Agoria Wallonie plaide pour que les Régions fassent leurs les recommandations internationales. © GETTY IMAGES

5G, petit guide de l’inaction politique

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Inscrit dans les accords de gouvernement wallon et bruxellois, le déploiement de la 5G y est toujours au point mort, verrouillé par une absence presque totale d’arbitrage politique sur les normes d’émission. Prétextes et contradictions se substituent aux vrais enjeux.

Si promptes à se poser en pionnières de l’économie digitale (pour un jargon encore plus abstrait, cherchez smart région), les autorités régionales se montrent bien plus évasives dès qu’il s’agit d’oser un nécessaire arbitrage concernant la 5G, la cinquième génération de réseaux mobiles. C’est là que fuseront, subitement, quelques formules toutes faites feignant la sagesse, comme  » nous avançons sereinement sur ce dossier  » ou  » les innovations se feront dans le respect du bien-être de toutes et tous « . Le pouvoir politique doit certes avancer prudemment :  » toutes et tous  » sont en effet loin d’être unanimes sur la place à accorder ou non à la 5G dans les prochaines années. Comme à chaque saut de génération, cette technologie ouvre un débat sanitaire, environnemental et sociétal sur ses potentiels effets pervers. Mais, à force d’être prudents, les gouvernements wallon et bruxellois en ont-ils oublié qu’ils pouvaient avancer ? Ces dernières semaines, le brouillard persistant concernant leurs intentions et leurs conditions, face à celles avancées par les opérateurs, a contribué à accentuer la défiance, parfois obsédante, d’une partie du grand public envers le déploiement d’une 5G encore méconnue, tant au niveau de son fonctionnement que de ses applications potentielles.

À l’exception de la Flandre, les autorités régionales restent pétrifiées à l’idée de cautionner une révision des normes d’émission.

La Wallonie n’avance aucun agenda

Cela fait respectivement huit et dix mois que les majorités wallonne (PS-MR-Ecolo) et bruxelloise (PS-SP.A-Ecolo-Groen-DéFI-Open VLD) ont présenté leur déclaration de politique régionale 2019-2024. Toutes deux y indiquent que  » les nouveaux déploiements techno- logiques en matière de transmission des données (5G et autres) se feront après évaluation sur le plan environnemental, de la santé publique, de l’efficacité économique, de la sécurité des données et de respect de la vie privée « . Une évaluation ? Ce terme fut, de part et d’autre, un premier pare-feu pour éviter de braquer les détracteurs de la 5G, tout en permettant de concilier la position plus critique du partenaire Ecolo. Si l’attribution de licences définitives pour les bandes de fréquence 5G est bloquée en l’absence d’un gouvernement fédéral de plein exercice, les Régions sont, quant à elles, compétentes pour revoir leurs propres normes d’exposition aux rayonnements des antennes émettrices. Une condition jugée indispensable pour déployer non seulement la 5G, mais aussi pour faire face à la croissance attendue du trafic des données mobiles dans les prochaines années.

En Wallonie, l’accord précisait que cette évaluation serait réalisée régulièrement par un groupe d’experts, désignés par le gouvernement. En décembre dernier, le ministre wallon en charge des technologies nouvelles, Willy Borsus (MR), indiquait à L’Echo qu’il serait mis sur pied  » dans les toutes prochaines semaines « , une expression politique équivalant dans les faits à  » on ne sait pas quand « . Depuis lors, plusieurs  » tout prochains mois  » se sont écoulés. Interrogé, le cabinet du ministre précise que la composition du comité d’experts sera proposée au gouvernement en ce mois de mai, une expression politique signifiant  » peut-être en mai, mais peut-être plus tard aussi « .

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Quelle sera la plus-value d’une telle évaluation, alors que des milliers d’études scientifiques ont déjà été réalisées sur les ondes électromagnétiques ?  » Refaire des études n’aurait aucun sens. En revanche, il est important que les Régions fassent leurs les recommandations qui existent au niveau international « , commente Dominique Demonté, directeur général d’Agoria Wallonie, la fédération des entreprises de l’industrie technologique.  » Effectivement, ce groupe risque d’abonder dans le même sens que toutes les études sérieuses déjà menées à ce sujet, confirme le cabinet Borsus. Nous plaidons donc pour que notre Région s’aligne sur les recommandations de l’OMS (NDLR : l’Organisation mondiale de la santé), comme nos voisins européens.  » Même si elle n’avance aucun agenda, il semble donc acté que la Wallonie, jusqu’ici plus restrictive que l’OMS, se dirige bel et bien vers une révision à la hausse de ses normes d’émission.

Bruxelles brille par son absence de cohésion

Mais la constitution d’un groupe d’experts ne suffit pas à insuffler du volontarisme politique. Même retranchées derrière les recommandations, les autorités régionales restent, à l’exception de la Flandre, pétrifiées à l’idée de cautionner cette révision des normes d’émission. Le blocage en Région bruxelloise en est la parfaite illustration. Six ans déjà qu’elle s’est dotée d’un  » comité d’experts sur les radiations non ionisantes « , avec neuf membres spécialisés sur le plan médical, scientifique, économique ou technique.  » Bruxelles- Capitale est donc déjà en ordre pour avoir un état des lieux objectif sur la question des ondes « , indiquent, dans une réponse conjointe, son ministre- président, Rudi Vervoort (PS), le ministre de l’Environnement, Alain Maron (Ecolo) et le ministre de la Transition numérique, Bernard Clerfayt (DéFI).

Ces dernières années, la capitale a pourtant brillé par son absence de cohésion. En octobre 2018, elle trouvait un accord avec les trois opérateurs mobiles pour relever la norme d’émission bruxelloise à 14,5 volts par mètre au lieu de 6 – un nouveau seuil toujours 20 fois inférieur à celui que recommande l’OMS. En mars 2019, à l’approche des élections, la précédente ministre de l’Environnement, Céline Fremault (CDH), refilait néanmoins la patate chaude au futur gouvernement bruxellois, en raison de l’absence de méthodologie pour mesurer efficacement le rayonnement des antennes. Depuis lors, les membres de l’actuelle majorité se sont fendus de propos contradictoires. Fin janvier dernier, Bernard Clerfayt déclarait qu’il voulait  » faire de Bruxelles la première ville belge à tester la 5G « , en préconisant la création de zones de tests. Dans la foulée, Alain Maron précisait que ce n’était pas à l’ordre du jour, tant que la Région ne serait pas  » en capacité de mesurer de manière objective la 5G « . Quelques jours plus tard, Rudi Vervoort se disait, lui aussi, favorable au principe des tests, mais seulement une fois qu’un accord sur les normes aura été trouvé.

Quel que soit le timing des hypothétiques feux verts wallon et bruxellois, la Belgique est déjà une retardataire en la matière. A cet égard, la fédération Agoria met en garde les autorités sur les conséquences économiques de l’attentisme, indiquant que la présence ou non de la 5G constitue déjà un élément déterminant dans la réflexion de grands groupes internationaux pour prioriser leurs investissements, d’une ville ou d’un pays à l’autre.

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