Elio Di rupo. © Belga

« Quand la gauche s’éveillera, le monde changera »: les extraits du livre de Claude Desama

Pierre Jassogne Journaliste Le Vif/L’Express

L’ancien bourgmestre de Verviers, Claude Desama (PS), publie son manifeste pour un socialisme en phase avec les réalités du 21ème siècle. Morceaux choisis.

Le PS, ce Vatican ; Elio, ce pape

Constat « En Wallonie comme ailleurs, le parti socialiste est en régression malgré quelques embellies passagères. (…) Le parti socialiste, à l’instar d’autres formations politiques, est intimement imbriqué dans un système démocratique dont la grande majorité des citoyens rejettent aujourd’hui le mode de fonctionnement. Qu’une nouvelle offre politique progressiste, issue de la société civile, voie le jour en Wallonie ou à Bruxelles et il est à craindre que le PS en soit la principale victime comme il l’est aujourd’hui en Espagne. Précisément, attardons-nous sur l’évolution récente du PS. (…) Le vieillissement démographique de sa base, la nouvelle sociologie de son électorat, le distanciement assumé avec le syndicat l’ont transformé peu à peu en un parti de mandataires davantage soucieux de participer à la gestion que de s’engager dans la réflexion et le débat.

C’est au tournant du siècle qu’il est devenu ce qu’il est actuellement : une machine politique bien huilée orientée exclusivement vers la conquête et l’exercice du pouvoir via une communication professionnelle. Cette mutation est le fait d’un homme, Elio Di Rupo, qui a puisé dans le succès des icônes de la « troisième voie » la conviction que l’art de la politique se trouvait moins dans le contenu des programmes que dans les recettes des spin doctors. Avec la volonté et l’intelligence que chacun lui reconnaît, Di Rupo a façonné le parti tel qu’il le souhaitait : il a fait de l’institut Vandervelde un centre d’études à l’efficacité reconnue et il a affaibli les fédérations d’arrondissement avec lesquelles ses prédécesseurs avaient toujours dû compter.

Au risque de forcer le trait, on peut dire que rien ne ressemble plus aujourd’hui au  »Boulevard de l’Empereur » que le Vatican avec son pape, son collège de cardinaux et un bureau de parti en forme de curie romaine qui aurait perdu tout pouvoir. Sans compter les G9 et autres filières au sein des cabinets et des groupes parlementaires qui tissent un réseau aux mailles particulièrement serrées. En paraphrasant Bourdieu, on pourrait parler d’une « noblesse du parti » grande et petite qui exerce peu ou prou le pouvoir, et d’un tiers état plus nombreux, mais qui n’a rien ou si peu à dire. (…) Le bilan est donc loin d’être négatif, mais le monde change et le cycle est arrivé, depuis quelques années déjà, à son terme. Les vices de construction sont devenus autant d’obstacles et retardent le nécessaire changement de paradigme. »

Remède « Pour sortir de ce qui s’apparente à un cercle vicieux, il faut fédérer l’ensemble de la gauche, politique, sociale, associative et syndicale pour éviter la tentation du centrisme et du pouvoir à tout prix. En un mot, il faut rassembler les progressistes autour d’un programme ambitieux dont ils seraient collectivement dépositaires. »

La Région wallonne, cette grand province

Quand la gauche s'éveillera, le monde changera, par Claude Desama, éd. de la Province de Liège, 152 p.
Quand la gauche s’éveillera, le monde changera, par Claude Desama, éd. de la Province de Liège, 152 p. © DR

Constat « La Wallonie reste à construire en tant qu’entité régionale complète et homogène, c’est-à-dire possédant une identité propre au-delà du cadre institutionnel. Encore faut-il être clair sur cette notion d’identité wallonne. Plusieurs raisons expliquent les blocages qui ont empêché jusqu’aujourd’hui la Wallonie, ni Etat ni Nation, d’être une Région à part entière dotée d’une véritable identité.

