» Les Wallons ne sont pas de culture française «
Pour le sociologue liégeois Michel De Coster, les Wallons sont victimes d’une occultation de leur identité. Il s’en prend aux historiens, pour qui les Wallons sont de culture française. Retour sur quelques pages brillantes et méconnues du passé wallon.
Dans un livre (1) au titre peu attractif et non dépourvu d’ambiguïtés – La culture wallonne -, mais au sous-titre déjà plus interpellant – Pourquoi n’est-elle pas soluble dans la culture française -, et au contenu franchement provocateur, Michel De Coster dénonce l’occultation d’une identité wallonne spécifique.
Le Vif/L’Express : Vous avez des mots durs à l’encontre des historiens de la Wallonie. N’ont-ils pas mis en relief la richesse du patrimoine wallon ?
Michel de Coster : D’abord, admettez qu’ils ont été bien lents à s’atteler à la tâche ! Plus de soixante ans séparent l’apostrophe lancée par Jules Destrée au roi, en 1912 – « Sire, il n’y a pas de Belges, rien que des Wallons et des Flamands… », de la première Histoire de la Wallonie, publiée par Léopold Genicot en 1973. Il a donc fallu attendre la création officielle de la Région wallonne, dans la foulée de la révision constitutionnelle de l971-1972, pour voir les historiens s’intéresser au sujet. Certes, Félix Rousseau avait déjà écrit, en 1955, Wallonie, terre romane, mais ce petit ouvrage était centré sur l’histoire linguistique. Ceci dit, je déplore surtout que des historiens comme Rousseau, Genicot et Hervé Hasquin, auteur, en 1999, de La Wallonie, son histoire, postulent que les Wallons sont de culture française.
N’est-ce pas une évidence ?
Non, c’est un postulat, qui revient à nier l’existence d’une culture wallonne spécifique. Il y a un paradoxe à vouloir démontrer, comme ils le font, l’originalité de l’histoire de la Wallonie, et à proclamer dans le même temps que la Wallonie appartient à la civilisation française et entend s’y intégrer pleinement.
Que reprochez-vous, plus précisément, à ces historiens ?
Identifier un peuple à une langue, comme ils le font, n’a pas de sens. Quiconque parle français n’est pas nécessairement Français, ou même de civilisation française. Dites à un Irlandais ou à un Ecossais qu’il est de culture anglaise, en raison de sa langue, et vous risquez de prendre un mauvais coup. La culture globale, sociétale, tient certes à la langue, mais aussi à des traditions, une organisation collective.
A l’appui d’une contestation de l’identité wallonne, on allègue l’invention relativement récente des mots « Wallonie » et « wallon ». Ces mots seraient plus anciens qu’on ne le dit ?
Pour les historiens Philippe Destatte, Léon-Ernest Halkin, Hervé Hasquin, Jean Pirotte et l’essayiste Guido Fonteyn, la paternité du mot « Wallonie » reviendrait soit à Charles Grandgagnage, soit à Albert Mockel, deux poètes du XIXe siècle. L’invention daterait, selon ces historiens, de 1844, 1858 ou 1886. En réalité, le terme existait déjà au XVIIe siècle, et peut-être même avant. Il apparaît en 1641 sur des documents topographiques, où il est question d’une province gallo-belge de Wallonie.
Vous déplorez une tiédeur, une apathie dans l’affirmation d’une identité wallonne. Pourquoi, selon vous, ce « déficit identitaire » ?
Outre l’omerta sur notre histoire, pourtant aussi prestigieuse que celle de la Flandre, il y a une origine politique à ce déficit : l’affirmation d’une culture wallonne nuit à l’homogénéisation de l’ensemble Wallonie-Bruxelles, basé sur la francophonie. De plus, les multiples dénominations officielles de l’espace wallon ont brouillé l’image de marque de la Wallonie : Région wallonne, Communauté française, Fédération Wallonie-Bruxelles. Par ailleurs, la Wallonie a connu un brassage ethnique intense : des centaines de milliers d’émigrés flamands se sont installés en Wallonie depuis 1840, quand les récoltes de blé et de pommes de terre cultivés au nord du pays ont été affectées par des parasites et qu’une épidémie de fièvre typhoïde conjuguée au choléra a décimé la population. Le nombre incalculable de patronymes flamands en Wallonie, dont celui de votre serviteur, est révélateur du métissage flamand-wallon, qui brouille notre identité.
Comment renforcer l’identité wallonne ?
Il y a sûrement un effort à fournir sur le plan scolaire pour tenter de combler l’ignorance crasse des Wallons à l’égard de leur histoire. Je pense aussi que l’affirmation forte de l’identité flamande conduira, à terme, à un renforcement de l’identité wallonne. A ceux qui me disent que cette identité wallonne ne fait pas le poids face aux sous-régionalismes en Wallonie, je réponds que la Flandre présente, elle aussi, une grande diversité, que Limbourgeois, Anversois et autres sont différents, et que cela n’empêche pas la Flandre de s’affirmer, de se proclamer « nation ».
La culture wallonne. Pourquoi n’est-elle pas soluble dans la culture française, par Michel De Coster, éditions Mols, 208 p.
L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de cette semaine
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