Nethys: voici les noms des quatre premières « mains invisibles »
Jean-Claude Marcourt et Jean-Pierre Hupkens pour le PS. Daniel Bacquelaine et Pierre-Yves Jeholet pour le MR. Les quatre » mains invisibles » sont nommées noir sur blanc dans un rapport du comité de rémunération de Nethys de juin 2020 relatif aux » indemnités versées aux membres du comité de direction « . Elles démentent.
Le Vif s’est procuré un document qui objective, pour la toute première fois, le concept de « mains invisibles » forgé par l’ancien président de Nethys, Pierre Meyers. « Nous avons tenu informés des progrès les principaux responsables politiques concernés », déclarait-il dans une interview accordée au Soir le 16 septembre 2019. « On les appelle dans notre jargon les mains invisibles. » Concernant la vente secrète de Voo au fonds américain Providence, « ils ne connaissaient pas le nom, mais connaissaient les grandes orientations, et même plus que cela », avait-il ajouté…
Huit mois plus tard, le 4 juin 2020, Pierre Meyers, François Fornieri et Jacques Tison couchent sur papier les noms de quatre « mains invisibles » dans un rapport du comité de rémunération (CNR) de Nethys relatif aux « indemnités versées aux membres du comité de direction ». Selon ce document, et dans ce cadre-là, deux réunions politiques importantes ont été organisées, le 21 décembre 2018 et le 14 janvier 2019, à Liège.
Un café à la Socofe
Une délégation de Nethys (Pierre Meyers, Jacques Tison, Olivier Servais, Georges Denef et Stéphane Moreau) a ainsi rencontré une délégation du PS (Jean-Claude Marcourt, Jean-Pierre Hupkens et Muriel Targnion) et une autre du MR (Daniel Bacquelaine, Pierre-Yves Jeholet et Fabian Culot). Targnion et Culot étaient administrateurs d’Enodia (ex- Publifin) depuis le 30 mars 2017. La première a accédé à la présidence de l’intercommunale le 4 décembre 2018. Marcourt et Bacquelaine sont alors les présidents provinciaux de leurs partis respectifs. Hupkens préside la fédération liégeoise du PS, Jeholet la fédération verviétoise du MR.
Les réunions se sont tenues dans l’aile du building Cala (Centre d’affaires Liège Avroy), avenue Destenay, qui héberge notamment la Société wallonne de financement et de garantie des petites et moyennes entreprises (Sowalfin), la Société régionale d’investissement de Wallonie (SRIW) et la Société coopérative de financement énergétique (Socofe). C’est dans les bureaux de cette dernière que tout ce petit monde s’est retrouvé.
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Lors de ces deux réunions, « les processus de privatisation des activités concurrentielles ont été abordés et confirmés« . Autrement dit, un an et demi après la publication du rapport de la commission d’enquête parlementaire Publifin, qui réclamait la cession des activités concurrentielles de Nethys, le point a été fait pour accélérer la cadence.
Services rendus
Mais un autre sujet a, lui aussi, été « abordé et confirmé », selon le rapport du CNR: « la volonté générale de tenir compte, pour le sort à réserver aux membres du management en place, de l’importante création de valeur économique issue de leur action au profit des actionnaires de l’entreprise ». Une formule sibylline qui semble signifier que le politique actionnaire d’Enodia (PS et MR via la Province de Liège, qui contrôle 54% de l’ intercommunale) saura se montrer généreux envers Moreau et consorts – dont le départ est également exigé depuis un an et demi par la commission Publifin – pour services rendus à la Province.
Avant octobre 2018, ces discrètes réunions « au sommet » ont également associé les démocrates humanistes, a déclaré l’ex-ministre Alda Greoli – le 15 février à la RTBF. D’autres mains invisibles ont donc aussi été à la manoeuvre quand, le 22 mai 2018, le comité de rémunération a décidé d’octroyer les faramineuses indemnités de rétention qui ont jusqu’ici envoyé six personnes en détention préventive.
Contactés par Le Vif, les quatre « mains » présumées déclarent que jamais elles n’ont discuté, lors de ces réunions, des indemnités de rétention des managers ou des ventes des filiales de Nethys telles qu’elles ont été finalement conclues dans le secret. Daniel Bacquelaine et Jean-Pierre Hupkens estiment que ce document, qui mouille des politiques, fait partie de la stratégie de défense des membres du CNR et du management de Nethys actuellement sous les feux de la justice.
