« Les jeunes sont tiraillés entre engagement écologique et consumérisme »
L’engagement des jeunes pour le climat semble une évidence, comme le démontre encore leur mobilisation avant la COP26. Mais cet engagement souffre aussi de paradoxes, comme l’attrait pour l’extrême-droite et le consumérisme, constate Geoffrey Pleyers, sociologue à l’UCLouvain et auteur d’études sur l’activisme des jeunes. Entretien.
Les mouvements sociaux pour le climat, ce sont surtout des jeunes qui en font partie. Leur engagement est-il déterminant dans la lutte contre le réchauffement ?
L’engagement des jeunes, ce n’est pas seulement dans la rue et sur les réseaux sociaux. C’est aussi, et peut-être surtout, dans la vie quotidienne. Pour de plus en plus de jeunes, l’écologie ne se résume à préparer des calicots pour une manif, c’est un engagement au quotidien dès le lever du lit, dans la manière de se connecter aux autres, de manger, de se déplacer, de sa laver même. Ces jeunes-là sont dans un engagement vis-à-vis de la société du PIB et de la consommation. Pour eux, c’est une manière de se construire. De plus en plus, certains orientent aussi leurs études et leur vie professionnelle dans des projets durables que ce soit dans l’alimentation vegan ou l’entrepreneuriat social. Tout cela peut évidemment avoir un impact.
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Les jeunes sont-ils, par définition, plus concernés par les questions climatiques et écologiques que les autres générations ?
Ils sont plus concernés, mais ils ont aussi souvent un sentiment d’impuissance. Il ne faut pas négliger le phénomène qu’on appelle l' »éco-anxiété« , c’est-dire l’angoisse vis-à-vis de l’avenir sachant que, même si on stoppait toute émission carbone aujourd’hui, le climat va se dégrader dans les années à venir, avec les conséquences qu’on connaît déjà. On est déjà allé trop loin. Cette angoisse et cette impuissance vis-à-vis de la destruction inéluctable de la planète empêchent littéralement des jeunes de dormir (Ndlr : coordonnée par l’ONG Avaaz, une récente étude auprès de 10 000 jeunes dans plusieurs pays a révélé que la moitié d’entre eux disaient souffrir d’éco-anxiété).
Cette anxiété est due à l’inaction ou aux actions trop lentes des décideurs ?
C’est toujours facile de dire que les politiques ne font rien ou presque pour le climat. Il est vrai qu’il y a beaucoup de green-washing dans l’action politique. On ne constate pas encore d’importants changements venant de leur part. Mais la transition écologique ne se résume pas aux initiatives que prennent les gouvernants. Le comportement social des citoyens a aussi sa part de responsabilité car il peut peser sur le politique. Or il n’y a pas que le climat qui mobilise les jeunes.
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C’est-à-dire ?
L’extrême-droite, par exemple, fait aussi partie de l’engagement de nombreux jeunes, surtout en Flandre au niveau belge. Par ailleurs, le consumérisme est très prégnant chez eux. Je ne sais pas si c’est un paradoxe. En réalité, il ne faut pas voir les jeunes comme un groupe homogène. S’il est clair que l’engagement écologique se développe au niveau des jeunes générations et surtout de plus en plus profondément c’est-à-dire dans leurs gestes quotidiens, cela ne concerne encore qu’une minorité. La réalité dominante reste le consumérisme. Si la conscience écologique est davantage présente chez les jeunes, ceux qui passent à l’action et s’impliquent dans leur vie de tous les jours, en n’achetant pas un smartphone tous les deux ans ou en mangeant moins de viande, constitue toujours une minorité. Maintenant, dans la société, ce sont toujours des minorités actives qui orientent les débats et insufflent un changement. Les jeunes de Mai 68 étaient très minoritaires…
Difficile de résister au consumérisme quand on est jeune ?
Tous les messages autour d’eux, à la télévision, dans les publicités, dans les slogans marketing, vont dans ce sens : consommer plus. La société fonctionne sur un système de valorisation par la consommation. C’est un constat économique et culturel. Ce n’est pas évident, dans ce contexte, d’être un consommateur critique. Chez les adolescents, il y a également la culture de la distinction, avec notamment le phénomène des marques. Bref, entre éco-anxiété et consumérisme, il n’est pas simple de se construire aujourd’hui au milieu de ces contradictions.
Dans le débat sur le climat, les politiques tiennent-ils assez compte des jeunes ?
Ils devraient être conscients que les jeunes ne sont pas que des citoyens en devenir ou que de futurs électeurs, d’autant que cet âge de la vie s’est fort allongé. Aujourd’hui, on est jeune jusque 30-35 ans. Est-ce que les politiques s’emparent de la question climatique en tenant compte des jeunes ? Ils sont confrontés à un problème de temporalité, avec, d’une part, les échéances électorales et, pire, les réseaux sociaux sur lesquels tout va très vite, et, d’autre part, la gestion climatique qui nécessite des décisions sur le long terme. En Allemagne, l’arrivée des Verts au gouvernement va peut-être induire une autre temporalité. Ce sera intéressant à observer. Il ne faut pas oublier le rôle de résistance des lobbies qui font que les Etats investissent toujours massivement dans les énergies fossiles, bien davantage que dans les énergies renouvelables.
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