La principale est sans doute la relation difficile et parfois conflictuelle entre un Mouvement wallon par essence pluraliste et le parti socialiste dont l’hégémonie politique s’accommodait mal d’un processus d’affirmation échappant à son contrôle. Une autre raison qui a empêché jusqu’à présent le travail d’identification de la Wallonie : la solidarité francophone. L’agressivité du nationalisme flamand à l’égard de Bruxelles et sa volonté d’affaiblir une ville historiquement flamande, mais devenue francophone et largement cosmopolite, a poussé les partis wallons à défendre Bruxelles d’autant qu’ils y étaient menacés par un parti farouchement francophone : le FDF. Après la brève parenthèse de Guy Spitaels à l’Elysette qui avait suscité un réel espoir chez les tenants du  »tout à la Région », le couvercle était mis par Philippe Busquin et scellé par Elio Di Rupo. A un point tel que non seulement il n’était plus question de transférer à la Région les compétences communautaires, mais encore le PS s’érigeait-il en dernier rempart de l’unité nationale.

Cette volte-face marquait la volonté du parti socialiste de réinvestir le niveau fédéral, mais aussi la perte d’attractivité politique de la Wallonie dépourvue d’un véritable projet qui aurait donné du sens à son autonomie. En gérant la Région comme une grande province sur le mode business as usual, les gouvernements wallons qui se sont succédé depuis vingt ans ont douché l’enthousiasme qu’avait fait naître principalement à gauche le processus de régionalisation. Le PS a tout à craindre de suivre le fil de l’eau au risque de ne plus être l’acteur décisif à un niveau de pouvoir dont l’importance ne fera que croître. Aujourd’hui que Bruxelles s’affirme comme une Région à part entière, l’exigence de la solidarité francophone n’est plus aussi prégnante. »

Remède « Il convient d’évoluer vers une nouvelle architecture institutionnelle qui acterait l’obsolescence définitive de la Communauté française devenue par la magie des mots une Fédération Wallonie-Bruxelles de pure forme. Il faut substituer à cette fiction politique un système de coopération renforcée entre les deux entités régionales auxquelles il conviendra d’adjoindre la Région de langue allemande qui doit maintenir un lien fort avec la Wallonie. Cette démarche va bien au-delà d’un simple transfert des compétences communautaires vers les Régions. Elle crée un véritable espace de convergence économique entre Bruxelles et la Wallonie et permet enfin à celle-ci d’intégrer dans son projet politique la culture et l’enseignement.

(…) Si personne n’est jamais tombé amoureux du Grand Marché, comme disait Jacques Delors, personne n’a de chance de succomber aux charmes d’un plan Marshall. En revanche, la prise de conscience des Wallons d’être maîtres non seulement de leur avenir socio-économique, mais aussi de leur culture et tout ce qui fait le futur de la jeunesse peut les amener à s’identifier enfin comme tels et rendre caduque cette apostrophe avec laquelle François Perin commençait son cours de droit à l’Université de Liège :  »La Belgique est formée de deux peuples : les Flamands et les Belges. » »

L’aggiornamento du parti, capital pour la Wallonie

Constat « L’indispensable retour du PS vers la Région doit nous conduire à dresser le bilan des politiques qu’il y a menées dans le cadre institutionnel que l’on sait. Par rapport aux espoirs qu’avait fait lever la régionalisation et aux attentes des socialistes wallons exprimées lors du congrès historique de Verviers en 1967, il est clair que nous sommes loin du compte malgré des avancées importantes dont le plan Marshall est la plus récente marque connue.

Plus que toute autre formation politique, le PS incarne la Wallonie. Son action est donc jugée, et le sera de plus en plus, à l’aune de la perception et surtout de la réalité du redressement économique, social et culturel de la Région. Certains aujourd’hui appellent non sans raison à la tenue d’un congrès refondateur des socialistes wallons. Ce serait sans doute une démarche utile à la fois pour donner du muscle au corps wallon et s’inscrire pleinement dans la perspective d’une régionalisation plus affirmée. Trop souvent dans le passé, le PS a été entravé par le conservatisme d’une gauche traditionnelle qui ne percevait pas l’ampleur du changement à opérer ; trop souvent il a été freiné par une structure administrative et institutionnelle héritée d’une conception dépassée du fonctionnement de l’Etat ; trop souvent enfin les coalitions qu’il a dirigées ont été pauvres en réformes et ont sacrifié à la gestion  »court-termiste ». »

