Carte blanche
Les Engagés : chronique d’une fin annoncée (carte blanche)
Le récent changement de nom du cdH, devenu « Les Engagés », suffira-t-il à sauver le parti de Maxime Prévot ? pas selon l’avocat Simon Lefebvre, qui considère que la formation politique a « oublié l’essentiel » et que sa disparition semble inexorable.
Elle est loin l’époque du parti catholique tout puissant ou de son successeur social-chrétien, majoritaire à la Chambre et premier parti belge. Lointaine, l’époque où les oranges se dressaient fièrement comme troisième voie entre capitalisme et socialisme. Toute aussi lointaine, l’époque de ce grand parti populaire qui rayonnait, ancré autour de valeurs fortes.
Aujourd’hui, le cdH n’est plus que l’ombre de lui-même et de ses glorieux prédécesseurs.
Il ne plaide plus en faveur d’une troisième voie, ni libérale, ni socialiste. Maintenant, il se veut à la fois libéral et socialiste.
Un peu des deux. Mais, surtout, un peu de tout. Les oranges sont devenus turquoises, à mi-chemin entre le bleu et le vert, mais ni vraiment bleu ni vraiment vert. Une couleur résume parfois mieux qu’un long discours.
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Créé en 1884, le parti catholique a fait les belles heures de la Belgique jusqu’en 1945, où le parti devient le « Parti social chrétien », avant d’être officiellement scindé en deux entre son aile francophone et son aile flamande à la suite à l’affaire de Louvain.
En 2002, le Parti social-chrétien devient le cdH que l’on connait : centriste, démocrate et humaniste. De quoi augurer le néant idéologique qui rongera le parti et les années difficiles qui suivront.
En vingt-cinq ans, le cdH n’aura plus participé qu’à deux gouvernements fédéraux, alors qu’il avait participé à tous les gouvernements belges entre 1958 et 1999. En 2014, il sera même pour la première fois relégué dans l’opposition là où son parti frère, le CD&V, montera au gouvernement.
Le CDH n’est désormais même plus centriste, ni démocrate, ni humaniste – sans doute étaient-ce des valeurs encore trop harassantes à porter.
Le CDH est devenu « Les Engagés ». Mais engagés vers quoi ?
Un parti en quête d’un nouvel électorat
En 2002, le PSC finalisait son processus de réforme par un changement de nom en devenant le CDH, présidé alors par Joelle Milquet.
Comme le développait feu Paul Wynants dans un article du Courrier hebdomadaire du CRISP de 2005, un argument essentiel motivait principalement ce changement de nom[1] : « le changement du corps social« . D’une part, l’identité chrétienne s’érode petit à petit dans nos sociétés mais, surtout, le label « chrétien » constitue, de l’aveu des cadres du parti eux-mêmes, un « handicap pour la conquête de l’électorat étranger ».
Ce qu’il faut comprendre concrètement derrière cet effacement du qualificatif « chrétien », c’est certes que l’électorat chrétien tend à disparaître mais aussi et surtout qu’au même moment, un électorat musulman se développe et constitue un réservoir de voix de plus en plus important à saisir – surtout à Bruxelles. En se lançant à la conquête de ce nouvel électorat, le cdH a rompu la confiance avec une partie de son électorat traditionnel et chrétien. Et vingt ans plus tard, force est de constater que malgré ses tentatives acharnées, le cdH a manqué son OPA escomptée sur l’électorat musulman bruxellois.
En 2009, le cdH faisait entrer Mahinur Ozdemir au Parlement de la Région bruxelloise, réussissant ainsi le brillant coup de force d’être le premier parti en Europe à revendiquer une parlementaire voilée. Et le récent débat sur le port du voile dans les services publics bruxellois a permis de constater la position toujours floue et ambigüe du cdH sur ces sujets sociétaux.
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A Bruxelles, les désormais « Engagés » disposent d’ailleurs toujours d’un argument de choix en la personne de leur poulain molenbeekois Ahmed El Khannouss qui ne manque jamais de gratifier l’actualité politique d’une sortie problématique. Dernièrement, l’élu de Molenbeek avait protesté contre la « déportation » (sic) de l’imam antisémite Mohamed Toujgani, privé de séjour par le Secrétaire d’Etat à l’asile et la migration.
