Economie en 2022: pourquoi l’inflation effraie davantage qu’Omicron (analyse)
Le variant Omicron menace-t-il notre économie et l’emploi en 2022? Ce n’est pas le scénario privilégié à l’heure actuelle, tant que la confiance des ménages et des entreprises reste intacte. L’inflation, en revanche, sera certainement l’ennemie n°1.
Résilience. C’est sans doute l’un des mots clés de l’année dernière, associé à de nombreuses thématiques. L’économie en fait partie. Bien sûr, de nombreux secteurs restent affectés par la crise sanitaire: la culture, l’événementiel, le tourisme, l’Horeca… Bien sûr, l’espoir de tourner la page Covid en 2022 s’est effiloché au gré des variants Delta puis Omicron. Mais l’année 2021 s’est tout de même achevée sur une lumière ténue. Malgré les coups d’arrêt, les fermetures, les contraintes persistantes de la Covid-19 sur l’organisation du travail et les chaînes d’approvisionnement, malgré les Codeco abracadabrants, l’économie belge a globalement pu faire face à la crise, aidée par la prolongation des mesures de soutien.
Les autorités doivent conserver la confiance et l’espoir de la population et des entreprises.Ce qu’il s’est passé ces dernières semaines ne va pas dans ce sens-là.
La reprise fut d’ailleurs plus fructueuse qu’annoncée. Le PIB afficherait finalement une croissance estimée de 6,1% en 2021, après une baisse de 5,7% en 2020. « Deux choses ont contribué à cela, retrace Geert Langenus, économiste au département des études de la Banque nationale de Belgique (BNB). Il y a d’abord la campagne de vaccination, plus rapide que ce que l’on pensait au début, même si elle n’a pas constitué une solution ultime au problème du coronavirus. Et puis, on a sous-estimé la résilience de notre économie. Même avec des restrictions importantes, comme celles que l’on a connues entre l’automne 2020 et le printemps 2021, elle a démontré sa capacité à vivre graduellement avec le virus. » Un constat partagé par Philippe Ledent, senior economist chez ING: « Evidemment, plusieurs secteurs continuent à souffrir. Mais d’un point de vue macroéconomique, les différentes vagues de contaminations n’ont pas empêché l’économie belge d’atteindre des performances de rattrapage plus élevées qu’on le pensait au départ. »
Allemagne, Autriche, Lettonie, Pays-Bas… Ces dernières semaines, certains pays européens ont opté pour des mesures de reconfinement face à la recrudescence des contaminations. En dépit d’un climat d’incertitude accentué par l’émergence du variant Omicron, l’optimisme reste toutefois de mise pour l’économie et l’emploi en Belgique. Même si l’inflation galopante impose la prudence, tout comme la dégradation préoccupante des finances publiques.
1. Une croissance de 2,6%?
Se dirige-t-on vers une année en deux temps? C’est l’hypothèse retenue par la BNB, en décembre dernier, dans ses projections économiques pour la Belgique. Celles-ci tablent sur une croissance du PIB nulle durant le premier trimestre, principalement « en raison de contraintes d’approvisionnement, de la hausse des prix [de l’énergie] et de la dégradation de la situation sanitaire ». Elle pourrait ensuite repartir à la hausse à mesure que ces contraintes s’allègent, pour atteindre une moyenne annuelle de 2,6%. Bien sûr, les conséquences sanitaires du variant Omicron, encore incertaines, pèseront dans la balance. Au stade actuel des connaissances, aucun modèle n’envisage pourtant le scénario d’une récession. « La nature des variants peut avoir une influence sur la trajectoire économique, mais pas sur les niveaux d’activité attendus pour 2023 et 2024″, résume Ludovic Dobbelaere, économiste au Bureau fédéral du Plan. « Pour le moment, tant les marchés financiers que les banques centrales anticipent le fait qu’une vague ne remet pas en cause la trajectoire de reprise, ajoute Philippe Ledent. Elle peut la ralentir ou la postposer, mais elle ne l’annule pas. »
Ces modèles se construisent toutefois sur le postulat que la confiance restera intacte en 2022. « C’est important de le souligner, poursuit-il. Si, pour une raison que j’ignore, les gens et les entreprises venaient à perdre le moral, on serait alors dans un tout autre scénario: on rouvrirait l’économie après la vague, mais rien ne se passerait. Il faut donc absolument que les autorités gardent le souci de conserver la confiance et l’espoir de la population comme des entreprises. Or, ce qu’il s’est passé ces dernières semaines en Belgique ne va pas dans ce sens-là, vu les tensions et incompréhensions liées aux derniers Codeco. Dans les prochaines semaines, les autorités devront sans doute prendre des décisions importantes. Elles ne devront pas se louper, au risque que la situation devienne hors de contrôle et sape durablement la confiance. »
2. 40 000 emplois de plus?