Remède « Si les socialistes veulent demain définir un nouveau cap politique, il faudra sortir du jeu traditionnel, fédérer autour de lui une majorité de progrès, mais aussi s’engager dans un nouveau mode de gouvernance fondé sur une réforme territoriale ambitieuse. Cet aggiornamento qui n’a que trop tardé doit devenir une priorité dépassant les intérêts électoraux des partis et les prébendes de quelques barons. L’Etat wallon a besoin en effet de relais privilégiés entre lui et le citoyen, mais des relais qui ont un sens et qui ne sont pas le produit de l’histoire ou de l’inertie institutionnelle. Sans nécessairement partir d’une page blanche, il faut inoculer dans notre système de gouvernance une intelligence territoriale qui rendra l’action publique plus efficace et plus proche de l’attente des citoyens. »

Liège, Charleroi, Namur et les plus égaux que d’autres

Constat « La Wallonie possède deux Métropoles en puissance ; Liège et son hinterland provincial d’une part, le Hainaut autour de l’axe Charleroi-Mons d’autre part. Entre ces deux pôles, Namur peut être considérée comme une Métropole en devenir pour autant qu’elle élargisse son aire de rayonnement au Brabant wallon et à la province de Luxembourg moyennant quelques rectifications de  »frontières » pour tenir compte des dynamiques de terrain. »

Remèdes « Si la Wallonie consent à se doter enfin d’une structure territoriale rationnelle et efficace, elle aura fait un grand pas vers ce nouveau modèle de gouvernance que réclament les citoyens. Comme les chefs d’entreprises et les mandataires locaux, ils sont fatigués de ce centralisme jacobin qui organise l’opacité et l’irresponsabilité.

En rapprochant les pouvoirs de décision de la société réelle, on renforce le contrôle démocratique et on organise une meilleure prise en compte de leurs attentes. Enfin, et ce ne serait pas le moindre de ses mérites, une telle réforme rétablirait l’équité entre les territoires car si les Wallons sont en principe égaux, certains aujourd’hui le sont davantage que d’autres. Il n’y a pas, dit-on, de bonne politique sans de bonnes institutions. Cet axiome est d’autant plus vrai pour la Wallonie qu’il conditionne le soutien populaire indispensable à l’émergence de cette identité ouverte et tolérante qui est la condition d’une volonté commune de forcer l’avenir. Et de cette force nous aurons bien besoin, car la sociologie politique de la Belgique ne laisse aucune chance à la gauche de développer un programme progressiste au niveau fédéral.

Capitale de la Wallonie :
Capitale de la Wallonie : « Namur peut être considérée comme une métropole en devenir pour autant qu’elle élargisse son aire de rayonnement », estime Claude Desama.© CHRISTOPHE VANDERCAM/PHOTO NEWS

(…) La réforme territoriale de la Wallonie, avec l’émergence des Métropoles et des entités supracommunales, doit s’accompagner d’une décentralisation administrative en rupture avec l’évolution actuelle. Des régions entières, et donc autant de citoyens, se sentent aujourd’hui abandonnés par les services publics. Il faut faire marche arrière et opérer un redéploiement qui participe à un aménagement du territoire plus harmonieux et à une plus grande proximité de celles et ceux qui en ont le plus besoin. »

Les élections, le prince et les barons

Constat « Le mode d’élection actuel donne un poids trop grand aux partis qui se sont eux-mêmes vidés de tout processus démocratique au point de laisser le pouvoir à quelques hiérarques. Ainsi la désignation des candidats dépend-elle davantage de la faveur du prince, fût-il un baron local, que des mérites personnels. L’application du régime proportionnel même pondéré par la règle D’Hondt renforce encore chez l’électeur le sentiment d’inutilité de son vote puisque l’accès au pouvoir dépend davantage du résultat de négociations que du succès électoral. »