Déclaration unilatérale
Jean-Claude Marcourt (PS) se souvient d’une réunion – pas deux – quand Enodia a décidé de transformer Nethys en un holding à participation minoritaire. « Ils allaient mettre en vente Voo et ma préférence était, à l’époque, que l’on vende tout plutôt qu’une participation majoritaire simple. Cette réunion a été organisée à la demande de Nethys, pour présenter à l’actionnaire majoritaire, qui est la Province de Liège, le fait que Nethys exécute la volonté du gouvernement wallon. »
« Nous n’avons abordé ni les rémunérations, ni les conditions de rétention, ni les conditions de licenciement du management lors de ces réunions, et d’ailleurs à aucun moment, poursuit-il. Je n’ai pas de souvenir de la formule mentionnée dans le document que vous me soumettez. C’est une déclaration unilatérale qui ne m’a pas été soumise. Cela dit, cette phrase ne m’apparaît pas en soi poser une difficulté majeure si on y ajoute: « dans le respect des règles applicables à la société Nethys ».
Le souhait du chef de file du PS de la province était « qu’on exécute les conclusions de la commission d’enquête parlementaire Publifin et donc qu’on remplace le management. Le CA de Nethys souhaitait lui que le management reste pour finaliser l’opération de vente de Voo. Il n’y a pas de mains invisibles. Les décisions du CNR de Nethys liées aux indemnités de rétention datent de mai 2018. Ces réunions ont eu lieu sept mois plus tard. »
Stratégie de défense
Pour Daniel Bacquelaine (MR), l’homologue libéral de Marcourt, ces réunions avaient pour but de faire le point sur l’état d’avancement dans la mise en oeuvre des recommandations de la commission d’enquête parlementaire Publifin. « Les deux axes principaux dont on discutait étaient la vente – totale ou partielle – des activités concurrentielles, et le respect du plafonnement des rémunérations. Sur ce second point, je me souviens avoir entendu Pierre Meyers et d’autres exprimer des craintes. Ils avaient peur, par exemple, que Jos Donvil [NDLR: alors patron de Voo] soit débauché par la concurrence. Pour nous, libéraux, c’était une raison de plus pour vendre Voo. »
Il enchaîne, catégorique: « Jamais l’octroi d’indemnités de rétention n’a été évoqué comme solution à ce problème. Mais il y a eu des tentatives: le socialiste Paul-Emile Mottard, président du CA de Publifin, a dû démissionner en 2018 à la demande du MR car il avait écrit, de sa propre initiative, dans son rapport trimestriel au gouvernement et au parlement wallon, qu’il fallait étudier la possibilité d’une exception, chez Nethys, à la limitation salariale de 245.000 euros prévue dans le décret en préparation. »
Quant à la prétendue « volonté générale » de lier le sort du management à ses performances économiques, Daniel Bacquelaine est formel: « Le paragraphe que vous me lisez est pour moi un paragraphe ad hoc. C’est le signe qu’il est toujours possible en 2020 de coucher sur papier des éléments de 2018 quand ceux-ci tournent mal. J’ai l’impression que ça fait partie de leur stratégie de défense: mouiller des politiques pour se défausser de ses propres responsabilités. Les mains invisibles, ça n’existe pas. Je suis visible et ne m’en suis jamais caché: le politique désignait des administrateurs et donnait des orientations générales. Point. »
Pas un mot sur les indemnités de rétention
« La thèse des « mains invisibles » est un concept farfelu élaboré pour la circonstance, enchaîne Jean-Pierre Hupkens (PS). C’est une manière assez grossière de se dédouaner. J’affirme, très clairement, que d’aucune manière, ni de façon expresse, ni de façon tacite, ni même de façon subliminale, je n’ai marqué mon accord pour un quelconque traitement de faveur à réserver au management. Je vous affirme tout à fait clairement qu’il n’a jamais été question de quelconques indemnités de compensation lors de ces discussions qui ont eu lieu sept mois après la prise de décision litigieuse. »
Selon Pierre-Yves Jeholet (MR), ces réunions « à l’initiative de Jean-Claude Marcourt » (ce dernier déclare qu’elles l’étaient à l’initiative de Nethys), étaient très décevantes parce qu’on n’y apprenait pas grand-chose. En tant que ministre wallon de l’Economie et de l’Emploi, j’y participais pour voir où en était la cession des actifs de Nethys décidée par la commission Publifin. Et on était nulle part pour Voo: on nous a juste annoncé une marque d’intérêt d’Orange, des choses très floues. Jamais on n’y a parlé des rémunérations ou des indemnités du management, de Providence, ni de la cession d’Elicio ou de Win. Pas un mot. »
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