Egbert Lachaert et Georges-Louis Bouchez à Gand, première étape de leur tour de Belgique. © Belga

L’interview conjointe Bouchez-Lachaert: « Avec cette pandémie, les gens voient le prix de la liberté »

Olivier Mouton Journaliste

Les présidents du MR et de l’Open VLD défendent leur vision d’un libéralisme « décomplexé », confient leur embarras durant la pandémie, affirment leur volonté de retrouver les libertés au plus vite et exposent leur projet pour le pays lors d’un tour de Belgique. Les débats au sein de la Vivaldi? C’est « complètement sain en démocratie ». Entretien à deux voix.

Les deux présidents libéraux, Georges-Louis Bouchez (MR) et Egbert Lachaert (Open VLD), ont entamé ce mardi 9 mars à Gand un tour de Belgique pour marquer le 175e anniversaire du libéralisme. L’occasion pour les deux hommes de se positionner, aussi, en cette période de pandémie particulièrement éprouvante pour les libertés. Un entretien dans lequel ils vantent l’importance du libéralisme, mais aussi la vitalité démocratique de la Vivaldi.

1. « Un libéralisme décomplexé »

Pour ce 175e anniversaire, vous entamez un tour de Belgique, vous préparez un livre et un congrès commun pour la fin de l’année. Parce qu’il faut réexpliquer le libéralisme dans notre pays?

Georges-Louis Bouchez. Oui, c’est assez cohérent avec la campagne électorale interne qu’Egbert a menée à l’Open VLD et moi au MR. Sans se connaître à l’époque, nous étions tous les deux sur la même ligne: il faut réhabiliter le vrai libéralisme. Nous étions tous les deux dans des partis où on se demandait s’il ne fallait pas accoler un autre mot à celui de libéralisme, où l’on se posait la question de savoir si les gens acceptaient encore ce terme. Nous nous sommes rencontrés ensuite et nous avons confirmé cette ambition commune.

Aujourd’hui, je dirais que l’actualité nous conforte: la crise sanitaire démontre à quel point le libéralisme est important, tant les gens sont attachés à leurs libertés. Nous avions pris la décision de célébrer cet anniversaire avant ça, pour réexpliquer ce qu’est un libéralisme décomplexé, mais cette crise remet en outre la question au coeur du débat. Nos concitoyens se rendent compte de ce qu’est la liberté à partir du moment où on ne l’a plus comme avant: cet anniversaire arrive au moment où la liberté n’a jamais été autant questionnée depuis la Seconde guerre mondiale.

Un libéralisme décomplexé, cela veut dire quoi?

GLB. Ces dernières années, au Nord comme au Sud de manière différente, et peut-être plus encore de notre côté, on se sentait obligés de dire que nous étions libéraux, mais aussi sociaux. On se souvient de l’opération, qui était porteuse et sans doute nécessaire, du libéralisme social. La presse cherchait aussi à nous diviser. En parlant de libéralisme décomplexé, je vise à unifier le parti et à réhabiliter le libéralisme sans s’excuser d’être ce que nous sommes, sans répondre aux caricatures que l’on fait de nous à cause de certains excès, de la dérégulation mondiale… Nous ne sommes pas responsables de tout ce que nos adversaires essayent de nous imputer. Le libéralisme, c’est surtout la seule philosophie politique qui a marché dans l’histoire jusqu’à présent. On assume nos idées: dire qu’il faut baisser les impôts ou que l’on veut créer de la richesse pour mieux la répartir, ce ne doit pas être un problème.

Egbert Lachaert. Nous ne pouvions pas passer ce 175e anniversaire sans rien faire. Nous avions d’abord l’ambition de fêter cela en juin, mais nous ne serons pas assez loin dans la campagne de vaccination pour organiser un congrès à ce moment-là. Mais nous ferons en fin d’année un grand événement autour de cette idéologie qui a été très importante dans notre pays depuis la Constititution progressive et libérale rédigée en 1830.

Cette idéologie reste plus que jamais d’actualité. Cetter dernière année, nous avons perdu tant de libertés que l’on se rend compte que la liberté n’est pas quelque chose qui va de soi, c’est quelque chose pour lequel il faut se battre au quotidien. Nous avons perdu tant de choses… Pour nous, libéraux, ce n’était pas évident: nous avons dû gérer cette pandémie ces douze derniers mois – d’abord avec le gouvernement de Sophie Wilmès, maintenant avec celui d’Alexander De Croo – en supprimant de nombreuses libertés.