Remède « La combinaison en Région wallonne d’un vote majoritaire à un seul tour pour la moitié des mandats répartis en circonscriptions et d’un vote de liste régionale à la proportionnelle pour les mandats restants permettrait une clarification politique, sans exclure pour autant la représentation des petites listes. »

Immigration : vive la discrimination positive

Constat « Une intégration réussie est celle qui fait passer les immigrés du statut d’étrangers, même s’ils sont belges, à celui de citoyens, acteurs de la société qui les a accueillis. Avec un retard de plus de dix ans sur la Flandre, la Wallonie vient enfin de s’engager dans la voie d’un inburgering sous la forme d’un parcours d’intégration obligatoire. »

Remèdes « La base du dispositif doit être un contrat de citoyenneté qui impose au migrant, en échange des droits qui lui sont reconnus, l’apprentissage de la langue, un programme de formation professionnelle et une initiation à la citoyenneté. A ces mesures, il nous paraît indispensable d’ajouter une politique volontariste de discrimination positive afin de favoriser leur insertion dans les entreprises et la fonction publique. Cette approche est particulièrement opportune lorsqu’il s’agit de travailleurs peu qualifiés et de femmes fréquemment exposés à des difficultés d’intégration. Quant aux enfants en âge scolaire, des programmes de remédiation ciblés sur leurs difficultés spécifiques devraient être mis en oeuvre pour que l’école soit, pour eux aussi, un facteur d’ascension sociale comme elle l’a été voici cinquante ans pour les jeunes issus des familles modestes. »

Pour une Wallonie autonome

Constat « Les réformes institutionnelles successives ont conduit la Belgique vers une structure fédérale qui repose sur des entités régionales dotées de réels pouvoirs. Il est temps pour la Wallonie d’en tirer les conséquences et de construire une communauté de citoyens de toutes origines, engagée dans un processus d’identification économique, sociale et culturelle. »

Remèdes « La perspective d’un Etat wallon autonome dans un cadre belge et européen implique qu’il soit maître de tout son potentiel. Il faut donc transférer vers la Région l’ensemble des compétences encore exercées par la Communauté française et mettre fin à cette Fédération Wallonie-Bruxelles qui n’a plus de raison d’être. La nécessaire solidarité francophone sera d’autant plus forte à l’avenir qu’elle se nouera entre partenaires égaux conscients de leurs différences et de leur complémentarité.

(…) Outre le fait d’avoir gardé trop de cicatrices de son passé industriel et d’en porter encore la nostalgie, la Wallonie souffre d’une conception jacobine de la gouvernance mise en place dès la création de la Région. Il faut rompre avec cette forme obsolète de gestion, d’autant plus que Namur n’a rien d’une capitale irradiante. Une réforme territoriale ambitieuse est indispensable d’abord pour organiser une décentralisation en appui sur les Métropoles de Liège et de Charleroi ; ensuite pour dépasser, là où c’est nécessaire, le niveau local et structurer la supracommunalité ; enfin pour réaliser l’égalité des territoires, sans laquelle l’identité wallonne n’a aucune chance de se construire. C’est sur ce socle nouveau que l’on pourra bâtir les politiques de mobilité, d’aménagement du territoire, d’innovation environnementale et surtout de reconstruction urbaine qui constituent le pendant indispensable au plan Marshall. (…) Parce que la gauche, et singulièrement les socialistes, ont voulu cette naissance de la Wallonie, celle-ci ne peut se résumer à un simple lieu de pouvoir ni être dotée d’une gestion comparable à celle de nos provinces ou de nos grandes villes. Elle doit s’affirmer clairement comme le laboratoire d’une politique progressiste qui servirait d’exemple et, pourquoi pas, de modèle dans une Europe malade de la pensée néolibérale. Il s’agit de démontrer que là où elle est au pouvoir, la gauche peut donner un autre visage à la société. »

Les titres et les occurrences « Constat » et « Remède(s) » sont de la rédaction.

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