent et se déterminent au plus haut niveau, celui des présidents de parti, toujours compétents en dernier ressort. Mais chaque entité présente ses propres spécificités, notamment légales. Et ses propres contraintes, difficilement surmontables, même pour les plus déterminés.
Au fédéral
Situation. Les sept signataires de l’accord du gouvernement n’étaient d’accord sur rien au moment de le rédiger, et ne sont toujours d’accord sur rien au moment de l’appliquer. Un parlementaire MR a déjà annoncé ne plus se sentir lié par les actes de la secrétaire d’Etat écologiste à l’Egalité des genres et des chances. Mise sous pression par les libéraux Egbert Lachaert et Georges-Louis Bouchez, la ministre socialiste des Pensions a présenté à la presse une réforme des Pensions que le libéral Alexander De Croo tardait à mettre à l’ordre du jour du conseil des ministres et que les libéraux Egbert Lachaert et Georges-Louis Bouchez ont démolie. La même tournure narrative pourrait se reproduire en novembre, lorsque la ministre écologiste de l’Energie, Tinne Van der Straeten, se présentera au rendez-vous fixé par l’accord de gouvernement sur le respect du calendrier d’extinction des sept réacteurs nucléaires du pays. Ou, par symétrie, lorsque le ministre démocrate-chrétien des Finances Vincent Van Peteghem, ou son camarade des Migrations, Sammy Mahdi, devront faire valider leurs projets respectifs de réforme par leurs collègues de gauche. Quelqu’un finira-t-il par briser cette mécanique de l’immobilisme?
Contrainte institutionnelle. La possibilité de motion de méfiance constructive – la démission du Premier ministre mis en minorité par la chambre, et son remplacement par un successeur qui disposerait d’une majorité – est prévue par la Constitution. Si un remplaçant majoritaire est introuvable, le gouvernement démissionnaire peut convoquer des législatives anticipées, ou se mettre en affaires courantes, comme le fit Charles Michel pendant les six derniers mois de son mandat.
Contrainte politique. Aucun des sept partis de la majorité n’a intérêt à des élections, disent les sondages. Aucun ne voudrait en remplacer un par un ou deux autres – quoiqu’en septembre 2020, l’hypothèse d’embarquer le CDH plutôt que le MR en ait séduit une très grosse poignée, y compris à l’Open VLD. Personne n’imagine que des affaires courantes soient tenables durant plusieurs années, pour qui que ce soit. Et les quatre partis flamands (Open VLD, CD&V, Vooruit et Groen) ont traversé beaucoup plus pacifiquement cette première année sous De Croo que leurs trois homologues francophones. Ils ont encore plus intérêt que ces derniers à éviter l’explosion.
En Wallonie
Situation. A Namur, ministres rouges, bleus et verts travaillent en relative autonomie par rapport à leur présidence de parti, particulièrement les bleus (Willy Borsus, Jean-Luc Crucke et Valérie De Bue) que les refus du PTB et du CDH imposèrent à la table des socialistes et des écologistes, à l’été 2019. Comme en Fédération Wallonie-Bruxelles, dont le gouvernement est resté bloqué plusieurs semaines sans que personne, pas même les présidents de parti, ne s’en formalise, ils pensaient cette autonomie garante de leur tranquillité, même si, à la demande de Paul Magnette, Elio Di Rupo, ministre-président wallon, s’était écrié en bureau de parti, un jour de mai 2020, que « si on m’en donne le mandat, je changerai de majorité en Wallonie ». C’était la bravade du chef d’un gouvernement plutôt peinard, qu’importunaient des agitations extérieures. Mais des inondations inédites et le drame humanitaire consécutif, avec les procédures judiciaires et la commission d’enquête parlementaire qui ont commencé, n’ont pas fini de les déranger. Pour l’instant, aucun des trois partis de la coalition n’a témoigné du moindre manque de solidarité. En tout cas pas au gouvernement, et extrêmement peu au parlement.
