Carte blanche
Les réformes successives dans l’enseignement ont laissé plus de 30 % des enfants sur le carreau (carte blanche)
Il y a quelques mois, Levif m’a donné l’occasion de dénoncer les pratiques de relecture du référentiel des maternelles, sous le titre de : « Pacte d’excellence : le nouveau référentiel maternel augmentera les inégalités. »
Ce nouveau référentiel est sur les rails depuis le premier septembre. Il a été imprimé dans le courant du mois de juillet. Les enseignants n’en ont pris connaissance que vers le 15 août. Comment, dès lors, croire que les institutrices maternelles y ont été formées, comme l’affirme Madame la Ministre ? Depuis la rentrée scolaire, de nombreux témoignages indiquent que certains enseignants n’ont pas été formés, d’autres seulement en e-learning et d’autres enfin, par le plan de pilotage et ce, en quelques heures, en l’absence du référentiel abouti. Les nouvelles institutrices sorties en juin 2020 n’auraient même pas eu connaissance de cet outil. Cela parait incroyable !
Il est vrai que du haut de mes 68 ans et plus de 45 ans de terrain, je devrais, sans aucun doute, m’occuper de mes fleurs, de mon jardin et faire de la broderie au coin du feu. Mais, la passion qui m’anime est trop forte et surtout la vocation de ne laisser aucun enfant sur le bord du terrain.
J’affirme et réaffirme mes propos de janvier. Oui, le « nouveau » référentiel augmentera les inégalités. Je vous propose une analyse du dit document qui ne comporte pas moins de 113 pages.
1) Quelle n’est pas ma surprise ! Ce référentiel n’est pas nouveau !
Permettez-moi de rappeler qu’un référentiel très bien construit a été édité en 2000, préfacé par Monsieur Jean-Marc Nollet – à l’époque, ministre francophone de l’Enfance, chargé de l’Enseignement fondamental de 1999 à 2004 -. Il a été réédité en 2009, avec en sus, trois fichiers pédagogiques très bien élaborés.
Cet outil se présentait par degré : (de 2 et demi à 5 ans – de 5 à 8 ans – de 8 à 10 ans et de 10 à 12 ans) et travaillait une même compétence au travers des âges.
Malheureusement, celui-ci est resté au fond des tiroirs de la Fédération. En cause, une très mauvaise communication qui a eu comme conséquence que bien des enseignants du maternel n’en ont jamais pris connaissance. Ce magnifique outil était beaucoup moins cloisonné. La Fédération le qualifiait de « programme » et non de « référentiel ». Plus il y a du charabia, plus on y perd son latin.
« Faire et défaire » serait, donc, une devise dans la communauté française.
2) Ce nouveau référentiel n’est pas un programme !
C’est un contrat d’entreprise. Les mots y figurant tels que « contrat, métier, curriculum, audit, culture commune, attendus, objectifs » ne sont-ils pas des mots propres à la vie professionnelle.
L’école est un lieu de vie, et encore plus pour l’école maternelle. Sa mission doit être de socialiser le petit de l’homme dans un « jardin d’enfants », lieu où on cultive un art vivant, lieu de mémoire dynamique, terrain clos et protégé destiné à la rêverie, à la liberté, à l’épanouissement par le chant, la diction, la danse, le rythme, les arts, la culture… Cela n’a donc rien à voir avec « un métier d’écolier », ou l’aboutissement d’un produit fini !
3) Un audit sera mis en place, par un nouveau décret.
Je me pose les questions suivantes : Qui mènera cet audit ? Comment cela sera-t-il interprété sur les fameux attendus ? La réussite dépend d’un nombre important de paramètres : moyens, surpopulation, méthodes, absentéisme, culture, langage, responsabilité parentale …
C’est, donc, une utopie de croire que tous les enfants de fin de 3e maternelle seront, tous, sans aucun doute sur la même ligne de départ, après une seule année de fréquentation obligatoire ! Il ne faut pas oublier que tous les enfants nés de janvier à décembre de la même année y seront inscrits. Soit, pour certains d’entre eux, plus de 11 mois de différence.
4) Les attendus définis, comme suit, en page 6 :
« Bagage d’apprentissages incontournables permettant d’être embrassés et maîtrisés par tous ». Cela ne conduira que vers un nouveau nivellement vers le bas et creusera assurément le fossé entre écoles privées et écoles publiques. Peut-être est-ce le but ou la motivation première du Pacte ?
5) La langue de scolarisation est encore et toujours mal prise en compte. En page 9, je lis :
« Développer chez l’élève l’acquisition du français en tant que langue de scolarisation constitue un enjeu important ». Je suis bien d’accord sur ce point, qui est dans l’absolu incontournable. Mais, quels seront les moyens mis en oeuvre ?
Il faut savoir qu’actuellement, dans certaines classes de première primaire, la moitié des enfants ne pratiquent pas le français. A moins d’une baguette magique ou de traducteurs multi-langues, je ne vois pas comment régler ce problème. Ah oui, j’oubliais ! L’apport des logopèdes, annoncé avec fracas en septembre 2019, comme une des mesures phares du pacte. Jusqu’à présent, personne ou très peu en ont ressenti les effets !
6) « La littéracie numérique sera de mise en maternelle »
Cette affirmation me désole et va fortement à l’encontre des besoins réels du petit enfant. Je ne comprends pas cette hystérie collective autour du numérique dans la vie de nos tout petits.
Ce dont je suis certaine, c’est que le travail de la main est millénaire. Toute notre histoire le traduit. Ce que je sais, aussi, c’est que c’est à la lumière des petits points, des petites lignes, des petites courbes que l’enfant, par le travail de la main, va emprunter le chemin de la symbolique (en ce qui concerne le lire et l’écrire). L’enfant construira ces liens vers l’abstraction et cela vers ses huit ans. Un enfant privé de cette possibilité se verra décapité de cette symbolique. En quoi le numérique développe-t-il ces besoins ?
De plus, les nombreuses études scientifiques désapprouvent, vivement, l’utilisation des écrans, chez le petit enfant.
En conclusion, au risque de vous lasser, je constate que ces trois dernières décennies nous ont fait subir une succession de réformes. Elles n’ont engendré que plus d’inégalités et plus d’échecs. La primarisation se mettra en place bien trop tôt !
J’insiste, ici, et affirme mon admiration inconditionnelle pour les enseignants du maternel qui font des miracles, chaque jour, avec des classes surchargées, des locaux mal adaptés. Ils doivent, aussi, respecter des programmes de plus en plus insensés et ne comprennent plus leur véritable mission, celle d’épanouir le petit enfant et non de le formater.
Ces réformes successives ont laissé plus de 30 % des enfants sur le carreau. L’ascenseur social s’est arrêté net ! Au nom de quoi ? De l’égalité ! Au lieu de parler d’égalité, nous devrions favoriser l’équité. Ces mots « égalité » et « équité » devraient être conjugués ensemble.
De plus, la somme de toutes ces réformes représente un coût énorme. Ce coût aurait pu être utilisé à la rénovation des locaux et des sanitaires, dont nous avons tant besoin actuellement. Il aurait dû être affecté au développement de vraies stratégies de différenciation et de communication, plutôt qu’à l’élaboration d’un Pacte dont on ne mesurera hypothétiquement les effets que dans une quinzaine d’années. Avec la vitesse de nos acquis et de nos découvertes scientifiques, ne sera-t-il pas complètement dépassé ?
Vraiment, c’est une hérésie de croire qu’un tronc commun construit sur de telles bases sauvera notre Ecole !
Anne MARION
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