Manifestation contre les mesures sanitaires: « La mise en cause d’un Etat qui ne prend pas en compte ses citoyens »
Des violences ont éclaté à Bruxelles dimanche dernier, en marge d’une manifestation contre les mesures sanitaires organisée. Quelles leçons peut-on tirer de ces évènements ? Quel message a été envoyé au monde politique ? Le Vif fait le point avec le sociologue Olivier Servais.
Triste bilan à faire à l’issue de la « Manifestation européenne pour la démocratie » à Bruxelles : quinze personnes à l’hôpital, dont trois policiers et douze manifestants, et 239 arrestations, dont trois mineurs d’âge. Certains s’en sont pris à des bâtiments et à des véhicules dans le quartier européen, mais aussi à la police. « Les policiers ont été clairement attaqués avec des objets lourds, notamment des poubelles, des barrières nadars, des pavés, etc. Les émeutiers ont également attaqué une voiture de police. Le jeu du chat et de la souris avec la police s’est poursuivi ensuite dans l’avenue de Tervuren et ses environs », pouvait-on lire sur le communiqué de la police.
Mais un élément étonnant est à souligner. Alors que l’on pourrait penser que les « casseurs » s’orientent plutôt vers les extrêmes, on remarque dans les participants à la manifestation une forte mixité sociale. Pour le sociologue de l’UCLouvain Olivier Servais, il ne faut pas parler de « groupes » mais plutôt d’une « masse avec une immense diversité et en son sein, il y a des éléments extrêmes. Il y a aussi une tranche de la population qui commence à saturer des changements de mesures à répétition. On arrive donc à une certaine colère sociale qui augmente. Toutes ces mesures ont généré de l’insécurité économique et sociale et on arrive à un seuil. »
Une violence prévisible ?
Déçus de la gestion de la pandémie par les différents gouvernements, les manifestants semblent ne plus croire en la politique pour sortir de cette crise sanitaire. Une incompréhension des décisions prises par la classe politique, qui ne pouvait que se terminer par de la violence selon Olivier Servais. « Quand la colère sociale ne peut pas s’exprimer autrement, parce qu’on limite les manifestations, parce qu’on est dans un système représentatif où les gens doivent attendre la prochaine élection pour pouvoir s’exprimer, elle doit être évacuée d’une certaine manière. C’est malheureux qu’elle se soit exprimée comme cela, mais en même temps il fallait s’y attendre. »
Cette colère sociale, elle est également due à une division faite au sein même de la population. Cette division implicite entre personnes vaccinées et non-vaccinées n’a rien arrangé. Cette fragmentation de la société va prendre du temps à se résoudre, tant à cause de sa virulence que de sa complexité. « Les traces que nous allons avoir de cette crise sont beaucoup plus fortes que l’on imagine. La société est totalement clivée. Il y a eu des clivages très forts dans ce pays : entre libéraux et socialistes, entre catholiques et laïques, entre patronat et syndicats. Ce sont des clivages qui ont été très durs, mais qui ont fini par trouver un mode de concertation. Aujourd’hui, on est face à des clivages radicalement nouveaux, qui vont vite et qui sont très peu institutionnalisés parce qu’internet nous a permis de nous affranchir de ces médiations institutionnelles traditionnelles. Résultat : on est face à quelque chose qui pose beaucoup plus de questions et il y a tout un travail à faire du côté politologique pour renouer avec ces multiples groupes et pour refaire société. »
L’impact des pays voisins
Cette division de la population se constate également dans d’autres pays. Chez nos voisins français, le président Emmanuel Macron n’a pas manqué d’affirmer (et d’assumer) le fait qu’il souhaitait « emmerder les non-vaccinées ». Un commentaire qui n’a pas manqué de faire réagir les politiques et surtout la population française. « On a eu des choses pas très éloignées en Belgique. Mais on n’attend pas cela du monde politique. On attend d’eux qu’ils soient au-dessus de la mêlée et qu’ils arrivent à se rapprocher des différents camps. »
La pandémie ne s’arrête pas aux frontières de la Belgique.
Mais hors du clivage, les Belges ont aussi été amenés à voir plus loin que les frontières. Dans plusieurs pays d’Europe, des assouplissements et des levées de mesures sont évalués et, parfois, adoptés. C’est le cas notamment en Angleterre, mais aussi en Irlande ou encore au Danemark. Lors de la manifestation de dimanche dernier, qui rassemblait des Belges mais aussi des personnes venues des quatre coins de l’Europe, il s’agissait d’un front commun contre les mesures, mais à l’échelle européenne comme le souligne Olivier Servais. « Il y a une incompréhension par rapport à ce qui se fait ailleurs. On se rend compte qu’on est dans un monde globalisé. Les citoyens ont entendu des barrières qui tombaient un peu partout en Europe, mais on sent bien qu’il y a un regard qui décale le propos. On est parfois un peu trop belgo-belge, au lieu de poser les choses à un autre étage. Et cette manifestation, qui était européenne, montrait bien combien l’opinion publique ne reste pas ancrée dans la réalité belge. La pandémie ne s’arrête pas aux frontières de la Belgique et les décisions politiques prises ailleurs ont inévitablement un impact sur la Belgique. » Un impact qui génère une pression, dont les politiques nationales et internationales doivent tenir compte.
Quel message au monde politique ?
Il faudra du temps pour calmer les esprits. La pression sociale est telle que la population tend à se diriger plus facilement vers les extrêmes. Selon Olivier Servais, un bon moyen d’éviter d’arriver à un point de non-retour serait de se concentrer sur les autres sujets, mis de côté depuis le début de la crise sanitaire. « Ils (Les Belges ndlr.) ont besoin de croire à nouveau dans les promesses des politiques. Ils ont besoin de se projeter dans un avenir positif au-delà de la pandémie. Il y a des tas d’autres problèmes de société autour de l’énergie, de l’environnement, des pensions… Et qui ont été mis en suspens pendant deux ans. Aujourd’hui, il faut reprendre cet agenda-là en orientant les choses pour être inclusif. Si les logiques clivantes et discriminatoires continuent sur d’autres sujets, ça risque d’amplifier le problème. »
Remettre les gros dossiers mis en pause sur la table fait partie de la solution, mais il faudra surtout écouter les manifestants, prendre en compte ce qu’ils ont à dire et absolument éviter la division. « Ça me désole de voir des biens publics détruits mais derrière c’est une mise en cause d’un Etat qui ne prend pas en compte ses citoyens. Et même si ce sont des groupes minoritaires, on ne peut pas faire société contre des groupes qui représentent une part importante. Ce qui m’a marqué lors de cette manifestation, c’est qu’il y avait beaucoup de pancartes indiquant Je suis doublement vacciné et solidaire des non-vaccinés. Les slogans étaient beaucoup plus unitaires par rapport aux manifestations précédentes et visaient à dire : arrêter de nous opposer », conclut Olivier Servais.
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