Contrainte institutionnelle. Des motions de méfiance, individuelle ou collective, sont possibles à l’échelon régional, mais elles doivent toujours être constructives: un successeur au(x) ministre(s) éconduits doit être désigné à la majorité du parlement wallon. Des élections régionales, elles, sont impossibles.
Contrainte politique. Les composantes rouge, verte et bleue restent solidaires. Et le PTB et le CDH – qui aurait pu également remplacer le MR en Région wallonne et à la Fédération Wallonie-Bruxelles si la tentative fédérale de septembre 2020 s’était concrétisée – n’ont apparemment pas changé d’avis. Il faudrait donc un drame. Celui qui s’est produit sur la Vesdre n’a rien changé.
A Bruxelles
Situation. Le printemps avait été chaud. Certains chez DéFI avaient un temps menacé de quitter le gouvernement si la Stib ne faisait pas appel d’une décision du tribunal du travail qui donnait raison à une candidate recalée car portant le voile islamique. Le MR, qui estimait que la Stib devait faire appel, refusa d’emblée une proposition que personne ne lui avait faite de remplacer DéFI dans la coalition. La Stib n’a pas fait appel, DéFI n’a pas quitté le gouvernement, le MR n’y est pas entré, et un compromis sur la neutralité sera, pour longtemps, en discussion au parlement régional. Mais un parlementaire amarante, Christophe Magdalijns, protesta contre le manque de clarté de sa formation en s’autorisant à ne plus soutenir le gouvernement tout en restant député et membre de sa formation soutenant le gouvernement. L’automne serait humide et glacial: les mauvais chiffres de la vaccination bruxelloise, et les discussions compliquées autour d’un Covid Safe Ticket censé les améliorer, concentrèrent la réprobation, pas seulement de l’opposition, mais aussi du PS, autour d’Alain Maron, ministre régional écologiste de la Santé. La coalition régionale bruxelloise, comme un ministre-président dans son ultime mandat, est un peu marquée par l’usure.
A Bruxelles, pour remplacer tout le gouvernement, il faut une majorité dans chaque groupe linguistique. C’est impossible.
Contrainte institutionnelle. Des élections régionales anticipées sont, à Bruxelles également, impossibles. Les motions de méfiance individuelles, qui doivent, elles aussi, être constructives, sont possibles à la majorité du groupe linguistique concerné lorsqu’il s’agit d’un « simple » ministre ou secrétaire d’Etat. Mais s’il faut changer de ministre-président, il faut une majorité dans le groupe linguistique flamand et dans le groupe linguistique francophone. Il faudrait donc, par exemple, que les socialistes ou les écologistes flamands acceptent de se séparer de leurs homologues francophones pour renverser le gouvernement.
Contrainte politique. Sur fond de lancinantes « guerres culturelles » bruxelloises (sur l’immigration, sur l’islam, etc.), parfois importées de France, voire de Flandre ou de Wallonie par décret présidentiel, aucun des membres, francophones (PS, Ecolo, DéFI) comme flamands (Groen, Open VLD, Vooruit), de la coalition ne souhaite, et ne souhaitera probablement pas avant longtemps, s’associer avec le MR, la N-VA ou, bien sûr, le Vlaams Belang. Ces polémiques, du reste, ressoudent souvent cet exécutif autrement si divisé: tous se retrouvent unanimes pour dénoncer les vilains « Bruxelles basheurs » flamands ou wallons. Et le PS, qui avait conservé de justesse sa première place dans le groupe linguistique francophone en 2019, espère cuire à petit feu les verts francophones, en difficulté sur la gestion de la crise sanitaire, de cette façon coincés sur une série de leurs emblématiques projets (comme le plan Smart Move, qui porte la taxe kilométrique), et…concurrencés, dans l’électorat écologiste bruxellois, par la ministre régionale Groen de la mobilité, Elke Van den Brandt. Comment vouloir en finir si vite?
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