Inondations: quand le Nord tend la main au Sud
Fouetté par la persistance du coronavirus, plombé par de brutales inondations, le fond de l’air est nettement belge par les temps qui courent. Cap sur une solidarité sans frontière linguistique.
Par dizaines de milliers, ils se sont levés, horrifiés, et se sont mis en marche, mus par un seul élan: il faut sauver les voisins wallons en détresse. Des dépôts de dons qui se remplissent à vue d’oeil. Des convois emplis d’innombrables kits de survie qui franchissent la frontière linguistique pour rallier dare-dare le théâtre du drame qui vient de se jouer en terre liégeoise. Des groupes Facebook qui se multiplient pour battre le rappel: « Hulp aangeboden. Overstroming België », « Wateroverlast: hulp geboden/gezocht! », « Inzamelpunt & hulp voor de ramp in delen van België » ou encore « Hulp voor slachtoffers overstromingen Wallonië vanuit Vlaanderen » due notamment à Ignace Cloquet, Gantois d’origine mais habitant à Wasseiges, en province de Liège, depuis vingt ans. Des téléphones qui chauffent, des tirelires qui se cassent pour gonfler les cagnottes de solidarité.
Nombre de Flamands ont découvert à la télé leurs lieux de vacances transformés en zones de guerre.
C’est toute une armée de bonnes volontés qui s’est ébranlée depuis le nord pour faire mouvement vers le sud du pays. Cap sur Trooz, Pepinster, Chaudfontaine, Verviers, Angleur, ces cités martyres qui appellent à l’aide.
Parmi les premiers Flamands et Flamandes à gagner le front des inondations, Joeri De Caluwé, commissaire de police gantois, 28 ans: « Un appel à la mobilisation a été lancé à tous les services de police de la province de Flandre-Orientale. » Deux cents policiers flandriens répondent présent au quart de tour, prêts à consacrer leur temps libre à se rendre utiles. « Au début, nous ne savions pas par où commencer. Mais les gens avaient envie d’aller là-bas, de faire quelque chose », nous explique celui qui prend en charge la coordination des équipes policières. Sur la brèche deux semaines durant pour une mission d’emblée sous le signe du noir-jaune-rouge. « Nous sommes arrivés sur les lieux le 21 juillet. Tout un symbole. »
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À La Flamande
Offrir la force de ses bras en partage ou canaliser au mieux les élans de générosité afin qu’ils ne restent pas sans suite: un duo de consultantes digitales, Lien De Leenheer et Ilse Van Dyck, met son expertise au service de la cause. Surgit sur la Toile #AideHulp147, plateforme bilingue vouée à servir de courroie de transmission entre l’offre et la demande. « On a tous compris que des gens, peu importe d’où ils viennent, se retrouvaient du jour au lendemain, au propre comme au figuré, dans la merde. Flamands ou Wallons, on est des humains« , confie Lien, originaire de Zulte. Ici les pompiers d’Anvers, de Puurs ou de Malines partent volontairement en intervention, là c’est Collectief 86, club de supporters de l’Antwerp, qui parvient à remplir douze camions de biens de première nécessité. Discipline, efficacité, les gens du nord tiennent à faire honneur à leur réputation. « Les Flamands, qui sont perçus plutôt comme des gens d’action, étaient très appréciés sur les lieux dévastés. « Ah, on voit que c’est fait à la flamande », disaient certains sinistrés », témoigne cette bénévole.
Et alors que sonne le tocsin, un contingent trépigne, la pelle ou la brosse au pied, dans l’attente d’un « go! » qui ne vient pas. Ils sont quelque 15 000 à s’être manifestés pour rallier la bannière de la Rode Kruis-Vlaanderen en oubliant un peu vite qu’ils vivent dans un pays nommé Belgique, un pays un peu compliqué, où la Croix-Rouge dans sa version flamande ne peut s’inviter en terre wallonne sans obtenir la permission de son pendant francophone. Grosse frustration, colère et incompréhension au nord alors qu’il y a urgence au sud.
Au diable les préjugés, les clichés, les mesquineries, les bisbrouilles et les mots qui peuvent blesser entre voisins de palier. Cette fois, si les Wallons sont accablés par le sort, c’est pour des raisons indépendantes de leur volonté. Et cela vous change un regard, estime Olivier Luminet, professeur de psychologie des émotions à l’UCLouvain: « La population flamande a ressenti une fragilité manifeste mais non désirée de la Wallonie, une fragilité qui n’est pas attribuable à des facteurs qui lui sont traditionnellement imputés, comme un manque de dynamisme ou de volonté à sortir de ses difficultés. »
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Proximité affective
Ce n’est pas au sud du pays que l’on prétend chroniquement assisté que le nord prête assistance, et c’est aussi la Wallonie labellisée « terre d’accueil » et terre d’élection d’un nombre croissant de Flamands qui y achètent des secondes résidences en Ardenne, profondément meurtrie. « Nombre d’entre eux ont découvert à la télévision ou sur les réseaux sociaux leur lieu de vacances et des endroits où ils ont déjà passé de bons moments, devenus méconnaissables, transformés en zones de guerre. Cette proximité affective renforce l’empathie et l’envie de manifester sa solidarité« , poursuit Olivier Luminet. Joeri, le commissaire de police gantois à l’avant-garde, n’a pas oublié l’époque heureuse du scoutisme et des camps d’été organisés dans la région de Chaudfontaine.
Passé le temps de l’émotion, la logique voudrait que le pays revienne à l’ordre du jour, à ses comptes d’apothicaire et à une solidarité entre Régions qui souffre et s’effiloche au fil des querelles communautaires. Ce serait oublier ce « quelque chose d’assez particulier et d’inédit » qu’ Olivier Luminet, en fin observateur des relations compliquées entre Flamands et Wallons, croit déceler: « L’élan solidaire Nord-Sud ne m’a pas surpris, il s’inscrit dans un contexte lié à la crise sanitaire. Depuis son déclenchement, on voit le pouvoir fédéral reprendre une initiative qu’on ne lui connaissait plus. Jusqu’ici, les tentatives de communautariser la gestion de la crise sanitaire en pointant notamment des taux de vaccination différents entre Régions pour imputer la responsabilité d’un retard dans le déconfinement aux Bruxellois et/ou aux Wallons, ces tentatives n’ont pas pris. In fine, la Belgique pointée du doigt avec ses neuf ministres de la Santé figure même dans le peloton de tête européen en matière de vaccination. » On n’en aurait donc pas fini avec ce pays. Subitement privés de destinations lointaines par le séisme planétaire, ses habitants du sud, du nord ou du centre confondus réapprendraient à se côtoyer, voire à se rapprocher dans l’enclos national.
La Belgique retrouve ainsi des couleurs dans le malheur. Sanitaire ou climatique, l’ampleur des défis qui se moquent désormais des frontières, a fortiori linguistiques, ferait prendre conscience d’une égalité devant des urgences porteuses de pulsions fédératrices. « Tout se passe comme si l’on sortait de logiques égoïstes », relève Olivier Luminet. Sale temps pour les causes qui divisent et cherchent à séparer?
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