Passé colonial: quelles suites à la « résolution-métis »?
Les demandes de réparations pour la ségrégation subie par les métis sous le régime colonial restent largement insatisfaites. Charles Michel avait pourtant promis que le gouvernement exécuterait « loyalement » les propositions de la majorité.
Le sujet est longtemps resté tabou. Dans les territoires africains administrés par la Belgique, des milliers d’enfants nés de liaisons entre des colons et des femmes noires ont subi une ségrégation ciblée organisée par l’Etat belge. Preuves vivantes de l’existence de rapports sexuels entre colonisés et colonisateurs, ces « enfants du péché » sont considérés comme une menace pour le prestige et la dignité de l’autorité coloniale.
Echappant à la dichotomie raciale Européens-indigènes, ils ont été considérés comme une source de complications juridiques, voire comme des ferments potentiels de révolte contre le système. Parmi les métis non reconnus par leur père (90% des cas), beaucoup ont été arrachés à leur mère et placés dans des internats religieux congolais et rwandais réservés aux « mulâtres ». Entre 1959 et 1962, période des indépendances, plusieurs centaines d’entre eux ont été déplacés en Belgique, où ils ont été mis sous tutelle et dispersés dans des familles d’accueil et des homes. Privés d’acte de naissance, soumis à des changements d’identité, devenus apatrides, ils ont dû se battre pour faire reconnaître leurs droits et certains sont toujours en quête de reconnaissance et d’informations sur leurs origines.
L’empathie de toute la classe politique belge a donné beaucoup d’espoir aux métis et à leurs descendants.
Le 29 mars 2018, la Chambre, après d’autres assemblées et l’Eglise catholique, adopte à l’unanimité une résolution relative à la ségrégation subie par les métis issus de la colonisation belge. La « résolution-métis » adresse une série de demandes au gouvernement fédéral, notamment en matière d’accès aux dossiers d’archives permettant de reconstituer l’histoire individuelle et collective des victimes. Un groupe de travail planche alors sur la mise en oeuvre du texte. Il regroupe des représentants de l’asbl Métis de Belgique, des institutions scientifiques fédérales et des cabinets ministériels. Le SPF Affaires étrangères alloue un budget de 400 000 euros sur quatre ans en vue de créer une base de données des parcours des métis. Le 4 avril 2019, Charles Michel présente les excuses de la Belgique pour les « injustices » et les « souffrances » subies par les métis et leurs familles. Entre-temps, le 26 février dernier, le Premier ministre a assuré devant les députés que le gouvernement veillerait « à exécuter loyalement les propositions exprimées par une majorité parlementaire ».
Un projet de stèle
« Cet engagement et l’empathie de toute la classe politique belge ont donné beaucoup d’espoir aux métis et à leurs descendants. Hélas, plus de trois ans après le vote de la résolution, la reconnaissance des discriminations ne s’est accompagnée d’aucune proposition de réparation autre que des moyens d’ordre moral ou administratif, d’où la désillusion et la colère des associations de métis », prévient Assumani Budagwa, auteur de Noirs-Blancs, Métis – La Belgique et la ségrégation des Métis du Congo belge et Ruanda-Urundi (2014), et défenseur de longue date la cause des métis victimes de la colonisation. « Rien de très concret n’est sorti des réunions inter-cabinets, où l’on examine les onze demandes de la résolution. » Une recherche historique sur les responsabilités des autorités civiles et religieuses dans la ségrégation subie par les métis était prévue, mais le financement du projet n’est pas encore réglé. Un geste symbolique est également envisagé: l’érection d’une stèle commémorant les souffrances des métis. Les associations ont été invitées à faire parvenir au gouvernement des suggestions de lieux et de textes pour la plaque ou le monument. Lors d’une réunion intercabinets, Ostende et l’aéroport de Zaventem ont été proposés comme lieux d’installation possibles. Mais le projet et la question de son financement sont restés dans les limbes.
Pourquoi ces lenteurs, ces réponses élusives de ministres aux interpellations d’élus? « C’est dû en partie au caractère non contraignant de la résolution de la Chambre, estime Assumani Budagwa. Il y a aussi une inquiétude liée au fait que le nombre de personnes susceptibles d’obtenir réparation est imprévisible. La majorité tergiverse, joue la montre, en particulier le MR, où certains craignent que l’adoption d’une loi de réparation ouvre la boîte de Pandore des réclamations. »
« Crime contre l’humanité »
En désespoir de cause, des métis ont décidé de recourir à la justice. Cinq femmes – quatre Belges et une Française – nées au Congo entre 1946 et 1950, et séparées de leur mère alors qu’elles avaient entre 2 et 4 ans, citent l’Etat belge devant le tribunal civil de Bruxelles pour l’enlèvement d’enfants métis au Congo, au Rwanda et au Burundi. Elles réclament réparation pour leur vie gâchée: une somme provisionnelle de 50 000 euros chacune, dans l’attente de l’évaluation du dommage par un expert. La première séance du procès s’est tenue en septembre 2020. Les plaidoiries sont prévues cet automne. Charles Michel avait qualifié la ségrégation des métis d' »actes contraires aux droits fondamentaux ». Les plaignantes assignent donc l’Etat belge pour « crime contre l’humanité », une première dans un dossier lié à la colonisation. « Cette citation pourrait en susciter d’autres, estime Assumani Budagwa. Une solution serait que la Commission »passé colonial » examine la possibilité d’élaborer une loi de réparation. »
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