Plans de relance wallons: des ambitions, vieilles de plus de vingt ans… qui n’ont jamais été réalisées
L’écart de richesse entre la Wallonie et la Flandre stagne désespérément depuis les années 1990. Le nouveau plan de relance wallon, qui, à l’initiative des partenaires sociaux et environnementaux (dites « forces vives », en wallon moderne), a forcé le gouvernement Di Rupo à « recentrer les priorités » du plan Get up Wallonia de 2021, est celui de la dernière chance. Les budgets sont revus à la baisse, mais pas les ambitions, qui sont les mêmes qu’il y a plus de vingt ans… et qui n’ont jamais été réalisées. Petit retour sur l’histoire des plans wallons.
Le penseur
Alors président du PSC, Philippe Maystadt avait longtemps été ministre fédéral des Finances lorsque, en 1998, il publie « Wallonie 2010 ». Le document « propose un plan de convergence » avec la Flandre, observent Aurélien Accaputo, Benoît Bayenet et Giuseppe Pagano dans un Courrier hebdomadaire du Crisp paru en 2006. Ce plan de convergence, qui présente « des facteurs explicatifs de l’écart de développement observé entre la Wallonie et les régions voisines, ainsi qu’un nombre limité d’objectifs ambitieux et réalistes définis par des critères chiffrés et des valeurs de référence », structurera les débats politiques. C’est en fait ce plan de convergence, rebaptisé « Contrat d’avenir », qui sera aménagé et mis en oeuvre par un gouvernement… dont le PSC ne fait pas partie: il a été dégagé par un Arc-en-ciel rouge-bleu-vert à l’issue des élections de 1999.
Le lanceur
Tout jeune président du Parti socialiste, désigné en septembre 1999, Elio Di Rupo est aussi ministre – président wallon depuis juillet. Le message, présenté comme mobilisateur, de modernisation économique de la Wallonie que porte le Contrat d’avenir sert aussi son récit de mise à jour politique du PS. Jean-Claude Van Cauwenberghe lui succédera à la ministre-présidence en avril 2000, avec pour mission de mettre en oeuvre le Contrat d’avenir.
Elio Di Rupo a eu beau présenter son Contrat d’avenir solennellement au roi, les moyens dégagés n’étaient ni neufs, ni suffisants.
L’idée
Le Contrat (dit « Cawa »), sous ses quatre priorités (développement économique durable à travers les PME et les TPME, développement des arrondissements aidés par les fonds européens, intégration des jeunes, et société de la connaissance) et ses dix principes communs d’action, rassemble vingt « groupes de mesures », dont l’objectif est de rattraper le taux d’emploi et le PIB moyen européens d’ici à 2010 en se focalisant et en se recentrant sur des secteurs et domaines porteurs. Il y a 88 fiches, il faut mobiliser les « forces vives » et les Wallons – le gouvernement présentera le Cawa dans toutes les grandes villes et au Palais -, développer leur esprit d’entreprendre, rendre « les pouvoirs publics efficients », attirer les investisseurs, entrer dans la société de la connaissance, stimuler les exportations, alléger la fiscalité, etc. En 2002, la focale est – déjà – recentrée sur vingt mesures. En janvier 2005, un « Cawa renouvelé » propose encore « d’affiner la méthodologie » à travers quatre « plans stratégiques transversaux ».
L’argent
Aucun budget spécifique n’était alloué aux mesures portées par le Contrat d’avenir. On les a estimées, rétrospectivement, à un montant similaire quoiqu’un peu inférieur, à la fin de la législature, à celui déboursé pour le Plan Marshall.
Pourquoi ça n’a pas marché
Elio Di Rupo a eu beau présenter son Contrat d’avenir solennellement au roi, les moyens dégagés n’étaient ni neufs, ni suffisants. Le Cawa n’était pas assez corsé.
