La 5G est-elle dangereuse pour la santé?
Dangereuse, la 5G? La question revient sans cesse et surtout en Belgique, où les normes sont pourtant bien plus strictes qu’ailleurs. Voici ce qu’en dit la science, entre certitudes et zones de gris.
Annoncée comme le moteur de la quatrième révolution industrielle, la cinquième génération des réseaux mobiles pourrait faire basculer le monde en moins de dix ans. Bien plus performante que la 4G, elle touchera presque tous les secteurs d’activité. Les possibilités de la 5G dépassent en effet les contraintes des réseaux exclusivement filaires ou des connexions utilisant des fréquences sans licence, comme le wifi ou le Bluetooth. Et contrairement aux précédentes générations, son règne ouvre la voie à la gestion en temps réel de villes intelligentes et d’opérations critiques dans les industries, dans un monde où tout deviendrait connectable à grande échelle.
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Mais à chaque technologie son lot de craintes et de questionnements éthiques. Deux mots pour résumer le nécessaire arbitrage qui s’ensuit : coûts-bénéfices. Comme les précédentes générations de réseaux mobiles, la 5G n’y échappe pas. Encore moins à l’heure des réseaux sociaux, où les montages l’associant au logo d’une zone radioactive se propagent presque aussi vite qu’une onde électromagnétique. D’un côté, les détracteurs pure souche, comme le collectif belge stop5G, qui demandent un moratoire en l’absence d’un consensus scientifique sur la nocivité des champs électromagnétiques. De l’autre, les techno- optimistes, convaincus que les apports de la 5G pèseront de toute façon plus lourd dans la balance. Et au milieu, beaucoup d’indécis, qui ne savent pas ce qu’il faut en penser.
L’effet thermique et les normes
Comme la radio et toutes les générations de réseaux de communications mobiles, la 5G se propage via des fréquences électromagnétiques, qui s’expriment en mégahertz (MHz) ou en gigahertz (GHz). Plus la fréquence est haute, plus le débit est élevé mais plus la portée du signal est faible. Pour couvrir une ville de façon optimale, la 5G doit donc utiliser de nombreuses antennes sur des bandes à plus haute fréquence (jusqu’à 40 GHz), tandis que l’usage de fréquences plus basses (de 300 MHz à 6 GHz) est privilégié pour des zones plus vastes mais moins densément peuplées. Cette nuance est importante pour aborder l’effet thermique des radiofréquences, étudié depuis les années 1950 et exploité entre autres pour les fours à micro-ondes. Les fréquences inférieures à 6 GHz pénètrent dans l’organisme : l’effet thermique peut ainsi apparaître en profondeur. Ce problème-là ne se pose pas pour les fréquences plus élevées, dans les villes ou à l’intérieur de bâtiments.
» Les intensités typiques de notre exposition au quotidien, que l’on utilise ou non un gsm, sont toujours de type non thermique, indique le docteur Jacques Vanderstraeten, spécialiste des rayonnements non ionisants à l’Ecole de santé publique de l’ULB. Le fait d’utiliser un gsm contre la tête expose l’intérieur des tissus à une variation de maximum quelques dixièmes de degré. » C’est sur la base de l’effet thermique que les normes d’exposition aux rayonnements électromagnétiques sont calculées. La Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (Icnirp) a ainsi défini le seuil à partir duquel les effets sont jugés néfastes. Celui-ci a ensuite été divisé par 50 pour définir une norme validée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans les zones accessibles au public. Elle a été fixée à 41,2 volts par mètre (v/m).
Contrairement à la plupart des pays européens, la Belgique a établi des normes beaucoup plus restrictives et différentes d’une région à l’autre. En Flandre, la limite cumulative dépend de la fréquence (20,6 v/m pour une fréquence de 900 Mhz et 3 volts par mètre par antenne pour chaque opérateur). En Wallonie, elle est uniquement calculée par antenne et par opérateur, quelle que soit la fréquence (3 v/m également). C’est en Région bruxelloise que la norme est actuellement la plus sévère, avec une limite cumulative de 6 v/m pour une fréquence de 900 MHz. Ce niveau, près de 50 fois plus exigeant que les recommandations de l’Icnirp, empêcherait tout simplement de développer la 5G dans la capitale, selon les opérateurs. Pour cette raison, le gouvernement bruxellois devrait étendre prochainement la norme à 14,5 volts par mètre, soit le minimum recommandé par le régulateur belge.
Des différences entre les régions
Menace sanitaire et environnementale pour les uns, opportunité pour les autres, la cinquième génération de réseaux mobiles divise aussi les différentes Régions du pays. A l’échelle locale, les réactions se sont en effet révélées bien plus virulentes en Wallonie qu’en Flandre. Si le débat sur la 5G n’épargne pas le nord du pays, les néerlandophones tourneraient plus facilement la page, selon Jean-Philippe Ducart, porte-parole de Test-Achats. Par ailleurs, accentués par les réseaux sociaux, les clashs entre générations et l’amplification des seules études alarmistes (dont certaines virent dans le complotisme), le fossé entre pro- et anti-5G s’est creusé.Comme à chaque saut de génération, cette technologie ouvre un débat sanitaire, environnemental et sociétal sur ses potentiels effets pervers. Mais, à force d’être prudents, les gouvernements wallon et bruxellois en ont-ils oublié qu’ils pouvaient avancer ? Le brouillard persistant concernant leurs intentions et leurs conditions, face à celles avancées par les opérateurs, a contribué à accentuer la défiance, parfois obsédante, d’une partie du grand public envers le déploiement d’une 5G encore méconnue, tant au niveau de son fonctionnement que de ses applications potentielles. De toute façon, quel que soit le timing des hypothétiques feux verts wallon et bruxellois, la Belgique est déjà une retardataire en la matière. A cet égard, la fédération Agoria met en garde les autorités sur les conséquences économiques de l’attentisme, indiquant que la présence ou non de la 5G constitue déjà un élément déterminant dans la réflexion de grands groupes internationaux pour prioriser leurs investissements, d’une ville ou d’un pays à l’autre.
