Le pape François © GETTY IMAGES

Mgr Johan Bonny: « Le pape François n’a pas voulu de ce texte »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

La réaction virulente de Mgr Johan Bonny au rejet, par le Vatican, de toute forme de bénédiction d’une union homosexuelle a eu un écho mondial. L’évêque d’Anvers constate que des fidèles, en Flandre, continuent à s’éloigner de l’Eglise.

Dans la foulée du rappel à l’ordre de Rome sur les bénédictions de couples homosexuels, plus de 700 fidèles de votre diocèse ont quitté leur paroisse et 2 000 catholiques de Flandre ont demandé la suppression de leur nom dans les registres de baptême. Cette « hémorragie » se poursuit?

Depuis la mi-mars, il y a dans les diocèses de Flandre des centaines de départs de fidèles et de nombreuses « débaptisations ». Nous referons une évaluation précise du phénomène en octobre prochain. Ces catholiques déçus ou indignés sont surtout des jeunes. Beaucoup de ceux qui tournent le dos à l’Eglise rejettent l’institution en bloc: le Saint-Siège, les évêques, les curés… Les chrétiens francophones n’ont pas réagi de manière aussi vive.

Comment expliquez-vous cette réaction plus forte dans les diocèses de Flandre et votre propre attitude critique?

Il y a une différence de mentalité entre le nord et le sud du pays. En Flandre, région de culture germanique et anglo-saxonne, nous supportons difficilement un grand écart entre la règle platonique et la réalité aristotélicienne. Dans les pays et régions de culture latine, on peut être ferme sur les principes et souple pour ce qui touche à la vie concrète. La déclaration romaine sur le caractère illicite des bénédictions d’unions homosexuelles est stricte, mais l’Eglise laisse en fait les évêques décider de son application. Cette distance entre la règle intangible et la pratique peut être source de mensonge et d’hypocrisie. On a pu s’en rendre compte lors des révélations sur les abus sexuels dans l’Eglise: il y a un gouffre entre le concept de la sainteté du prêtre, image du Christ, et la réalité sombre que certains confient en confession à leur évêque!

L’Eglise a besoin d’un nouvel élan. Je plaide pour un recommencement.

Vous avez critiqué frontalement la position de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Avez-vous craint une sanction vaticane?

Il n’y a eu aucune réaction de Rome à mes déclarations. Ni positive, ni négative. Ni officielle, ni officieuse. Ce silence est révélateur: on sait bien, au Saint-Siège, que ce dossier est embarrassant.

Officiellement, le pape François a « consenti » à la publication de la note de l’ex-Saint-Office. Sans approuver pour autant le ton de ce texte, selon d’éminents vaticanistes. Que penser de cette nuance?

Lors d’une rencontre entre le pape François et Mgr Van Looy, le souverain pontife a confié un message à l’évêque émérite de Gand. Il lui a demandé de dire aux catholiques belges qu’il n’a pas voulu ce texte. Que pouvais-je espérer de mieux? Le pape prend ses distances et permet qu’il y ait, au sein de l’Eglise, des approches différentes sur les unions de personnes du même sexe.

Vous appelez l’Eglise à se mettre en phase avec les moeurs de la société contemporaine. Cette modernisation a-t-elle une chance d’aboutir?

Il faudra suivre de près le processus synodal de grande ampleur qui débutera en octobre prochain et s’achèvera en octobre 2023 par l’assemblée générale des évêques. Ce chemin synodal commencera par six mois de large consultation des laïcs au niveau diocésain. C’est un souhait du pape François. Les fidèles de tous les continents pourront s’exprimer sur les sujets qui leur tiennent à coeur. Plus largement, l’Eglise a besoin d’un nouvel élan. Je plaide pour un recommencement. Repartons de la figure de Jésus-Christ et des Actes des apôtres. Pour aborder les questions liées à l’amour et au mariage entre personnes de même sexe, nous ne pouvons pas nous limiter à des citations littérales de la Bible. Demandons-nous plutôt ce qu’aurait dit Jésus s’il savait ce que nous savons maintenant et s’il devait s’exprimer parmi nous.

Mgr Johan Bonny:
© PHOTO NEWS

Concrètement, quelles conséquences aura, dans les paroisses belges, l’interdiction d’accorder une bénédiction aux couples homosexuels?

Il est hors de question de mettre un terme, dans nos diocèses, à ce qui se fait depuis plusieurs années. Cela n’aurait aucun sens que j’interdise dorénavant aux prêtres, diacres et agents pastoraux de bénir des unions de couples catholiques gays et lesbiens. Un modus operandi s’est développé avec sagesse et prudence pour prendre en compte cette nouvelle réalité en notre société. Il y a des personnes homosexuelles parmi les professeurs de religion, les aumôniers d’hôpitaux et de prison, les responsables de la pastorale des jeunes… Ils veulent vivre leur relation en couple marié et créer une famille à la lumière de la foi. Ils ne demandent pas le sacrement du mariage, car ils savent que ce sacrement sanctifie l’union d’un homme et d’une femme. Toutefois, ils souhaitent eux aussi confier à Dieu leur projet de vie. Quand la paroisse locale ne trouve pas de réponse adéquate à leur demande, elle ou le couple s’adresse à l’évêque. Je tente alors de trouver une solution à la mesure de leur situation.

Que dites-vous aux prêtres qui s’interrogent sur l’attitude à adopter face à ces demandes de couples de même sexe?

J’ai fait circuler une note à ce sujet dans mon diocèse. Certains prêtres, surtout parmi ceux venus d’autres continents, sont plutôt réticents à l’idée d’une célébration liturgique du mariage homosexuel. Dans cette note, j’explique pourquoi la déclaration de la Congrégation pour la doctrine de la foi manque de rigueur scientifique, de profondeur théologique et de sensibilité pastorale. Je rappelle surtout le message d’ Amoris Laetitia, l’exhortation du pape François sur l’amour dans la famille. Je n’oblige pas pour autant les prêtres, diacres ou animateurs pastoraux à agir contre leur conscience. S’ils n’acceptent pas de bénir un couple gay ou lesbien, j’aide à chercher pour ce couple d’autres agents pastoraux, en d’autres lieux.

Vous-même avez béni de tels couples?

Non. Ce serait me mettre, en tant qu’évêque, sous le feu des projecteurs. Je ne veux pas de controverse focalisée sur ma personne. Il y a intérêt à privilégier la sérénité dans ce dossier. L’essentiel est la foi et la prière du couple en question.

Qu’est-ce qui vous a conduit à appeler l’Eglise à prendre en compte les nouvelles formes de relations sexuelles?

Un an à peine après mon accession à l’épiscopat a éclaté le scandale de la pédophilie dans l’Eglise. Cette crise des années 2010-2013 a marqué toutes mes prises de position depuis lors. La crédibilité des évêques était tombée sous zéro. La conférence épiscopale m’a poussé sur le devant de la scène en Flandre. J’ai dû affronter les médias, les élus, l’opinion publique. Cela m’a appris à ne pas cacher la réalité. J’ai dialogué avec les personnes engagées dans l’Eglise. Personne, jusque-là, n’osait parler à un prélat de sa vie privée « non régulière ». J’ai aussi compris que les évêques, longtemps restés invisibles par excès de prudence, doivent s’exprimer. Ils ne peuvent laisser la parole sur ces questions délicates mais essentielles aux seuls laïcs, théologiens et mouvements chrétiens.

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