En dépit de son changement de dénomination, le cdH n’a finalement jamais vraiment lâché le vieux clivage clérical. Mais son ecclésia originelle ayant disparu, il leur a fallu par conséquent se trouver une religion de substitution pour subsister. En vain.
Un parti en quête d’un programme
A la recherche d’un électorat, le cdH demeure aussi à la recherche d’un programme. Qui peut encore s’avancer sur le contenu idéologique et les objectifs du parti ? Sait-on encore clairement ce que le cdH défend en matière économique ? Sociale ? Fiscale ? Dans les matières régaliennes ? Même sur la thématique clivante de l’IVG, la position du cdH demeure molle, vide et floue, le parti appelant officiellement à « une écoute mutuelle et aux convergences ».
Ancien parti reposant sur une base électorale populaire, traditionnaliste et conservatrice, le cdH a voulu devenir moderne. Il a voulu faire comme tout le monde. Le cdH a voulu devenir – lui aussi – « progressiste ». Comme le PS. Comme le MR. Comme Ecolo. Comme le PTB.
En faisant comme les autres, et en ne faisant plus que comme les autres, le cdH a signé son arrêt de mort. A force de centrisme, il s’est lui-même noyé entre les lignes politiques du PS et du MR, avec en prime aujourd’hui des écologistes et des communistes en pleine croissance et qui affirment, eux, leurs idées haut et fort.
Le cdH n’affirme plus rien : lorsqu’il n’est pas inaudible, il évoque encore en chuchotant un consensualisme presque maladif.
En passant de « ni socialiste ni libéral » à « et socialiste et libéral », en passant du conservatisme au progressisme, le cdH ne pouvait que sombrer.
Cette absence de ligne politique s’est cristallisée jusqu’au nom du parti lui-même. Quel parti de nos jours n’est pas « démocrate » ? Quel parti n’est pas « humaniste » ? Avec une once de provocation, on pourrait même demander quel parti n’est pas « centriste » – au moins pour se dédouaner de tout extrémisme ?
C’est autour de quelques valeurs universelles, abstraites, les plus consensuelles possibles et finalement les plus insipides que le parti a cru pouvoir rebondir en 2002. Insuffisant.
Quel futur pour les nouveaux Engagés ?
Le cdH n’est-il finalement pas le symbole de son époque ?
En Belgique, comme ailleurs en Europe, on assiste à une érosion des partis les plus anciens au profit de partis plus jeunes, centrés sur de nouveaux enjeux, de nouvelles dynamiques et de nouveaux clivages. Mais aussi, on assiste à la montée de partis qui, à gauche et à droite, affirment leurs valeurs sans ciller.
On aperçoit difficilement comment le cdH pourrait encore échapper à sa disparition. La question serait plutôt de savoir si cette disparition se fera par une décision – de fusion avec un autre parti ? – ou par la poursuite du lent déclin jusqu’à ce que le parti finisse par s’effacer totalement des hémicycles belges.
Maxime Prévôt a succédé en 2019 à Benoit Lutgen à la tête du parti dans l’optique d’insuffler une nouvelle dynamique. Cette tentative s’est soldée par un premier échec aux élections de 2019 suite auquel l’idée d’un nouveau changement de nom du parti a éclos. La renaissance du cdH sous la forme des « Engagés » ne demeurera qu’une vaine tentative supplémentaire pour espérer se sauver de ce qui semble être une inexorable disparition. Une tentative qui, comme en 2002, ne sera pas salvatrice à elle seule.
Le CDH est aujourd’hui ce vieux parti qui cherche depuis plus de vingt ans à se refaire par tous les moyens mais qui a oublié l’essentiel : son électorat et, surtout, un projet de société solide.
Pourrait-on alors imaginer un CDH s’engager vers une ligne plus traditionnaliste, plus populaire, plus conservatrice et plus affirmée pour enfin recouvrer une identité à part entière dans le paysage politique francophone ? Rien n’est pourtant moins sûr.
Simon Lefebvre, avocat au barreau de Bruxelles, ancien assistant parlementaire (de l’ex-député André-Pierre Puget, J’Existe)
[1]P. WYNANTS, « Du PSC au CDH II.1999-2004 », Courrier hebdomadaire du CRISP2005/30-31 (n° 1895-1896), pp. 5 à 73.
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