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Cancérigène ou pas ?
C’est surtout le caractère potentiellement cancérigène des ondes qui suscite le plus de craintes auprès du grand public. » Compte tenu […] des résultats de recherche recueillis à ce jour, il n’y a pas de preuves scientifiques que les faibles signaux de radiofréquence émis par les stations de base et les réseaux sans fil puissent causer des effets négatifs sur la santé « , indique l’OMS, en s’appuyant sur 25 000 articles scientifiques publiés ces trente dernières années. Mais l’hypothèse ne peut être écartée avec certitude. C’est la raison pour laquelle le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), qui dépend de l’OMS, a classé les champs de radiofréquences électromagnétiques comme potentiellement cancérigènes pour l’être humain. » En 2018, il y a eu coïncidence dans les résultats de deux mégaétudes sur les rongeurs, explique Jacques Vanderstraeten. L’une a été conduite par le National Toxicology Program, aux Etats-Unis, l’autre par l’institut italien Ramazzini. Ce n’est pas extrapolable à l’homme, mais les chercheurs ont observé un effet non thermique, c’est-à-dire l’apparition d’une tumeur sans échauffement significatif des tissus. Or, si cet effet existe pour les rongeurs, il doit vraisemblablement pouvoir exister aussi chez l’homme. «
Si cette hypothèse se confirme un jour, les normes devront alors être revues. Et le questionnement sur les très hautes fréquences, absorbées que par le premier millimètre d’épaisseur de la surface du corps, en deviendra lui aussi d’autant plus pertinent. » A ce jour, il n’est pas exclu que ces fréquences précises puissent avoir un impact, commente le médecin. Des collèges d’experts s’accordent pour dire qu’il manque des études à leur propos. Il ne s’agirait dès lors plus d’étudier la fréquence de certains cancers à l’intérieur de l’organisme, mais plutôt les effets sur l’oeil et la peau. «
Comment dépolluer le débat ?
L’Institut belge des services postaux et des télécommunications (IBPT), le régulateur des bandes de fréquences, indique qu’il » faudra davantage démontrer au public les avantages de la 5G pour notre société « , par exemple en matière de santé, de villes intelligentes, de gestion de l’énergie ou d’agriculture. Il rappelle que la 4G avait, elle aussi, donné lieu à une protestation similaire, avant de généraliser l’usage des smartphones. Pour Pierre Delvenne, la pire erreur serait toutefois de qualifier tous les opposants à la 5G de complotistes ou d’ignorants. » Il faut les écouter : on ne pourra pas surmonter cette épreuve uniquement grâce à une meilleure pédagogie ou à un surcroît d’informations. Deuxième piste : harmoniser les normes d’émission, si possible à l’échelle européenne, plaident l’IBPT et Test-Achats. Avec trois normes pour trois Régions, la Belgique est la pire élève. » Ces divergences alimentent les théories du complot, regrette Jean-Philippe Ducart. Notamment quand certains s’interrogent sur les raisons de normes plus sévères à Bruxelles. D’où la troisième issue, la plus évidente de toutes : décider, enfin, et assumer le moment venu. En gardant à l’esprit que l’incertitude est inhérente à toute innovation.
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Tous hyperconnectés ?
Enfin, l’arrivée de la 5G amène à s’interroger sur les dérives d’une société toujours plus tournée vers les écrans. » De plus en plus de parents ont du mal à gérer l’hyperconnectivité chez leurs enfants, déplore Jacques Vanderstraeten. Une à trois heures par jour sur le smartphone, c’est moins de sommeil, de créativité et de sport. Des études ont déjà établi un lien entre l’hyperconnectivité et la fréquence de troubles de l’attention. On peut penser qu’il faudra un certain temps d’adaptation pour intégrer cette nouvelle donne, qui a pris sa place de force. Il faudra faire avec, mais le débat mérite d’être abordé. »
Les trois promesses de la 5G
Que promet cette nouvelle génération ? D’abord, un débit de données bien plus rapide, jusqu’à vingt fois supérieur à la 4G. Quelques secondes suffiraient à télécharger un film en ultra-haute définition. Une vitesse indispensable pour utiliser les futures technologies de réalité augmentée ou de réalité virtuelle, qui consomment plusieurs gigabits à la minute. Ensuite, une latence d’environ une milliseconde. C’est cent fois plus rapide que le clignement d’un oeil et dix fois plus que la 4G dans des conditions optimales. Il s’agit du temps nécessaire pour que des données transitent de la source jusqu’à la destination à travers un réseau. Cette avancée s’avère cruciale pour des applications où la stabilité et la réactivité constituent une priorité absolue. Face à une situation inattendue, une voiture autonome doit par exemple pouvoir prendre une décision instantanée, ce qui suppose une latence extrêmement faible. Enfin, une densité d’appareils connectés dix fois supérieure : la 5G permettrait ainsi de gérer jusqu’à 2,5 millions d’appareils au km2, contre 250 000 pour la 4G. De quoi assurer l’essor de l’Internet des objets.
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