2. « Retrouver cet été un Etat libéral »

Certains disent même que le gouvernement De Croo est un des moins libéraux de l’histoire, en raison de ces restrictions sanitaires…

EL. C’est contre notre nature de dire aux gens ce qu’ils doivent faire. Notre priorité actuelle, c’est de retourner le plus vite possible à un état où on libère les gens à nouveau et Georges-Louis représente un accent libéral fort dans ce gouvernement, avec son combat pour les libertés du côté francophone.

Il faut savoir aussi que le libéralisme a deux sens: celui de la liberté individuelle de faire ce que l’on veut, mais aussi le respect de la liberté de l’autre. Cette année, nous avons vraiment dû trouver un équilibre entre les deux pour protéger les gens contre cette pandémie. Non, ce n’était pas toujours évident. Mais je crois que maintenant, il y a de la lumière au bout du tunnel, nous nous sommes battus ensemble pour rouvrir l’horeca et les secteurs fermés le 1er mai – même si pour nous, cela pouvait être plus tôt. Pour beaucoup de gens, cela donne des perspectives, les réservations sont déjà nombreuses. Cet été, on espère retrouver un Etat libéral, avec beaucoup de libertés.

Il s’agira de remettre aussi davantage l’accent sur les accents libéraux au sein de la majorité fédérale?

EL. C’est pour cela qu’il est important pour nous de rester ensemble. L’année passée, certains partis ont essayé de diviser la famille libérale, mais ils n’ont pas réussi. Ensemble, nous sommes plus forts. Au sein de la Vivaldi, nous représentons 26 sièges sur 150, on pèse plus lourd que séparés.

Mais vous faites face à une famille socialiste encore plus forte et à un ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, qui donne le ton…

EL. Je sais que l’image existe, surtout du côté francophone, que le ministre de la Santé publique pèse beaucoup, mais bon, ce n’est qu’un ministre parmi sept dans un kern, à la fin, il faut trouver un accord. Il met l’accent sur la santé publique, c’est logique, mais en tant que libéraux, nous insistons sur les libertés, les droits fondamentaux, l’économie, les entrepreneurs… A la fin, c’est au Premier ministre de trouver un accord.

GLB. Il est quand même important de faire un contrepoids, oui, parce les valeurs du libéralisme sont attaquées depuis de nombreuses années. On pense souvent au libéralisme économique, mais ce n’est pas tout. Ces attaques sont très fréquentes quand on entend une déclaration d’un président de parti (Conner Rousseau, SP.A – Ndlr) disant que tout le monde ne pourrait plus avoir d’enfants, lorsque l’on regarde les attaques en matière de libertés pour lutter contre la fraude fiscal ou une taxe kilométrique visant à réduire la capacité de se déplacer. Le bashing à l’encontre du libéralisme est de grande importance depuis des années. Notre point commun, avec Egbert, c’est de réaffirmer le libéralisme, de remettre ces balises-là.

C’est vrai que ce n’est pas une bonnée année pour les libertés en raison des mesures prises, mais si cela permet de reprendre conscience du caractère indivisible des libertés, ce serait une bonne chose. Avoir la liberté sexuelle ou religieuse sans la liberté économique, cela ne marche pas. Inversément, quelqu’un qui a des libertés économiques, mais qui ne peut pas choisir ce qu’il fait de son argent dans la culture ou l’art, c’est impossible.

On ne va pas se cacher: nous sommes dans une coalition, cela veut dire que nous nous sommes entendus sur un accord de gouvernement et que l’on assume les décisions que l’on prend ensemble: cela ne veut pas dire que nous sommes devenus un même parti. Dans ce gouvernement, c’est nous qui avons la plus grande sensibilité à la liberté, point. D’autres partis, sur certaines questions, privilégient l’effcacité. Sur le couvre-feu, quand certains affirment que l’efficacité vise à maintenir la mesure, c’est une question intéressante. Cela revient à se demander si la démocratie est efficace? Je vais être très clair: la démocratie n’est pas le système qui permet le plus d’efficacité dans toute une série de mesures. On pourrait nous dire que le couvre-feu permettrait de lutter contre l’alcool au volant la nuit, contre les meurtres et les accidents… Est-ce que, pour autant, cela apporte plus de bien-être? Non. Est-ce que c’est la société dans laquelle on veut vivre? Non, certainement pas. L’efficacité à tout crin ne doit pas être prétexte à réduire les libertés à tout prix. Nous ne voulons pas que tout cela dure une heure de trop.

