Organes de contrôle: le Parlement ouvre la chasse au gaspi
La Chambre fait le ménage dans la constellation d’organes de contrôle qu’elle a engendrée et qu’elle finance. Députés et sénateurs s’infligent-ils aussi cet accès de fièvre managériale?
Un Conseil supérieur de la Justice ; une police des polices, le Comité P ; un Comité de contrôle des services de renseignement et de sécurité, le Comité R ; deux médiateurs fédéraux ; une Autorité de protection des données ; des commissions de nomination pour le notariat ; une Commission BIM pour le contrôle des méthodes spécifiques et exceptionnelles de recueil de données ; un COC pour organe de contrôle de l’information policière ; une Commission fédérale de déontologie ; un Conseil central de surveillance pénitentiaire ; un Institut des droits humains ; last but not least, une vénérable Cour des comptes et une non moins prestigieuse Cour constitutionnelle. Treize, le compte y est.
Que de doublons constatés et de cloisonnements observés entre voisins de palier.
De contempler sa progéniture au grand complet, la Chambre a fini par s’émouvoir de ce qu’elle a pu engendrer comme organes au fil des ans, au gré des drames et des scandales d’ampleur nationale et des commotions populaires, quand ce n’est pas sous l’emprise d’une soif de flanquer de chiens de garde l’appareil de l’Etat, qu’il soit policier, judiciaire ou autre. Elle a fini par s’inquiéter de ce que lui coûtent ces enfants à sa charge: 103 497 000 euros versés en guise de dotations en 2021, répartis en fonction des carrures de chaque rejeton. La Cour des comptes (dotation 2021: 50,4 millions) domine de la tête et des épaules les « petits Poucets » dont les budgets annuels oscillent plus modestement entre 150 000 et dix millions d’euros.
C’est pas Versailles ici, c’est juste le Palais de la Nation belge qui a décidé d’ouvrir la chasse au gaspi. Tour des popotes, inspection des lieux, relevé des compteurs au Forum, cet immeuble de bureaux remis à neuf sis à l’ombre du Parlement qui en est devenu le propriétaire, là où ce petit monde cohabite dans sa grande majorité. C’est aux mains expertes de l’aîné de la famille nombreuse, la Cour des comptes, par ailleurs exemptée de l’opération, qu’a été confiée la besogne de faire l’inventaire du « qui fait quoi au juste? » tandis qu’un consultant classiquement embauché du privé, Ernst & Young (E&Y) en l’occurrence, se chargeait de l’état des dépenses (in)utiles.
Cascade de primes
Non pas qu’il y ait forcément de l’abus à tous les étages. Plutôt des « privilèges » jugés déplacés, des habitudes décrétées mauvaises ou des marches à suivre taxées d’un autre âge. Comme ces enquêteurs du Comité P gratifiés d’une prime linguistique de 350 euros brut par mois, d’une prime de détachement de 900 euros brut par mois, d’une prime pour « prestations supplémentaires » de 280 euros brut par mois, d’une prime de la Région bruxelloise de 190 euros brut par mois, d’un abonnement en train 1er classe en guise d’indemnité de déplacement, d’un GSM de service et d’une indemnité téléphonique de 41 euros brut par mois, le tout couronné par une indemnité journalière de 15 euros brut. Ou comme ces commissions de nomination pour le notariat qui font exploser les frais postaux quoique pour des raisons indépendantes de leur volonté: la faute à Napoléon et à une de ses lois de 1803 toujours en vigueur qui les force à l’envoi de quelque sept cents recommandés par an aux candidats notaires. Mais surtout, que de doublons constatés et de cloisonnements observés entre voisins de palier lesquels, soit dit en passant, n’ont pas été spécialement enchantés de cette intrusion dans leur cuisine interne. La manière de procéder a parfois été jugée cavalière. « Le comité R dispose de quarante-cinq locaux mais prétend ne pouvoir en céder aucun. Ce nombre semble disproportionné par rapport aux effectifs du Comité R », soit vingt-huit personnes. Son président, Serge Lipszyc, se demande toujours où les visiteurs de ses installations ont bien pu trouver le motif à consigner noir sur blanc une telle accusation de mauvaise volonté.
A l’heure de faire rapport aux députés, la Cour des comptes s’est déclarée « quelque peu déçue par les réponses reçues des institutions », elle a pris acte de leur refus de s’autoflageller pour refiler à leur géniteur le soin de manier le bistouri. Que la Chambre, seule responsable de cette inflation d’institutions, assume ses incohérences.
La Cour des comptes et E&Y sont revenus de leur exploration avec des constats pleins les bras et des recommandations pleins les cartons pour la commission parlementaire de la comptabilité. Les sentences sont irrévocables. Consigne est donnée de mieux regarder à la dépense, d’acquérir le sens de la mise en commun des ressources disponibles: locaux, personnel administratif et technique, outils technologiques, jusqu’à aménager un bureau d’accueil unique à l’intention de l’usager. Prière aussi de se mettre à l’heure des véhicules partagés en puisant à l’avenir dans un parc automobile réduit de quarante et une voitures de fonction et de service à vingt. En route pour l’harmonisation des barèmes, des jetons de présence, des indemnités de mobilité et de voyages à l’étranger ; priorité à la formule des pools en matière d’assistance HR, d’helpdesk IT, de comptabilité, de gestion de la masse salariale, des recrutements. A l’ère du postcorona, il va falloir apprendre à travailler en « clusters », en pôles « sécurité et protection », « droits civils », « professionnalisation des appels judiciaires ». Bon gré mal gré, « les institutions doivent sortir de leur zone de confort », dixit André Flahaut (PS), ex-président de la Chambre qui s’est investi dans ce chantier.
