Gratuité des transports en commun : « L’effet sur l’environnement sera marginal »
Il y a dix jours, le président du PS Paul Magnette plaidait en faveur de la » gratuité totale » des transports en commun, y compris les trains. Même si depuis il est revenu sur ses propos, son idée a ouvert le débat sur l’effet d’une telle mesure.
Magnette a évoqué « un électrochoc » dans la crise climatique, qui passera par des investissements d’ampleur et la gratuité des transports en commun. « Si on n’arrive pas à investir un demi-milliard dans l’isolation de nos bâtiments, un demi-milliard dans la SNCB, à rendre gratuit progressivement les transports en commun, on n’est pas à la hauteur du défi historique (posé par le réchauffement climatique) », a-t-il déclaré.
S’il avait d’abord plaidé en faveur de la gratuité totale, il est revenu sur ses propos. Dans un premier temps, le socialiste veut rendre le train gratuit pour les jeunes et les personnes âgées. « Si cela peut se faire à Bruxelles, je ne vois pas pourquoi cela ne pourrait pas se faire en Belgique », a-t-il déclaré lundi lors de la conférence d’ouverture du département des sciences politiques de l’Université de Gand.
« La Belgique n’est pas une seule ville »
Isabelle Thomas, chercheuse en géographie économique et des transports, et professeure à l’UCLouvain souligne que la mobilité dans les grandes villes, notamment à Bruxelles, n’est pas comparable du tout à la mobilité à l’échelle d’un pays ou d’une région. « Il y a pas mal de villes de par le monde qui ont rendu les transports en commun gratuits, mais la Belgique n’est pas une ville », rappelle la scientifique. À ce jour, une centaine de villes, dont Dunkerque et Tallinn, ont instauré la gratuité de leurs transports.
« La Belgique présente une réalité géographique multifacette. Il y a des grandes villes, des villes régionales, des petites villes, des espaces suburbains, et zones rurales. « La mobilité » prend des sens différents selon l’endroit où l’on se trouve. À Bruxelles, par exemple, la gratuité permettrait de supprimer les goulots d’engorgement, mais à la campagne, la gratuité ne va rien changer à la mobilité quotidienne. Quand il n’y a qu’un bus par jour, qu’il soit gratuit ou pas ne change rien à sa fréquentation », estime la géographe.
Elle rappelle que, hormis le Luxembourg, aucun pays n’a instauré la gratuité des transports en commun sur tout son territoire. Et il est difficile de connaître les retombées de la mesure au Luxembourg, la gratuité ayant été instaurée le 1er mars 2020, soit quelques jours avant le premier confinement imposé par la pandémie. En outre, le Luxembourg couvre une surface beaucoup plus petite que la Belgique et ne compte que 635 000 habitants.
2,5 à 3 fois plus de temps en transports en commun
La scientifique estime que tant que les autorités n’investiront pas dans la qualité des transports, les gens ne se laisseront pas convaincre d’abandonner leur voiture. Aujourd’hui, si l’on circule en dehors des villes, il faut en effet être prêt à mettre 2,5 à 3 fois le temps qu’on met en voiture. Le risque est donc que seule une très fine frange de la population bénéficie de cette gratuité. « Les Bruxellois seront sans aucun doute tentés par l’usage des transports en commun gratuits au sein de la Région bruxelloise, mais je doute que sans investissements de qualité, sans amélioration du service , la masse de navetteurs qui va vers Bruxelles le matin se laisse convaincre de prendre les transports en commun. »
Aussi craint-elle qu’une telle mesure n’ait qu’un effet marginal sur l’environnement. Pour convaincre les navetteurs de prendre des transports en commun, il conviendrait d’améliorer l’accessibilité des lieux en transports en commun, d’améliorer les infrastructures (une partie d’entre elles ont d’ailleurs été touchées lors des inondations) et d’augmenter la fréquence des transports en commun. La priorité, c’est donc d’améliorer l’offre afin de convaincre l’usager. Elle rappelle aussi qu’aujourd’hui la majorité des bus roulent au diesel.
L’annonce de Magnette a toutefois le mérite d’ouvrir le débat, reconnaît la chercheuse. « La question de la gratuité demande un cadre plus large, car il n’y a pas que l’environnement qui est touché, mais il y a aussi l’aspect social et l’économique ». Elle rappelle ainsi que la gratuité impliquerait par exemple la fermeture de guichets et la suppression d’emplois. C’est un problème pluridisciplinaire. « Tout cela a un coût, et sommes-nous prêts à mettre tout le monde sur des bus qui devraient être électriques à l’heure où le prix de l’électricité explose et n’est pas verte ? », s’interroge Isabelle Thomas. Le problème n’est pas si simple et mérite de s’y pencher dans une approche concertée.
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