Jules Gheude
La Wallonie, « petite région pauvre d’un petit pays » (carte blanche)
Renaud Witmeur, futur ex-patron de la Sogepa, livrait récemment son analyse quant à la relance de la Wallonie. Un constat d’impuissance, qu’analyse Jules Gheude, essayiste politique.
Renaud Witmeur est le CEO de la Sogepa, le fond public wallon d’investissement. Dans quelques mois, il quittera ses fonctions pour diriger le pôle hospitalier bruxellois regroupant l’hôpital Erasme, l’Institut Jules Bordet et l’hôpital des Enfants.
Dans une longue interview accordée le 18 décembre dernier au journal « L’Echo », il livre notamment son constat de la relance wallonne : « La Wallonie est impuissante. Il y a une impuissance à avoir un impact basculant avec les montants dégagés dans les plans par rapport au PIB. Qu’est-ce que vous espérez avoir comme impact avec un plan de trois milliards ? Cela fait à peine 600 millions par an. C’est en additionnant les montants wallons avec ceux de l’Europe et du Fédéral que cela commence à être sérieux. (…) La Wallonie paie le prix d’être une petite région pauvre d’un petit pays. (…) J’ai parfois l’impression qu’on fait peser sur la Région une responsabilité qu’elle ne peut assumer seule. Les pouvoirs publics ne peuvent pas être seuls responsables de la relance économique. Et, seule, la Région ne pourra pas arriver à se relancer. »
Selon Renaud Witmeur, il faut certainement plus de Belgique pour que les moyens investis soient plus importants. Plus de solidarité fédérale, aussi : « Il suffit de reprendre l’exele des inondations pour voir qu’elle n’était pas au rendez-vous. Le Fédéral a fait un prêt. C’est triste ! »(Ndlr : 1,2 milliard sur une durée de 15 ans, sans remboursement pendant les 5 premières années, avec un taux d’intérêt conforme à celui du marché).
Que, dans un Etat fédéral, une des entités fédérées soit contrainte de faire un prêt au pouvoir central en cas de sinistre naturel grave, illustre en effet le caractère ubuesque de ce pays.
Un petit pays, précise Renaud Witmer. Plutôt un non-pays, comme l’avait déclaré Talleyrand à la princesse de Lievin, en 1832 : « Deux cents protocoles n’en feront jamais une nation ; cette Belgique ne sera jamais un pays ; cela ne peut tenir. »
Construction artificielle, née d’un marchandage diplomatique, le Royaume indépendant de Belgique pouvait-il être autre chose qu’un souk ?
Ce marchandage, le comte Albert du Bois l’a très bien décrit en 1903 : Belges ! (…) Ceux qui habitent dans le cercle que le crayon distrait d’un Palmerston (Ndlr : Premier ministre britannique) quelconque traçait à Londres en 1831, sur une carte d’Europe, sont des « Belges » ! C’est ainsi que l’on crée un peuple ! C’est ainsi que l’on forme une nation ! C’est ainsi que l’on constitue un pays ! (…) Pour parquer les chiens dans les expositions canines, on fait au moins attentions à leurs races et à leurs espèces ; mais pour parquer les peuples en troupeaux de « contribuables », on ne doit pas y regarder de si près. Il suffit de prendre trois millions d’individus d’une espèce et trois millions d’individus d’une autre espèce. On leur dit : « Tâchez de ne pas trop vous dévorer entre vous. Vous êtes une nation. On vous appellera des Belges » – et les pauvres bêtes répondent docilement au nom qu’on leur donne !
Natif d’Ecaussinnes dans le Hainaut, Albert du Bois était alors secrétaire de la Légation belge à Paris. Dans son ouvrage intitulé « Belges ou Français ? », il prônait ouvertement l’annexion des provinces wallonnes à la France. Cela lui vaudra d’être mis à la retraite à 31 ans.
Neuf ans plus tard, en 1912, c’est au tour de Jules Destrée, hennuyer lui aussi, d’adresser sa fameuse Lettre au Roi : Laissez-moi Vous dire la vérité, la grande et horrifiante vérité : il n’y a pas de Belges. (…) Non, Sire, il n’y a pas d’âme belge. La fusion des Flamands et des Wallons n’est pas souhaitable, et, la désirât-on, qu’il faut constater encore qu’elle n’est pas possible.
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En dépit des six réformes institutionnelles réalisées depuis 1970, force est de constater aujourd’hui que le fossé Nord-Sud est plus profond que jamais. Devenue Nation, la Flandre vise un confédéralisme, qui réduirait le pouvoir central à une coquille vide. Avant-dernière étape avant d’estimer ce pouvoir central superflu et d’accéder à l’indépendance.
Mais revenons au constat dressé par Renaud Witmeur.
On ne compte plus les plans de redressement wallons. Mais la relance n’est toujours pas au rendez-vous et la Région se trouve aujourd’hui dans une situation budgétaire que son ministre-président lui-même, Elio Di Rupo, qualifie d’abyssale.
Ce n’est pas de plus de Belgique que le Wallonie a besoin, mais d’un changement radical des mentalités.
« Nous faisons la politique de l’intérêt général », rappelait de Gaulle à ses ministres.
Depuis l’introduction de la régionalisation en 1980, c’est la politique de l’intérêt du PS qui a été essentiellement menée en Wallonie. Onze ministres-présidents socialistes ont été à la manoeuvre, permettant ainsi à la pieuvre rouge d’insérer ses tentacules dans tous les rouages du moteur wallon, jusqu’à le gripper. Un clientélisme débridé a engendré une hypertrophie politico-administrative, sur fond d’affaires à répétition. Et au nom de la sauvegarde des sacro-saints « droits acquis », la pression syndicale empêche la mise sur pied des réformes indispensables.
Peut-on s’étonner que la Flandre ne souhaite plus se montrer financièrement solidaire d’un tel contexte ? Elle sait que les choses ne s’amélioreront pas avec un PS menacé par la montée du PTB. La gauche et l’extrême gauche, ce n’est pas sa tassé de thé. Libre à la Wallonie de continuer dans cette voie, mais pas au détriment des contribuables flamands et de la prospérité du Nord ! « Nous sommes confrontés à deux démocraties », constate Bart De Wever, le leader des nationalistes flamands.
La situation de la Wallonie, feu Robert Deschamps, professeur d’Economie aux Facultés universitaires de Namur, l’avait bien cernée : « Elle vit au-dessus de ses moyens et en dessous de ses capacités. »
324 millions d’euros, tel est le prix que coûtera finalement la gare de Mons, au lieu des 37 millions initialement prévus. Huit ans de retard et un budget multiplié par neuf !
En intégrant dès le départ la région dans la communauté, la Flandre a opté pour l’économie des moyens : un seul gouvernement et un seul parlement, le tout implanté à Bruxelles. Les libéraux francophones étaient partisans d’une telle fusion, mais le PS s’y est opposé.
La Belgique poursuivra inéluctablement son démantèlement et la Wallonie ne doit rien en attendre. Le sursaut n’interviendra que le jour où la Flandre aura définitivement largué les amarres et que, mis devant le fait accompli, les Wallons prendront conscience que seule une intégration à la France pourra leur garantir un avenir stable et pérenne. En France, une région sinistrée ne doit pas faire d’emprunt à Paris !
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