Le confinement a exacerbé le harcèlement sexiste numérique
Publication d’images intimes sans autorisation, vagues de commentaires haineux, manipulations pédophiles : le harcèlement et les violences sexistes en ligne ont foisonné pendant et depuis le confinement.
2.050 plaintes de revenge porn ont été enregistrés sur une ligne d’appel, au Royaume Uni. Ce nombre représente une hausse de 22% par rapport à la même période de l’année précédente, rapporte la BBC. Le revenge porn est une pratique qui consiste en la publication de photos ou vidéos intimes, dans le cadre d’une relation amoureuse terminée, dans un but de nuire à la personne, voire pour faire du chantage.
En Belgique, la tendance à la hausse, avec pour raison le confinement, est observable, mais dans une autre mesure. L’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes n’est que légalement compétent pour le domaine des vengeances pornographiques depuis juillet. « Nous n’avons pas de vue d’ensemble concrète sur le revenge porn précisément. Mais les violences domestiques contre les femmes ont augmenté pendant et après le confinement, on pourrait donc raisonnablement penser que les comportements violents en ligne ont augmenté aussi », note Véronique De Baets, porte-parole de l’Institut. Depuis juillet, l’Institut a enregistré une vingtaine de plaintes. Les victimes sont très majoritairement des femmes.
« Nous n’avons pas véritablement enregistré beaucoup plus de plaintes que d’habitude, pour du revenge porn, depuis le confinement. Au sens classique du terme, dans un cadre relationnel. Cependant, nous avons eu une augmentation de cas de manipulation pédophile », observe David Plisnier du programme Sophia (projet de prévention et de soutien face aux situations de harcèlement) du Centre de Planing familial de Soignies. Des adultes, majoritairement des hommes, créent des faux profils, amadouent des jeunes de 13, 14, 15 ans, profitant de leur manque de prudence et de recul critique. Ces jeunes, garçons comme filles, vont leur envoyer des photos intimes, et ces adultes vont les publier sur les réseaux sociaux, ou menacer les victimes de le faire.
D’autres cas de revenge porn peuvent aussi être des attaques contre des personnalités, comme cette affaire qui a chamboulé la Flandre ces derniers jours. Des animateurs de l’audiovisuel se sont fait piéger et des photos d’eux, nus, ont été partagées (massivement) sur les réseaux sociaux. Dans la semaine suivant cette affaire, le service néerlandophone de l’Institut a reçu six plaintes supplémentaires. « Il est donc certain que le fait d’en parler dans les médias libère la parole des victimes, leur fait prendre conscience de la gravité de ces comportements et de leurs droits en tant que victimes », ajoute Véronique De Baets.
Effacer le contenu n’est pas si aisé
« Il est primordial de faire vite, d’éviter que les photos ou vidéos tournent, via des captures d’écran, etc. La publication d’images intimes a des conséquences graves sur la santé mentale de la victime, et sur son avenir. Cela peut la suivre toute sa vie », explique Véronique De Baets. Le revenge porn s’inscrit, depuis le premier juillet, dans le code pénal. Un juge saisit, en référé d’extrême urgence, les réseaux sociaux en question. En six heures, le contenu doit être supprimé. La personne ayant publié les photos risque jusqu’à 15.000 euros d’amende et cinq ans de prison ferme. L’intention malveillante, la volonté de nuire à la réputation de la personne et le chantage pour de l’argent sont pris en compte.
« Facebook a des algorithmes qui vont vite détecter les photos et les supprimer. Sinon, ils ont une équipe de support que l’on peut contacter pour signaler », explique David Plisnier. Sur le réseau Tik Tok, prisé par les jeunes adolescents particulièrement, la situation est plus compliquée.
Si David Plisnier estime que le cadre législatif en Belgique est bien élaboré, il ne constate pas d’effet concret. « Les moyens de terrain manquent. La procédure n’est pas immédiatement mise en route par les policiers, ou les personnes responsables. Mais je ne dis rien de nouveau, le manque de personnel et de moyens dans la justice, tout comme le retard dans les dossiers, est un problème connu ».
Autre cas de harcèlement numérique : le flaming
Le harcèlement numérique existe sous de multiples formes. Un comportement que David Plisnier a également constaté, et qui a énormément augmenté durant le confinement, est le flaming. Une myriade de commentaires haineux qui s’enflamment et se propagent comme un feu de forêt, autour d’une publication sur les réseaux sociaux. « Les attaques portent sur la condition de femme, alors que pour un homme, elles portent sur les faits. Par exemple pour une même opinion exprimée, une femme va recevoir des commentaires sexistes, des menaces sexistes, alors qu’un homme va être critiqué pour son opinion. Cela est aussi violent, mais le côté sexiste est unique dans les attaques contre les femmes. C’est un trait important du phénomène. »
De telles emportées de flaming, David Plisnier en a constaté pendant le confinement. Il se rappelle une adolescente qui avait fait une vidéo dans un cimetière, dans le Hainaut, où elle se met en scène en dansant sur de la musique rock. « Un acte qu’on peut moralement condamner, selon ses croyances, mais pour moi c’est juste une folie de jeunesse. » Il a constaté que la majorité d’insultes qui ont suivi dans les commentaires à cette vidéo étaient sexistes, et imagine que si la vidéo avait mise en scène un garçon, ce dernier aurait été critiqué pour son comportement, mais jamais sur sa condition d’homme.
Un autre cas de flaming, avec un point de départ a priori plus anodin, a eu lieu en France, en mai. Léna Mahfouf, youtubeuse connue sous le nom de Léna Situations, publie une photo d’elle en robe. Les commentaires de type « tu n’as pas honte d’avoir une petite poitrine » s’enflamment. Cette vague de haine sexiste a appelé un mouvement de soutien : de nombreuses filles ont publié des photos d’elles, soulignant que la taille de leur poitrine était également petite et que cela ne devrait pas concerner qui que ce soit.
« En période de confinement, les personnes ont passé beaucoup plus de temps sur les réseaux sociaux. Le confinement a mis à mal leur état mental, et à un moment donné beaucoup de personnes ont pété un plomb et se sont emportées ainsi », explique David Plisnier, en se référant aux témoignages que les psychologues du centre de planning familial ont pu récolter. Le flaming tient aussi de l’effet de masse : si un nombre conséquent déverse ainsi ses commentaires violents, l’on peut être entraîné à participer. « Un peu comme dans une manifestation, lorsque cela dégénère et des gens en cagoule vont casser des vitrines ». Le pseudo-anonymat sur les réseaux sociaux peut davantage provoquer l’agressivité.
Les solutions
Il est important d’agir vite. L’Institut pour l’égalité entre femmes et hommes a publié un manuel pour les victimes. Elles peuvent aussi appeler ce numéro vert 0800/12 800.
Afin de lutter contre les violences sexistes en ligne, la Fédération des Centres de planning familial a lancé une campagne, intitulée « Le harcèlement sexiste virtuel, c’est RÉEL !« .Via les réseaux sociaux et des stands, avec des planches de bande dessinée, elle entend sensibiliser par rapport au harcèlement, et donner des pistes aux victimes.
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