3. « L’institutionnel n’est pas tout »

Vous vous êtes opposés à une loi pandémie, pourtant elle est en discussion au parlement.

GLB. Effectivement, nous avons fait ajouter que cette loi devrait être évaluée après la crise, voire abrogée. On a pu cadrer cela au maximum parce que je vais être honnête: je suis à ce point libéral que quand j’ai lu les premiers projets, cela me posait des difficultés, que je ressentais presque physiquement. Nous avons négocié avec les partenaires, nous avons trouvé un compromis qui est un accord, ce compromis peut encore faire l’objet d’évolutions au parlement. Nous souhaitons un vrai débat parlementaire avec l’opposition parce que ce sont des questions fondamentales: il faut éviter des votes majorité contre opposition. Sur des textes comme ceux-là, il est clair que nous ne sommes pas à l’aise, mais j’insiste sur une chose: cette loi restreint les pouvoirs du gouvernement, elle va donc dans le sens de plus de libertés en empêchant le gouvernement de faire tout ce qu’il veut. Une bonne loi est un loi qui encadre le rôle de l’Etat.

EL. Je suis d’accord et je crois que c’est parfaitement l’idée du gouvernement. Je reçois pour l’instant beaucoup de mails de citoyens qui sont inquiets de cette loi pandémie, ils craignent que ce ne soit pas une bonne chose pour les droits fondamentaux. Mais le projet a été introduit au parlement sans avoir encore suivi tout son parcours au sein du gouvernement: l’idée était d’avoir un vrai dialogue avec le parlement. Comme Georges-Louis le dit, j’espère que ce sera, à la fin, un texte qui protège très bien les droits individuels dans le cadre d’une pandémie, en consensus avec l’opposition. La ministre compétente, Annelies Verlinden, n’a pas dit autre chose, il n’y a aucune raison de paniquer.

Vous dites qu’ensemble vous êtes plus forts: vous souhaitez faire des propositions communes pour une Belgique « plus efficace et plus moderne ». Vous visez une prochaine réforme de l’Etat?

EL. Ce n’est pas uniquement pour cela. Nous sommes liés philosophiquement et nous nous parlons sur énormément de choses, on s’appelle tous les deux jours sur des tas de sujets. En ce qui concerne la réforme de l’Etat, oui, nous sommes d’accord pour travailler sur l’efficacité de l’Etat. Cette pandémie est un stress test pour tous les gouvernements, pas seulement le fédéral, et on a vu qu’il y avait des choses à améliorer.

En Flandre, on peut voir les choses de deux manières. Deux partis, le Vlaams Belang et la N-VA, estiment que la solution, c’est la séparation ou l’autonomie renforcée des Régions. Et puis, il y a l’opinion de partis comme le nôtre qui veulent que la Belgique marche encore et qu’elle fonctionne mieux pour fêter son 200e anniversaire, en 2030. Pour cela, il faut une réforme de l’Etat qui nous permettre de prendre des décisions plus efficaces, car, oui, la pandémie a montré que c’était parfois trop compliqué d’avancer. Les citoyens doivent percevoir que les leaders agissent vite, le système actuel est trop complexe. Nous sommes des partenaires à ce sujet.

Quel est votre modèle, celui d’une Belgique à quatre?

GLB. Ce n’est pas sérieux d’évoquer la réforme de l’Etat sur un slogan: la Belgique à quatre, 2+2, trois fois six… Ce sont des blagues. Parmi les partisans de la Belgique à quatre Régions, j’en vois pour qui il n’y aurait plus du tout de Communauté et d’autres, comme Paul Magnette, évoquant la nécessité d’un lien entre la Wallonie et Bruxelles. Cela prouve bien que c’est du slogan. Soyons clairs, la population s’en fout complètement: elle veut un Etat efficace et des leaders qui ont une vision pour le pays. Pour être franc, à l’agenda du MR, l’institutionnel ne fait pas partie de nos premières discussions. Un, il s’agit de voir comment sortie de la crise sanitaire, la vaccination, les mesures… Deux, la relance.