Rationalisation, synergies, optimisation, efficience. Voilà que la Chambre s’abandonne à la doxa managériale. C’est nouveau, ça vient de sortir? En tout cas Christian Leysen apprécie. Normal pour cet « entrepreneur en politique » autoproclamé. L’homme d’affaires anversois reconverti en député Open VLD depuis 2019 ne sort jamais sans sa calculette. Et fait la moue: 158 millions pour financer la Chambre, 32 millions versés aux partis politiques, un petit 40 millions pour entretenir le Sénat, « le pouvoir législatif fédéral coûte chaque année plus de 300 millions d’euros. Un montant substantiel. » Une excellente raison à ses yeux pour presser la Chambre de s’appliquer ce qu’elle prétend imposer aux institutions qu’elle dote: une réduction du train de vie parlementaire par une remise en question des acquis et une remise en cause de l’éloge d’une certaine lenteur. « La Chambre est une maison où l’importance de la tradition l’emporte souvent sur le désir et la recherche d’efficacité. Il y a suffisamment de marge pour améliorer son fonctionnement, par rationalisation ou informatisation des processus. Et puis, soyons honnêtes: lorsqu’on considère la rémunération et les indemnités de sortie des parlementaires, on peut difficilement parler de cacahuètes », pointe Christian Leysen.
Rationalisation, synergies, optimisation, efficience. Voilà que la Chambre s’abandonne à la doxa managériale.
La panoplie langagière du manager en campagne est de sortie: Lead by example, Less is more, le fameux « faire mieux avec moins ». C’est d’un change manager dont le Parlement a besoin, plaide l’élu libéral. Ce talent en cost killing ne doit pas forcément se recruter à prix d’or à l’extérieur du Palais de la Nation, il doit pouvoir se dénicher en interne. Bref, les élus du peuple se grandiraient à se faire mal.
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Encore du gras au Sénat
C’est bien le genre de credo qui a le don d’horripiler le socialiste André Flahaut: « Chantez les louanges du management privé, ça fait bien, ça en jette! Moi, je trouve Christian Leysen offensant envers le personnel de la Chambre. » Ignorant ou indifférent aux efforts consentis depuis près de dix ans par l’assemblée pour plus de frugalité. Une note interne des services de la Questure datant de juin 2020 rapporte la vérité des chiffres: trois millions d’euros d’économies logistiques réalisées depuis 2012, cinq millions récupérés de manière récurrente sur la masse salariale par la réduction de 10% du personnel passé de 717 unités en 2011 à 640, et plus de sept millions épargnés sur le poste des indemnités parlementaires.
Qui dit mieux dans l’univers parlementaire plutôt bien fourni du pays? Le Sénat, peut-être? Un ange passe. La Haute assemblée fait peine à voir depuis qu’elle a été dépouillée de ses prérogatives d’antan, condamnée à tourner au ralenti dans ses bâtiments dépeuplés, servie par un personnel que le surmenage ne guette plus vraiment. Avec un peu moins de 40 millions d’euros en 2021 (65 millions en 2014), jamais le Sénat ne s’est accordé aussi peu de moyens pour faire tourner la boutique. Réduction des effectifs (de 289 à 186 fonctionnaires en cinq ans), économies diverses, plus rien n’est laissé au hasard, jusqu’à grappiller 30 000 euros à la buvette rien qu’en troquant l’eau en bouteille pour l’eau du robinet.
Abattre des murs
Des locaux vides, du personnel en sous-régime, l‘occasion est belle d’abattre les murs et de jeter des ponts avec le voisin toujours hyperactif, la Chambre. L’évidence ne saute pas aux yeux. Un protocole de coopération Chambre-Sénat en matière de personnel, conclu en septembre 2012, a été suspendu à la demande de la Haute assemblée, laquelle estimait ne plus avoir de surplus à dégager pour satisfaire les besoins de la Chambre. « Il faut être deux pour décloisonner », soupire André Flahaut, « des synergies sont réalisées mais force est aussi de constater que certaines ne sont pas possibles lorsque les deux institutions ne sont pas demandeuses. Nous, à la Chambre, on poursuit ce travail qui se fait de manière encore très, trop limitée au Sénat. On peut s’étonner que son voisin de palier rechigne à vous donner un coup de main quand il y a surcharge de travail. » Chauffeurs, garages, caisses de pensions, statuts administratif et barémique, comptabilités, c’est encore le chacun chez soi. Jusque dans l’entretien des bâtiments, un temps « sous-traité » par le Sénat à une équipe fournie par la Chambre contre rémunération, avant qu’il ne soit décidé d’opter pour une société extérieure de nettoyage. Serviettes et torchons peinent toujours à se mélanger au Palais de la Nation.
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