Cette spécialiste prévient : « La vie privée n’est pas assez protégée »
Elise Degrave (UNamur), spécialiste en e-gouvernement et vie privée, pointe les dérives possibles d’un accès des sociétés privées au Registre national.
Ouvrir le Registre national au secteur privé : fausse bonne idée ?
La prudence est de mise. Le gouvernement veut ouvrir ce coffre-fort aux associations de fait et aux personnes physiques qui poursuivent des missions d’intérêt général. Mais cette notion d’intérêt général est très floue et n’est pas définie par le texte. On ne sait pas non plus à quelles données l’accès sera autorisé ni pour quelles raisons on pourra y accéder. Pourtant, toute norme qui encadre l’utilisation des données à caractère personnel doit être très claire sur ces points, comme l’exige notamment la Cour européenne des droits de l’homme.
Le Registre national a-t-il vocation à servir des intérêts commerciaux ?
Non, ce n’est pas son rôle. Certains peuvent trouver cela pratique mais le consentement de la personne doit être donné librement. Or, on peut craindre que les entreprises privées » marchandent » ce consentement, contre un bon de réduction par exemple. Ou que ces données et leur mise à jour facilitent les opérations publicitaires. On imagine mal ces entreprises renoncer à mettre l’ensemble de leurs fichiers à jour au départ de ces données officielles et toute fraîches. Et puis, ces sociétés privées disposeront du numéro d’identification au registre national de chacun de leur client ayant consenti à ce système. Or, ce numéro est très délicat car c’est aussi le numéro de sécurité sociale et le numéro fiscal. Bref, c’est le sésame qui permet de retrouver beaucoup de données sur chacun dans les différentes bases de données de l’Etat. Il est très important qu’il ne circule pas trop aisément au risque d’ouvrir la porte aux abus.
Le ministre de l’Intérieur s’arroge le pouvoir d’autoriser l’accès aux données : est-ce bien son rôle ?
Officiellement, il est le responsable du Registre national et il pourra déléguer son pouvoir d’autorisation à un fonctionnaire. Confier un tel pouvoir au ministre seul risque d’ouvrir la porte aux lobbys, qui pourraient faire pression sur le ministre pour avoir accès à ces données officielles.
Comment le citoyen/client va-t-il pouvoir gérer cette nouvelle mesure ?
Il va devoir lui-même être attentif à ce qui se passe via l’application » Mon dossier » du Registre national sur le site du SPF Intérieur – encore faut-il qu’il ne » bugge » pas… – et via des recours en justice contre les décisions ministérielles qui seraient abusives. La simplification administrative invoquée signifie en réalité une charge pour le citoyen attentif à la protection de sa vie privée. On peut craindre aussi que la balance entre la vie privée des citoyens et l’efficacité administrative penche plutôt du côté de la seconde, d’autant que l’Autorité de protection des données ne doit pas valider ce processus.
La protection de la vie privée est-elle assez garantie ?
A mon sens, non. Il manque beaucoup de garde-fous, le texte n’est pas suffisamment clair pour permettre aux citoyens de comprendre ce que l’on fait des données qu’ils sont obligés, dès leur naissance, de faire enregistrer au Registre national.
La mesure pourrait-elle donc être juridiquement contestée ?
Il restera la possibilité d’intenter un recours à la Cour constitutionnelle, en invoquant le fait que la loi, si floue sur les éléments essentiels des traitements de données organisés, est contraire à notre Constitution et à la Convention européenne des droits de l’homme.
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