Après, bien sûr, il faut la réforme de l’Etat, mais est-cela qui va nous rendre plus malin, avec plus d’idées, plus efficace? Je ne crois pas. Moi, l’institutionnel, cela ne m’excite pas, je trouve que la classe politique belge perd un temps et une énergie avec cette histoire-là, depuis trop longtemps, au lieu de parler de solutions. Je trouve bizarre, aujourd’hui, que la presse fasse des dossiers sur la Belgique à quatre ou autre. Ce qui intéresse ma voisine, c’est le paysage économique de la Belgique après la crise. Dans quels secteurs va-t-on investir? Quel sera la part des investissements de l’Etat? Comment va-t-on mobiliser l’épargne privée? Comment mobiliser les universités dans les secteurs porteurs? Ca, c’est la priorité aujourd’hui! Quand je vois le nombre de réformes d’Etat que l’on imaginées en Belgique et ce qui a atterri, je crois qu’il y a beaucoup de déchets là-dedans.

Mais le ciment de la Vivaldi, c’est la mise en oeuvre d’un projet positif pour la Belgique en vue de l’échéance électorale 2024, non?

EL. L’enjeu de la Vivaldi, c’est surtout que l’on prenne le pays en mains, hein, avec des idéologies différentes, pour montrer que la Belgique peut encore avancer. Ces dix prochaines années, il faut une réforme de l’Etat, mais aussi une réforme du marché de l’emploi pour financer la sécurité sociale et le budget, une réforme pour garantir les pensions. Enfin, quatrièmement, il y a la fiscalité qui est très complexe en Belgique: les taxes sur les salaires doivent diminuer.

GLB. La marque de fabrique de la Vivaldi, c’est surtout de dire qu’on ne met pas l’institutionnel au centre de tout, tout le temps. A un moment donné, la question s’est posée entre un axe N-VA / PS et un axe incarné par les libéraux et les écologistes, nous avons précisément choisi une formule qui ne se concentrait pas sur l’institutionnel pour régler les questions symboliques. Nous avons voulu former un gouvernement pour s’occuper de l’économie, de l’emploi, pour rendre une dyanmique au pays en vue de 2030. Si une réforme de l’Etat s’inscrit dans cette dynamique, très bien, mais ce ne doit pas être l’essentiel. Je suis surpris de voir certains s’emparer de ce sujet alors que l’on a dit qu’on laisserait le citoyen s’exprimer pendant un an et qu’il y a ‘autres urgences. Si certains, même la N-VA, disent que la réforme de l’Etat est leur priorité, alors c’est qu’ils vivent sur une autre planète et qu’ils sont complètement fous.

4. « En coalition, on n’est pas d’accord sur tout »

Le débat politique et idéologique est-il neutralisé par la crise?

EL. Les différences idéologiques sont un peu mises entre parenthèses pour l’instant, du fait que l’on gère la pandémie, c’est sûr. Le budget a moins d’importance parce que l’on dépense de l’argent pour soutenir les entreprises ou les gens qui perdent leur emploi. Mais après l’été, cela va revenir, les réformes du marché du travail, des pensions et de la fiscalité vont venir sur la table et ce seront des débats plus forts entre socialistes, libéraux et les autres. Quand on est en coalition, cela ne veut pas dire que l’on est d’accord sur tout, tout le temps. C’est normal que nous ayons d’autres visions, mais il est important d’arriver à des accords.

GLB. Aujourd’hui déjà, on voit que les libéraux ont des sensibilités très différentes par rapport aux libertés. La différence, on la voit et je pense comme Egbert qu’elle va encore plus se marquer au moment de la reprise parce que nous serons à l’heure des choix. Mais je pense que les journalistes doivent considérer que même s’il y a du débat, cela ne veut pas dire qu’on se dispute. Je pense même que c’est profondément sain: le fait que nous ayons la capacité de débattre entre nous, c’est aussi ne pas laisser le champ aux populistes. Parce que moi, cela me fait rire, on dit que le MR discute beaucoup, mais cela me semble être une très bonne chose en démocratie. Et il faut quand même se rendre compte que si les partis ne peuvent plus débattre entre eux, il n’y aura plus que le Vlaams Belang et le PTB pour s’exprimer. Il faut comprendre ça et ne pas dire sans cesse que c’est la bagarre ou la fin du gouvernement.

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