L’Eglise belge entre résistance et hémorragie
Après avoir interdit la bénédiction de couples de même sexe, le Saint-Siège s’est opposé à un projet de loi italien de lutte contre l’homophobie. Le malaise s’accentue dans l’Eglise. Entretien avec Mgr Johan Bonny, l’évêque belge en désaccord avec le Vatican, alors que se poursuit la fuite de fidèles indignés.
L’Eglise catholique est arrivée à « un point mort ». C’est l’un des cardinaux les plus influents qui l’affirme. Dans un courrier au vitriol adressé le 21 mai dernier au pape François, l’archevêque de Munich Reinhard Marx reconnaît un « échec systémique » de l’institution dans « la catastrophe des abus sexuels » commis par des membres du clergé. Or, cette crise n’est pas la seule qui ébranle une Eglise déjà fragilisée, en Occident, par une fuite de fidèles et une carence de nouveaux prêtres. Seize mois de restrictions sanitaires ont accentué le délitement des pratiques religieuses (célébrations du culte, transmission de la foi aux jeunes…). Si des catholiques s’éloignent de l’Eglise, c’est aussi en raison de son incapacité à se réformer sur des sujets comme l’ordination d’hommes mariés et de femmes, ou les bénédictions de couples de même sexe.
Il y a des homosexuels parmi ceux qui portent l’Eglise: ils sont choristes, organistes, sacristains, économes, catéchistes…u0022 Michel Elias
La dernière tempête en date est celle suscitée, fin juin, par la demande officielle du Saint-Siège d’amender un projet de loi italien de lutte contre l’homophobie. Cette intervention diplomatique a été perçue comme une ingérence dans les prérogatives d’un parlement souverain et une atteinte à la laïcité. D’une tout autre ampleur a été la contestation, trois mois plus tôt, du responsum ad dubium (NDLR: une réponse à une question) publié par la Congrégation pour la doctrine de la foi. Pour l’ex-Saint-Office, « toute forme de bénédiction qui tend à reconnaître les unions homosexuelles est illicite« . En réaction, dans toute l’Allemagne, des prêtres catholiques ont béni le mariage de couples homosexuels, initiative appelée « L’amour gagne ». Dans ce pays et en Autriche, plus de 2 000 prêtres se sont engagés à poursuivre ces bénédictions.
Les chiens, les motos, pas les homos
La réaffirmation par le Vatican que l’homosexualité est un « péché » et que bénir des unions civiles entre personnes de même sexe n’est pas permis a douché les espoirs d’une ouverture de l’Eglise en direction de la communauté LGBT. En Belgique francophone, la Communauté du Christ libérateur, association de chrétiens homosexuels, n’a pas caché sa consternation et sa tristesse dans un courrier adressé aux évêques belges: « Nous demandions de pouvoir célébrer ouvertement en Eglise nos engagements de vie commune de couple. Eventuellement par une prière dans l’église ou une petite bénédiction, et ce qu’on reçoit de Rome, ce sont des malédictions… Ne faudrait-il pas rappeler que l’Eglise a souvent béni, sans état d’âme, les chiens, les motos, les médailles et parfois les armées, alors qu’elle refuse aujourd’hui de bénir l’amour entre deux personnes? »
Porte-parole et administrateur de cette association, Michel Elias nous dit sa crainte que le message de la Congrégation pour la doctrine de la foi alimente l’homophobie dans plusieurs pays d’Afrique et d’Asie: « Cette déclaration risque d’encourager les autorités de ces pays à accentuer leur politique de répression des homosexuels. En Belgique, la note du Vatican a été un coup de massue pour la communauté LGBT. Heureusement, il y a eu la fronde immédiate de l’épiscopat, qui pourrait faire bouger les lignes. »
« Ils font tourner la boutique »
Comme leurs collèges allemands, des prêtres belges acceptent, depuis plusieurs années déjà, de bénir des couples homosexuels et de prier avec eux. « Et pour cause, poursuit Michel Elias: des gays et des lesbiennes, en couple ou mariés, portent l’Eglise au quotidien dans les paroisses. Ces fidèles sont choristes, organistes, sacristains, marguilliers, membres d’équipes pastorales, économes, catéchistes… Continuera-t-on à avoir recours à leurs compétences tout en méprisant leur amour et leur vie? Ils font tourner la boutique et veulent être reconnus en tant qu’homosexuels. Notre combat rejoint celui des femmes, toujours en lutte pour sortir de leur invisibilité dans l’Eglise. »
La Conférence épiscopale a, dès le 17 mars, pris ses distances avec la note du Saint-Siège publiée deux jours plus tôt. « Depuis de nombreuses années, l’Eglise catholique de notre pays, à tous ses niveaux, oeuvre avec d’autres acteurs sociaux à un climat de respect, de reconnaissance et d’intégration » des homosexuels, ont rappelé les évêques belges. Ils « encouragent leurs collaborateurs à poursuivre dans cette voie ». Mgr Jean-Pierre Delville, évêque de Liège, a jugé la déclaration romaine « inopportune ». Au moment de sa publication, il allait envoyer aux prêtres de son diocèse des conseils pour l’accompagnement pastoral et liturgique des couples de même sexe.
Des jeunes cathos claquent la porte
Toutefois, la réaction la plus fracassante au rappel à l’ordre du Vatican est venue de l’évêque d’Anvers. Mgr Johan Bonny s’est déclaré « profondément embarrassé » par son Eglise et a dit ressentir « une honte intellectuelle et morale ». Il s’est excusé publiquement auprès des couples homosexuels catholiques et leur famille, « pour qui cette réponse est douloureuse et incompréhensible ». Il dénonce aussi la « faiblesse théologique » du document des gardiens du dogme. « Je n’y retrouve pas les lignes de force du synode de 2015 sur le mariage et la famille, auquel j’ai participé… Ce n’est pas non plus le langage d’ Amoris læetitia, l’exhortation post-synodale du pape François. »
Dans les semaines qui ont suivi la publication du texte romain, plus de 700 fidèles du diocèse d’Anvers, en grande partie des jeunes, ont rompu avec leur paroisse. De même, quelque 2 000 catholiques en Région flamande ont immédiatement demandé la suppression de leur nom dans les registres de baptême. Même phénomène de révolte au sud du pays? « Nous n’avons pas constaté de vague de « débaptistation » dans les diocèses francophones », signale Tommy Scholtès, le porte-parole des évêques.
Dès 2014, Mgr Bonny a plaidé pour une reconnaissance ecclésiastique des relations bi- et homosexuelles. Il était alors le premier dirigeant de l’Eglise de Belgique à remettre explicitement en cause le dogme selon lequel l’institution catholique ne reconnaît que le mariage homme-femme. Le prélat gay friendly, comme l’appellent ses détracteurs, plaide pour que l’Eglise soit plus en phase avec les moeurs de la société contemporaine. « Notre crédibilité est en jeu », estime-t-il .
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