Le penseur
En mars 2005, le MR bruxellois Alain Destexhe publie « Wallonie, la vérité des chiffres ». Le document pose un constat basique: la Wallonie ne réduit pas l’écart de PIB qui la sépare de la Flandre. Pourtant, il fait scandale, après cinq années de discours lénifiants, de Cawa en Cawa renouvelé. C’est ce scandale, et les débats qui s’en suivirent, qui imposeront un Cawa encore plus aménagé par un gouvernement… dont le MR ne fait plus partie: il a été dégagé par une rouge-romaine PS-CDH à l’issue des élections régionales de 2004.
Le lanceur
En juin 2005, Elio Di Rupo, qui est toujours président du PS mais qui n’est plus ministre-président wallon, plaide dans L’Echo pour « un plan Marshall à l’échelle de la Wallonie ». Le partenaire CDH est évidemment d’accord, et, le 30 août, le ministre-président Jean-Claude Van Cauwenberghe présente fièrement un document intitulé « Concentrer nos forces (NDLR: vives, bien sûr). Les actions prioritaires pour l’avenir wallon ». Le 30 septembre, il démissionne, en pleines « affaires » carolorégiennes. Elio Di Rupo lui succédera à la ministre-présidence tout en conservant la présidence du PS en octobre 2005, avec pour mission de mettre en oeuvre le Plan Marshall.
L’idée
Sous les couches des « axes » (cinq: les pôles de compétitivité, la stimulation de l’activité économique, l’allégement de la fiscalité sur les entreprises, la recherche et l’innovation, et la stimulation des compétences pour l’emploi) et des dizaines de mesures favorables à l’initiative privée, ce sont les « pôles de compétitivité » qui émergent pour mobiliser les « forces vives ». Cinq secteurs seront choisis (pharmacie-santé, agroalimentaire, ingénierie mécanique, transport-logistique et aéronautique-spatial), des appels à projets lancés, et de nombreuses aides (à la recherche, à l’investissement, à l’exportation, etc.) offertes aux entreprises intégrant ces « clusters » où gravitent également les universités.
L’argent
Ce premier plan Marshall s’accompagnait d’une enveloppe d’un milliard d’euros sur quatre ans (2005-2009), des moyens spécifiques dégagés pour l’occasion par des économies sur d’autres budgets, par l’emprunt, mais aussi par la vente des actions d’ Arcelor. En un an, c’est à peine 4,4% des dépenses publiques de la Région et 1,5% du produit intérieur brut wallon. Même si les budgets ont été dépassés, puisque quelque 1,8 milliard d’euros ont été finalement dépensés pour aider les entreprises, le bras de levier reste fort court.
Pourquoi ça n’a pas marché
Paul Magnette, ministre-président socialiste au moment des dix ans du Plan Marshall, n’aura de cesse de le répéter: « Quand on investit 100 euros en Wallonie, ce sont 31 euros de retombées secondaires en Wallonie, mais ce sont 36 euros en Flandre alors que quand la Flandre investit 100 euros, ce sont 47 euros de retombées en Flandre, et seulement 9 euros en Wallonie. » Dix ans plus tôt, Pierre-Yves Jeholet, chef de groupe MR au parlement wallon, dans l’opposition, ne disposait pas encore de ces chiffres, mais il observait déjà que la Flandre, elle, mobilisait alors quatre fois plus d’argent pour mener des politiques économiques somme toute similaires. Pas besoin d’un doctorat en géométrie dans l’espace pour comprendre que, dans ces conditions, les courbes wallonne et flamande n’allaient ni converger ni se croiser ni s’inverser.
Le lanceur
En juin 2009, Elio Di Rupo n’est plus ministre-président wallon: il a désigné en juillet 2007 à l’Elysette (puis à la ministre – présidence de la Communauté française) Rudy Demotte. Mais après les élections régionales de 2009, ce sont les deux « petits », Ecolo et le CDH, qui décident de s’associer et de choisir un « grand », MR ou PS. Ils choisissent, bien sûr, le PS, et plantent un « olivier », censé amplifier et verdir la dynamique wallonne.