Selon les chiffres les plus récents de l’office belge de statistique (Statbel), la Belgique ne comptait plus que 7 400 travailleurs au chômage temporaire (depuis plus de trois mois) en octobre dernier, contre 106 000 en janvier 2021. Le variant Omicron risque-t-il de sabrer l’emploi? Là encore, ce n’est pas le scénario retenu par les experts, d’autant que la perspective d’un confinement strict paraît peu probable à l’heure actuelle. « Quand les mesures protectrices pour l’emploi prendront fin, le 31 mars prochain, je n’exclus pas qu’un petit nombre de travailleurs ne retrouveront pas leur ancien job, commente Geert Langenus. Mais de manière générale, on s’attend à une augmentation continue de l’emploi, même si elle sera moins importante qu’en 2021. » L’année dernière s’était en effet démarquée par une création nette de près de 30 000 emplois par trimestre. Comme le note la BNB, le ralentissement de la croissance et la pénurie de main-d’oeuvre ne permettront pas d’atteindre un tel nombre en 2022. Elle estime toutefois que « 10 000 emplois seront encore créés en moyenne par trimestre sur la période de projection », qui s’étend jusqu’à 2024.
En 2023, la Belgique affichera encore un déficit public élevé et se trouvera en queue de peloton parmi les pays européens. Il est indispensable de réfléchir à un cadre budgétaire plus durable.
3. Une inflation à 5%
Plus encore que le variant Omicron, c’est surtout l’inflation qui cristallise les inquiétudes sur le plan économique. « Au départ, on pensait qu’elle ne serait ni forte, ni durable, retrace Philippe Ledent. Or, elle s’avère plus forte et beaucoup plus durable que prévu. On sent dès lors les marchés financiers nettement plus frileux par rapport à cette question. Dans le cadre des hypothèses sanitaires actuelles, l’inflation constitue le plus gros problème, puisque, d’une part, elle exprime le fait que l’offre n’arrive pas à suivre la demande et, de l’autre, risque d’affecter la demande. »
Dans ses prévisions actualisées le 4 janvier, le Bureau fédéral du Plan table sur un taux moyen d’inflation de 5% en 2022, contre 2,4% en 2021 (voir le graphique ci-dessous). « En décembre, on a constaté une nouvelle flambée des prix de l’électricité et du gaz, à tel point que le taux moyen d’inflation dépassera 6% durant le premier trimestre 2022, indique Ludovic Dobbelaere. On peut donc s’attendre à de fortes hausses de prix dans les prochains mois, d’autant que les problèmes d’approvisionnement persistent. Le fait qu’un groupe comme Ikea annonce une hausse du prix de ses produits de presque 10% est révélateur. »
Comme le souligne Geert Langenus, l’inflation pourrait affecter la compétitivité des entreprises belges, puisqu’elle entraîne une hausse des salaires plus rapide que dans les pays voisins. « Elle reste certainement un point d’attention mais il convient d’isoler l’impact des prix énergétiques, précise-t-il. C’est la raison pour laquelle on regarde plutôt l’inflation sous-jacente (NDLR: un indicateur excluant les prix très volatiles de l’énergie et des denrées alimentaires). Quand nous avons clôturé nos dernières projections, le prix du gaz s’élevait à 80 euros par mégawattheure. Le jour de leur publication, il était à 145 euros, ce qui constitue un appauvrissement énorme de l’économie belge. Une semaine plus tard, il atteignait 185 euros. Mais ce 3 janvier, il était redescendu à 68 euros. Il est donc extrêmement difficile de faire des projections. Je suis relativement confiant sur le fait que l’on sera à nouveau proche d’un taux d’inflation de 2% dans un an. »
4. Résorber le déficit public
La restauration progressive des finances publiques constituera, elle aussi, un défi crucial à moyen terme. « Même si les autorités ne devaient pas prendre de nouvelles mesures drastiques face au variant Omicron, c’est-à-dire dans le meilleur des scénarios, ne rêvons pas: les précédentes vagues ont énormément dégradé les finances publiques, conclut Philippe Ledent. Et le retour de la croissance ne semble pas améliorer les choses. » C’est la raison pour laquelle la BNB prône l’indispensable rigueur budgétaire. « En 2023, la Belgique affichera encore un déficit public élevé et se trouvera en queue de peloton parmi les pays européens, souligne Geert Langenus. Je ne dis pas qu’il faudra fermer la boutique et tout programme de dépenses, mais il est indispensable de réfléchir à un cadre budgétaire plus durable. » Qui passera inévitablement par une remise à plat des dépenses courantes, à tous les niveaux de pouvoir.
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