Frères musulmans: la fin du fantasme ?
La démission de Ihsane Haouach à cause d’attaques personnelles et de liens présumés avec les Frères musulmans oblige à se pencher une fois de plus sur cette troublante confrérie qui ne déteste rien tant que la transparence.
La démission de Ihsane Haouach de son poste de commissaire du gouvernement à l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes serait due à sa trop grande proximité avec les Frères musulmans. L’Observatoire des fondamentalismes, le blogueur Marcel Sel et Willy Wolsztajn, militant du Parti socialiste, avaient déjà amené des éléments allant dans ce sens lorsque le gouvernement, selon Le Soir, a été briefé par les services de renseignement. En attendant d’en savoir davantage sur le rapport de ces services ou d’un seul de ceux-ci, la Sûreté de l’État, rappelons que le programme des Frères musulmans ne se décline pas en Europe de la même manière que dans les pays majoritairement musulmans.
En Europe, aucune association ou leader appartenant à la mouvance des Frères ne justifie le recours à la violence sauf en Palestine. Pourtant, rares sont celles et ceux qui osent assumer publiquement l’héritage d’Hassan el-Banna, fondateur de la confrérie en 1928, à l’instar de son petit-fils Tariq Ramadan qui y a consacré une thèse de doctorat apologétique. Résultat : un grand flou entoure la mouvance dite des Frères musulmans ou islam politique. Le Vif avait essayé de la cartographier dans un tableau figurant dans un dossier paru le 6 mars 2015.
Lire l’enquête complète : Comment les Frères musulmans ont pris la Belgique en otage
Saisi par diverses associations et personnes, le Conseil de déontologie journalistique avait estimé que ledit tableau synthétique, « bien que s’appuyant sur des sources écrites », n’était pas « aussi nuancé » que celles-ci. Forcément. Dans son arrêt du 2 avril 2019 relatif au même dossier, la cour d’appel de Bruxelles a néanmoins fait prévaloir le principe de la liberté d’expression en déboutant des plaignants de la même obédience. Selon une source sécuritaire consultée récemment, le tableau incriminé est toujours valide.
Les Frères musulmans ne sont pas un « monstre du Loch Ness ». Mais qui sont-ils réellement ? Ici, il faut faire la distinction entre les personnes qui ont fait le serment secret d’allégeance (baya) et les militants ou sympathisants qui appartiennent à des cercles plus ou moins proches ou plus ou moins éloignés de ce groupe implantée en Belgique depuis de nombreuses années. Sans peut-être même savoir de quoi il retourne ?
Pour la Sûreté de l’État, les Frères musulmans – qu’elle écrit sans F majuscule- relèvent de l’extrémisme religieux, comme le salafisme et l’islamisme turc. Dans son rapport 2019, elle décrivait ainsi « les enjeux d’une année électorale » (NDLR : 2018) : « Les frères musulmans ont traditionnellement une vision pragmatique de la participation électorale. Ils considèrent les démocraties occidentales et les libertés qui y sont associées comme des opportunités pour déployer et implémenter leur conception de la société islamique. Tant au niveau européen qu’au niveau belge, les frères musulmans encouragent à la participation électorale afin de préserver durablement les positions acquises dans la société occidentale et d’influencer certains débats sociétaux (port du voile, abattage religieux…). Ainsi, les mois précédant les élections, la question du soutien à certains candidats ou partis favorables à l’agenda des frères musulmans a été abordée à plusieurs reprises. Certaines indications précises de vote ont également été données dans ce cadre. »
Les frères musulmans considèrent les démocraties occidentales et les libertés qui y sont associées comme des opportunités pour déployer et implémenter leur conception de la société islamique
La Sûreté de l’État, en 2019
La porosité du monde politique aux appels du pied des Frères musulmans n’est donc pas une nouveauté. C’est écrit en toutes lettres dans un rapport d’une institution de l’État. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est la levée du tabou suite à l’affaire Ihsane Haouach. Dans un entretien avec La Dernière Heure, Theo Francken (N-VA) a demandé une enquête sur l’infiltration des Frères musulmans dans le monde politique et, en particulier, Ecolo-Groen. Il croit savoir que la Sûreté se penche actuellement sur le Collectif contre l’islamophobie en Belgique (CCIB). C’est le contraire qui serait étonnant après la dissolution de son homologue français, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), à la fin de l’année dernière. Dans son numéro du 26 novembre 2020 (lien Radicalisme: « le CCIB est connu pour ses liens étroits avec les Frères musulmans »), le Vif s’était demandé quel impact aurait cette dissolution sur le CCIB qui est fréquemment en justice en faveur du voile ou pour dénoncer l’islamophobie des médias. Et fait censément partie de la mouvance.
Les réponses que nous avait adressé une source sécuritaire n’en ont que plus d’intérêt aujourd’hui, car elles mettent en relief les problèmes que l’islam politique peut susciter dans la vie en société. Nous les republions. Sur le CCIB d’abord: « Le CCIB est connu pour ses liens étroits avec les Frères musulmans. D’un point de vue structurel, certains administrateurs du CCIB sont actifs dans les organisations belges des FM. Idéologiquement, les discours du CCIB reprennent à leur compte les thématiques rhétoriques des FM ainsi que leurs chevaux de bataille traditionnels, par exemple, la pénalisation de l’islamophobie et la lutte contre l’interdiction du foulard dans les écoles et au travail. Dans ce cadre, le CCIB coopère régulièrement avec des organisations affiliées à la structure belge et européenne de la Confrérie ».
La seconde réponse portait sur les objectifs des Frères musulmans à travers le CCIB: « Nous évaluons que le but réel du CCIB est de faire avancer les objectifs et le discours des Frères musulmans, notamment à travers la polarisation et la propagation d’un sentiment de victimisation au sein de la société belge. Dans leur vision du monde, les valeurs et l’identité islamiques sont fondamentalement incompatibles avec le mode de vie de la société occidentale. Les musulmans sont toujours présentés comme les victimes d’injustices systémiques propres à la société et à la mentalité occidentales. »
A quoi l’association interrogée par le Vif répliquait que « contrairement à la confrérie des Frères musulmans ou des officines islamophobes, le travail du CCIB n’est pas centré sur une religion, l’islam, mais bien sur les victimes de l’islamophobie, à savoir des personnes non musulmanes ou musulmanes, de toutes tendances confondues (sunnites, chiites, soufis ou alevis), qui font l’expérience de la discrimination car perçues comme musulmanes. ». Balayé aussi le reproche de victimisation à outrance, le CCIB disant vouloir « agir au-delà de la simple dénonciation des actes islamophobes » et se donner comme mission de « construire des solutions avec les personnes discriminées pour les faire passer du statut de victime à celui d’acteur et de citoyen. »
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