Le Registre national, un « indic » des boîtes privés pour accéder aux données des Belges
Jan Jambon (N-VA) a fait ouvrir le coffre-fort des Belges aux fichiers clients des boîtes privées. Et désigne celui qui sera chargé de leur « passer les plats » : le ministre de l’Intérieur. Malaise.
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Aucun Belge n’est censé lui échapper. Impossible de passer sous les radars du Registre national, méga-agence de renseignements du royaume. Sa vocation est d’en savoir beaucoup sur vous, d’emmagasiner et d’encoder les étapes essentielles de votre parcours de vie, du berceau à la tombe. Nom, prénoms, pseudo ; lieu, date de naissance et de décès ; sexe ; nationalité ; résidence principale ; profession ; état civil ; composition de ménage ; statut de donneur d’organes ; situation de séjour des étrangers ; désignation d’un administrateur pour les mineurs sous protection judiciaire et les personnes internées. Au total, jusqu’à dix-sept informations personnelles, parfois sensibles.
C’est là une précieuse mine de données constamment mises à jour et que rêve de pouvoir exploiter le monde du business friand de fichiers clients actualisés. L’Etat, gardien du coffre-fort des Belges, lui a jusqu’ici fermé la porte, sauf exceptions, fidèle en cela à la philosophie qui a présidé à la création du Registre national, en 1983. Il avait alors été convenu que son usage serait chasse gardée de la sphère publique ou réservé à tout organisme guidé par des finalités d’intérêt général : administrations, notaires et huissiers de justice, mutuelles.
1983… C’est fou ce que le temps passe. Le monde bouge, le » big data » est une religion, et le fichage à grande échelle une seconde nature. Le Belge n’est pas qu’un citoyen/administré, il est aussi client/consommateur. L’impossibilité de mélanger les genres n’a que trop duré, a décrété la suédoise (N-VA – MR – Open VLD – CD&V). Le pilier central de l’e-gouvernement doit faire davantage preuve d’ouverture. Il mettra certaines de ses données à la disposition des entreprises privées de droit belge, quoique celles-ci soient dépourvues » des finalités d’intérêt général » au sens de la loi fondatrice du Registre national.
Nom, prénoms, adresse de résidence principale, lieu et date de décès pourront être livrés, ce qui peut suffire au bonheur des banques, assureurs, opérateurs télécoms, sociétés d’énergie ou autre boîte privée de toute nature, vu l’absence d’une liste limitative. Elles pourront y puiser matière à rafraîchir les banques de données des citoyens/clients pour les buts cités : gestion des commandes ou des livraisons de produits ou de services, vendus ou prêtés, gratuitement ou à titre onéreux ; facturation et recouvrement de factures ; gestion de dossiers de financements et de contentieux ; rappel éventuel de produits dangereux ou défectueux. Assez pour pister les mauvais payeurs, celles et ceux parti(e)s sans laisser d’adresse. Toutes tâches aisément assimilables » à des missions d’intérêt général » aux yeux du porteur du projet en sa qualité de ex-ministre de l’Intérieur, le N-VA Jan Jambon.
Jambon, « perceur » de coffre-fort
L’ex-entrepreneur notamment passé par IBM et Bank Card Company sera donc l’homme qui aura réussi à mettre fin à trente-cinq ans de verrouillage du Registre national. Il ne s’oublie pas au passage, puisqu’il réserve un rôle clé et inédit au détenteur du portefeuille de l’Intérieur, présent et à venir : c’est le ministre, ou à défaut le grand patron de son administration, qui gérera l’accès au saint des saints.
Le moment a été bien choisi pour faire avaliser cette autopromotion par le Parlement, jeudi dernier. Le petit monde commis à la surveillance du respect de la protection de la vie privée est en pleine mutation et donc en plein flottement depuis que le Règlement européen sur la protection des données (RGPD) est venu bouleverser la donne. La Commission de la protection de la vie privée s’efface au profit d’une Autorité de protection des données qui cherche toujours ses marques ; à la trappe, les comités sectoriels jusqu’ici chargés de veiller au bon usage des sources de données.
Jan Jambon n’a eu qu’à s’engouffrer dans la brèche, de façon toute naturelle. Puisque la nouvelle bible européenne sur la vie privée a pour pierre angulaire la responsabilisation du détenteur et gestionnaire d’information, et comme le ministre de l’Intérieur a le Registre national dans ses attributions, il s’est jugé le plus apte à exercer le pouvoir de délivrer l’autorisation d’accéder aux données, de les communiquer et d’utiliser le numéro d’identification. L’Autorité de protection des données n’a pu que valider le raisonnement et le transfert de compétence du défunt comité sectoriel, organe collectif composé en partie d’experts externes, vers un ministre qui sera, seul, habilité à trancher en âme et conscience la légitimité d’une demande et la pertinence de ses finalités. En faisant appel, s’il devait être saisi d’un doute, à l’expertise de l’Autorité de protection des données.
A ceux qui s’inquiètent de cette concentration de pouvoirs sur le terrain de la vie privée, Jan Jambon brandit un mécanisme pétri de bonnes intentions. Il ne s’agit jamais que de faciliter la vie du citoyen en lui épargnant des tracasseries administratives, et de soulager les entreprises en allégeant leurs coûts. Guidé par » une attention toute particulière accordée à la protection de la vie privée « , il assure que le coup de canif au contrat fondateur du Registre est entouré de toutes les précautions.
Il est acquis que les entreprises devront montrer patte blanche pour frapper à la porte du Registre national. Il est acté que le client ne sera jamais laissé sans défense : on l’informera des délais de conservation des données, on lui promet qu’elles ne pourront en aucun cas être vendues ou utilisées à des fins publicitaires, on lui garantit leur destruction immédiate dès la fin du contrat. Par- dessus tout, le citoyen/consommateur restera libre de son consentement à chaque demande et maître de le retirer à tout moment. Inutile donc de s’inquiéter d’éventuels abus. Ils seront neutralisés par des mesures de sécurité que l’ex ministre, grand adepte de la flexibilité, » n’a pas jugé opportun de couler dans la loi » vu le caractère très technique et très évolutif des technologies de l’information.
Bref, sur papier, » les conditions imposées sont en parfaite concordance avec le Règlement européen sur la protection des données et permettent d’assurer une certaine protection de notre vie privée. Bien qu’il eût été préférable que les organismes privés n’aient pas du tout accès à ces informations personnelles ! « , estime Sophie Everaerts de Velp, du cabinet LesJuristes spécialisé en droit des nouvelles technologies. On résume : le Registre national livrera certaines données au secteur privé. Le ministre de l’Intérieur se chargera de délivrer les autorisations. Ce ministre était Jan Jambon, le cerveau qui lui fait ce » cadeau « .
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