L’idée
Un sixième pôle de compétitivité, autour des technologies environnementales, est ajouté aux cinq autres, ainsi que deux nouveaux axes prioritaires (l’alliance emploi- environnement et conjuguer emploi et bien-être social). Ceux-ci portent notamment un important déploiement des dispositifs d’aides à la promotion de l’emploi (APE).
L’argent
Marshall 2.Vert marque un saut quantitatif plus que qualitatif: il est financé pour quelque 2,8 milliards d’euros sur cinq ans. Ce ne sont toujours que 4,7% du budget total de la Région wallonne.
Pourquoi ça n’a pas marché
C’est Jean-Claude Marcourt (PS), ministre wallon de l’Economie pendant une décennie de plans et de replans, qui le dit: « Un des problèmes que nous avons eus, c’est que le 2.Vert était peu lisible. » Il faudrait encore recentrer après avoir encore recentré, et remobiliser les forces vives après les avoir remobilisées.
Le penseur
L’Américain Jeremy Rifkin, qui prophétise l’avènement d’une économie décarbonée, appuyée sur des « réseaux intelligents » interconnectés grâce aux technologies numériques, expose les principes de la « troisième révolution industrielle ». Il fait forte impression, fin 2013, devant les « forces vives » wallonnes, rassemblées par la Société régionale d’investissement de Wallonie (SRIW).
Le lanceur
Jean-Claude Marcourt, ministre de l’Economie, se rêvait ministre-président à la place de Rudy Demotte, qu’il déteste. Mais Elio Di Rupo prolonge Rudy Demotte, qu’il déteste mais qui a fait les voix qu’il fallait. Le Liégeois sera en contrepartie encore plus assis sur les compétences économiques. Donc sur l’énième Marshall.
L’idée
La troisième révolution industrielle sera coulée dans un quatrième plan Marshall. Le 4.0 doit, d’une part, « resserrer et recentrer » les atouts de ses prédécesseurs (comme ses prédécesseurs, en fait) et, d’autre part, accélérer la transition numérique wallonne. On se vante alors d’avoir créé 45 000 emplois en dix ans. Mais on dit moins que ce sont surtout des emplois aidés: ceux issus des pôles de compétitivité tant vantés ne sont que six mille, selon les rapports d’évaluation eux-mêmes.
L’argent
Les budgets alloués sont similaires au 2.Vert: 2,5 milliards d’euros sur l’ensemble de la législature.
Pourquoi ça n’a pas marché
Parce que les budgets alloués sont similaires au 2.Vert.
Le lanceur
Elio Di Rupo redevient ministre-président wallon à l’automne 2019. Tout le monde a compris que les plans n’aident que peu à rattraper la Flandre. Alors il n’en fait pas. Mais la crise du Covid ouvre, avec des budgets autrement plus costauds, des perspectives inédites. Le « quoi qu’il en coûte » est alors à la mode. Alors on va faire un plan. « Get up wallonia » est né.
L’idée
La tripartite PS-MR-Ecolo se répartit les tâches avec une mission: faire demain tout ce qu’on n’a pas pu faire hier. Plus de trois cent mesures sont articulées autour de trois intentions, économique, sociale et environnementale.
L’argent
Plus de sept milliards d’investissements sont prévus entre 2020 et 2024. La Wallonie empruntera, et recevra de l’argent de l’Europe. C’est, enfin, une masse critique d’investissements potentiellement suffisante pour montrer de vrais effets: le projet de « hub d’innovation A6K-E6K » sur l’esplanade de la gare de Charleroi-Sud vaut à lui seul un quadrimestre entier de Plan Marshall…
Pourquoi ça ne marchera pas
Les forces vives, économiques (UWE), sociales (les syndicats) et environnementales (IEW) dénoncent la dispersion des moyens. Il faut concentrer les forces pour un avenir wallon. Les priorités sont repriorisées: il ne reste plus que quarante mesures, pour 2,5 milliards d’euros, et on verra bien si on arrive à mettre les autres en oeuvre. Bref, on compte réussir avec les mêmes montants mais avec de plus grands besoins, ce qu’on n’a pas pu faire précédemment. Les Wallons n’ont donc pas fini de devoir tirer leur plan.
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