Sans-papiers en grève de la faim: le conflit se durcit et fait tanguer le gouvernement belge
« Un drame est imminent »: des associations et partis politiques ont tiré la sonnette d’alarme lundi sur la santé très dégradée des 450 sans-papiers en grève de la faim à Bruxelles, un conflit qui fait tanguer le gouvernement belge et dont s’est même saisi l’ONU.
Dans un courrier rendu public lundi à Genève, deux rapporteurs spéciaux des Nations unies ont appelé l’exécutif dirigé par Alexander De Croo à prendre des mesures face aux risques de « violation des droits humains » auxquels sont exposés les 150.000 étrangers sans papiers recensés en Belgique.
Et ils ont surtout plaidé pour la délivrance d’un permis de séjour temporaire avec accès au marché du travail pour les 450 sans-papiers.
« Les informations que nous avons reçues sont alarmantes, et plusieurs grévistes de la faim sont entre la vie et la mort », a lancé l’un des deux experts, Olivier De Schutter, qui leur avait rendu visite le 8 juillet.
Sur place, en l’espace d’un heure, deux grévistes sont évacués par ambulance, l’un sur une civière, l’autre sur un fauteuil roulant, un masque à oxygène sur le visage, a constaté l’AFP lundi.
Ce conflit qui s’est durci depuis le début de l’été menace désormais la survie de la coalition au pouvoir depuis octobre 2020 en Belgique. Deux partis qui en sont des piliers, le PS francophone et Ecolo-Groen, ont menacé lundi de la quitter si un décès devait survenir.
« On ne veut pas mourir »
Une manière d’appeler le Premier ministre « à la responsabilité », ont fait valoir les deux formations qui demandent que le secrétaire d’Etat pilotant le dossier, le chrétien-démocrate flamand Sammy Mahdi, en soit déchargé. Alexander De Croo a réaffirmé en fin de journée son soutien à M. Mahdi, auquel il fait « confiance à 100% ».
Depuis le 23 mai, quelque 450 étrangers en situation irrégulière, principalement des Marocains et des Algériens, observent une grève de la faim dans une église bruxelloise et sur deux sites de l’Université libre de Bruxelles (l’ULB et la VUB, son pendant flamand).
Le collectif qui les soutient met en avant des années de séjour en Belgique dans des secteurs en manque de main d’oeuvre comme le bâtiment.
Après des semaines de dialogue de sourds avec les autorités, certains viennent d’opter pour un mode d’action encore plus radical et refusent de boire.
A l’intérieur de l’église Saint-Jean-Baptiste, des hommes sont allongés sur des matelas, dorment ou somnolent dans la chaleur, l’un est entièrement couvert d’un drap, des vêtements pendent sur des confessionnaux.
« Ca ne va pas, je me sens faible et malade. J’attends les papiers », confie Fouzi, un Marocain assurant vivre depuis 11 ans en Belgique et avoir travaillé au noir dans un abattoir.
Derrière un rideau, se trouvent 42 femmes, selon le prêtre de la paroisse. « Ils me disent ‘On ne veut pas mourir, on veut une solution' », raconte Daniel Alliet.
« Grève de la soif »
Les grévistes réclament la délivrance de permis de séjour temporaire, « de six mois à un an », qui offrirait un délai avant l’examen sur le fond de chaque situation, a expliqué lundi à l’AFP l’un des animateurs du comité de soutien, Anas Amara.
Mais Sammy Mahdi refuse pour l’instant ce scénario, y voyant « une solution collective » susceptible de déboucher sur « des grèves de la faim dans toutes les églises du pays ». Le secrétaire d’Etat déplore que le bureau administratif ouvert près de l’église occupée pour l’examen individuel des dossiers soit peu fréquenté par les intéressés.
Depuis trois jours « près de 300 grévistes » ont entamé « une grève de la soif », selon l’organisation Médecins du monde (MDM), une des ONG présente sur place qui redoute un décès « à tout moment ».
Michel Genet, directeur de MDM Belgique, rappelle que leur état physique est déjà très dégradé après 59 jours sans manger. Il craint aussi des suicides parmi les grévistes « pour la plupart en dépression majeure ».
En outre, la majorité d’entre eux présente un état neurologique « excessivement critique avec des débuts de cécité, des vertiges et pertes d’équilibre entraînant des blessures et lésions », a averti le médecin Rose Nelki, citée dans un communiqué dimanche de MDM.
En pleines inondations catastrophiques qui mobilisent les politiques et l’administration, cette autre « urgence absolue » a conduit Paul Magnette et Jean-Marc Nollet, présidents respectifs du Parti socialiste et d’Ecolo-Groen, à interpeller le Premier ministre.
Ils ont menacé de retirer leurs ministres en cas de drame, ce qui signerait la fin de la fragile coalition de sept partis formée notamment avec les libéraux et les chrétiens-démocrates flamands. Pour Jean-Marc Nollet, ce départ relèverait de la « pleine cohérence » entre les propos et les actes.
« Des gens qui se prétendent de gauche disent ‘s’il y a un mort, je démissionne’. Depuis quand un politique attend qu’il ait des morts pour réagir », a déclaré le militant français pro-migrants Cédric Herrou, venu soutenir les grévistes.
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