Anne-Sophie Bailly
« L’entreprise de démolition du Musée du Chat et du dessin d’humour se justifie- t-elle? » (édito)
L’art ne peut-il être populaire et rentable sans que cela ne soit injurieux ni pour le créateur, ni pour le public? L’édito d’Anne-Sophie Bailly, rédactrice en chef du Vif.
Bien sûr, vouloir concevoir un espace en l’honneur de sa propre oeuvre peut sembler étonnant, voire suffisant.
Bien sûr, le timing de l’annonce est délicat. Octroyer un permis de bâtir et investir 9 millions d’euros pour ériger un musée alors que la culture est en souffrance depuis plus d’un an et que les perspectives du secteur pour les mois à venir restent sombres ne pouvait que faire réagir.
Bien sûr, un appel à projets aurait sans doute permis de calmer les esprits, d’ouvrir le champ des possibilités.
Cela étant dit, l’entreprise de démolition du Musée du Chat et du dessin d’humour – Le Chat Cartoon Museum – imaginé par Philippe Geluck se justifie- t-elle pour autant? Quels arguments avancés par ses détracteurs sont-ils vraiment recevables?
Le fait qu’il s’agisse d’argent public? Reprécisons bien ici de quoi il retourne. La Région de Bruxelles-Capitale va construire un bâtiment dont elle est et restera propriétaire. L’aménagement intérieur sera financé par le dessinateur et des sponsors privés à hauteur de 7,7 millions. En cas d’échec du projet, Bruxelles aura à tout le moins rayé du coeur de la ville un bâtiment à l’abandon depuis plus de quarante ans.
Le fait, alors que cet agent public aurait pu être alloué à d’autres projets? Lesquels? Des plus dignes? Des moins populaires? Des fédéraux? A nouveau, il convient de replacer ce projet dans son contexte, celui d’un certain marketing urbain de la capitale qui joue la carte des blockbusters culturels pour augmenter son attractivité et créer un effet d’entraînement qui pourrait mettre en lumière d’autres propositions artistiques moins connues. Autrement dit: enclencher une spirale positive. « Je ne crois pas qu’il faille reprocher à un gouvernement d’être en partie dans le city branding en mettant en avant de la culture populaire. Ce qui est important, c’est qu’il ne faut pas faire que cela », pointe très justement Jan Goossens, qui, avec Hadja Lahbib, pilote la candidature de Bruxelles, Capitale européenne de la culture 2030.
L’art ne peut-il u0026#xEA;tre populaire et rentable sans que cela ne soit injurieux ni pour le cru0026#xE9;ateur, ni pour le public?
En filigrane, n’est-ce pas surtout le mélange des genres assumé entre artiste et homme d’affaires du dessinateur qui dérange? Qu’un gros matou en costume et quelques phylactères aient permis de lever autant de millions? Pourtant, c’est justement cette double casquette qui a permis de boucler le financement du projet. Et puis, l’art ne peut-il être populaire et rentable sans que cela ne soit injurieux ni pour le créateur, ni pour le public?
« L’erreur d’appréciation » n’aura donc pas tant été de soutenir une initiative félino-humoristique que de monter des projets les uns contre les autres, d’opposer les différentes formes d’art, de lancer une compétition entre créateurs.
Sur ce, « Roger, un muscadet! »
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