Maud Vanwalleghem
Pour faire cesser l’épidémie de violences sexuelles, luttons contre les drogues du viol (carte blanche)
Le phénomène des violences sexuelles représente un problème de droits humains qui atteint des proportions épidémiques. L’affaire du quartier étudiant d’Ixelles, où un serveur aurait à plusieurs reprises drogué et abusé de jeunes femmes, constitue un énième exemple de ce fléau. La lutte contre les violences sexuelles avec une attention particulière pour l’utilisation des drogues du viol doit être une priorité politique. Une carte blanche de la députée bruxelloise Bianca Debaets et de la sénatrice Maud Vanwalleghem (CD&V).
S’il devait y avoir une épidémie où 64% de la population (tous genres et âges confondus) seraient touchés (statistiques sur les comportements transgressifs et abus sexuels – projet UN-MENAMAIS 2021), une hystérie collective éclaterait sans le moindre doute. Des confinements d’une ampleur sans précédent seraient instaurés ; personne ne sortirait dans la rue.
Eh bien, cette épidémie, elle est là ! 78% des femmes et 41 % des hommes de ce pays ont déjà subi dans leur vie une forme de comportement abusif sexuellement ‘hands-off’ (sans contact). Quant à des violences sexuelles directes, 42% des femmes et 19% des hommes en ont subies. 16% des femmes ont été violées. 90% des femmes ne portent pas plainte après avoir été victimes de violences sexuelles.
Ces chiffres sont probablement une sous-estimation du phénomène. Et l’usage de drogues du viol ne fait qu’y contribuer.
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Une utilisation perverse de ces drogues du viol, souvent le GHB (xtc) ou le rohypnol (somnifère et sédatif), permet de faciliter les agressions et/ou les viols. La drogue place la victime dans un état de confusion et ensuite elle se souvient à peine de ce qui s’est passé. La nature inodore et insipide de ces substances fait en sorte qu’il est impossible de savoir si quelque chose a été ajouté à la boisson. Combinées à l’alcool, ces drogues sont extrêmement dangereuses et peuvent même conduire au coma. De plus, elles ne sont hélas pas très longtemps détectables dans le sang ou l’urine de la victime.
L’utilisation de drogues du viol constitue un horrible point d’orgue de la violence sexuelle à l’égard des femmes, car elle enlève explicitement à la victime le pouvoir de refuser des actes sexuels. Le phénomène contribue également au blâme de la victime, car l’état de celle-ci est souvent attribué à une consommation excessive d’alcool.
Le phénomène est en augmentation dans le monde entier, même s’il est très difficile de trouver des statistiques à ce sujet. Dans notre pays, les plans d’action flamand et bruxellois contre les violences basées sur le genre ne mentionnent pas les drogues du viol. Une nouvelle version du Plan d’action national de lutte contre les violences basées sur le genre est attendue cet automne, et là elles devraient y figurer.
Que pouvons-nous faire en tant que décideurs politiques ?
Dans un premier temps, l’usage de drogues pour faciliter les agressions ou le viol doit être considéré comme une circonstance aggravante, comme au Royaume-Uni, en Allemagne et en Italie. À ce jour, ce phénomène n’a pas été explicitement abordé dans notre droit pénal et, par conséquent, aucune sanction plus sévère ne peut être prononcée. En Australie et en Suède, le viol facilité par la drogue est même considéré comme un crime distinct. Il serait également intéressant de connaître le nombre de classements sans suite recensés pour des faits de viol avec usage de drogues.
De plus, lors de la prise du Set d’Agression Sexuelle, il faudrait toujours vérifier si la victime a des traces d’alcool et/ou de drogue. Ces preuves doivent être analysées et utilisées. Les agents de police devraient être sensibilisés à cette problématique via une formation spéciale sur l’usage et les effets des drogues du viol. Lors de la déposition, des questions explicites doivent être posées sur la consommation volontaire ou involontaire de drogues et/ou d’alcool. Des preuves non biologiques, telles que des témoignages et des images de témoins, devraient également être incluses dans l’enquête policière.
Afin de rendre encore plus accessible le signalement et l’accompagnement des victimes potentielles, il convient de déterminer dans quelle mesure un point de signalement numérique, éventuellement intégré au fonctionnement des Centres de Prise en charge des Violences Sexuelles, est approprié.
En ce qui concerne les substances stupéfiantes elles-mêmes, il est nécessaire de négocier avec les producteurs (comme cela s’est déjà fait pour le rohypnol) pour mettre en place des mécanismes de sécurité (odeurs, couleurs et saveurs).
Afin de prévenir la récidive, encore plus d’efforts devraient être déployés pour évaluer le risque des profils des délinquants. Les contrevenants condamnés devraient suivre une thérapie spécifique et obligatoire. En effet, par rapport à ce fléau, il semble que les auteurs utilisent à plusieurs reprises la même stratégie malsaine pour commettre des violences.
Enfin, il est vraiment nécessaire et urgent d’en savoir plus sur la prévalence de la consommation de drogues du viol dans le contexte plus large des violences sexuelles. Une étude particulière sur le phénomène et une collecte précise de statistiques apparaissent comme vivement recommandées. A l’avenir, cette forme spécifique de violence devrait aussi être systématiquement prise en compte dans les statistiques sur les violences sexuelles.
Bien entendu, des campagnes de sensibilisation et de prévention sont également importantes. Même s’il nous semble que la plupart des femmes qui se rendent dans l’espace public sont déjà bien conscientes qu’elles peuvent régulièrement se retrouver dans des positions vulnérables.
Ces dernières années, il y a eu un tournant dans l’intérêt et la volonté politiques de lutter contre les violences sexuelles. Continuons sur cette lancée et envoyons le signal clair que les violences sexuelles sont totalement inacceptables à tout moment et en tout lieu.
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