Carte blanche
Douze mois d’abstinence pour qu’un homme gay puisse donner son sang: une règle discriminante (carte blanche)
Julien* a voulu donner son sang, récemment. En couple avec un autre homme, il pensait avoir respecté toutes les règles en vigueur pour pouvoir le faire. Mais arrivé sur place, le médecin n’a pas voulu planter l’aiguille dans son bras, car il avait eu des relations sexuelles avec un autre homme (son partenaire uniquement) au cours des 12 derniers mois. Une règle homophobe, selon lui.
Aujourd’hui devait être un jour de fête. Après douze mois de relation avec mon compagnon, j’étais très heureux de pouvoir aller donner mon sang. Douze mois, cela peut paraître anodin. Cela ne l’est certainement pas pour deux personnes dont la stabilité mentale est encore aujourd’hui mise à rude épreuve à coup d’insultes, de menaces, de violences physiques mais surtout d’avoir dû mentir à ses proches et à soi-même afin de cacher qui l’on est vraiment, et ce depuis l’enfance.
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J’étais heureux de savoir que je n’étais enfin plus en marge de la société, que je pouvais, moi aussi, remplir mon rôle de citoyen, que mon sang n’était plus considéré comme impur et que je pouvais réaliser une telle activité, au même titre que ma famille et mes amis.
Cela me tenait tellement à coeur que j’avais pris l’initiative d’organiser une collecte avec tous mes collègues. J’en avais évidemment profité pour bien vérifier les conditions. Il faut attendre 4 mois après avoir eu un.e nouve.au.lle partenaire sexuel.le avant de pouvoir donner son sang. Pour les hommes qui ont des relations avec des hommes, ce délai atteint 12 mois. Bien conscients que le VIH a un taux d’incidence plus élevé pour les homosexuels, mon partenaire et moi avions toujours pris toutes nos précautions et fait les tests nécessaires avant d’avoir des relations non protégées. En résumé, j’entends donc bien que nous fassions tous les deux l’objet de restrictions plus strictes, bien que les 12 mois me paraissent quelque peu excessifs.
Je me mis à remplir le questionnaire préalable au don afin de relire les conditions une dernière fois et ainsi réagir à la fameuse question à laquelle j’attendais impatiemment de répondre depuis 12 mois. Pourtant, celle-ci me parut d’un coup moins clair : « Si vous êtes un homme, avez-vous eu des relations sexuelles avec un homme au cours des 12 derniers mois ? ». Ma réponse était évidemment positive, mais je ne comprenais pas pourquoi la question était posée de cette manière. Soudain l’ombre d’un doute survint. Celui d’avoir mal compris cette fameuse règle des 12 mois, celle-là même qui me paraissait déjà disproportionnée telle que je l’avais comprise. Je commençai à paniquer et à me rendre compte que j’avais peut-être été naïf, que ce jour de fête était en train de virer au cauchemar. J’expliquai alors ma situation au médecin, lui fis part de mon incompréhension et lui demandai des clarifications.
« Vous ne pouvez pas donner votre sang. Vous ne pourrez le faire que si vous vous abstenez pendant douze mois. »
Je sentis mon coeur s’effondrer. Je me sentis discriminé, différent et, surtout, sale. J’essayai tant bien que mal d’expliquer au médecin que mon sang ne comportait aucun risque car nous avions tous les deux toujours fait preuve de la plus grande précaution. Je lui dis qu’une telle règle revenait à interdire le don de sang pour tous les homosexuels. Le médecin était compréhensif, me donna raison mais ne put accepter mon sang car « c’est la loi, » me dit-il.
Je ne pus retenir quelques larmes cachées tant bien que mal par mon masque et m’empressai de quitter la salle. Les larmes furent plus nombreuses devant mon collègue qui me raccompagna en voiture. Lui comme moi étions abasourdis devant une telle discrimination non-justifiée et disproportionnée. Il me demanda pourquoi je n’avais pas menti pour pouvoir malgré tout donner mon sang puisque celui-ci était sans risque. Mais, à vingt-six ans et après des années de souffrance, cela aurait été le mensonge de trop. Et si je devais encore mentir pour réaliser une si belle action, je préfèrerais m’abstenir fièrement que de contourner ou me plier à cette loi homophobe.
J’implore ainsi les autorités de remettre cette loi en question et de l’ajuster comme certains pays l’ont fait avant la Belgique, afin que le don de sang ne soit réellement refusé qu’à cause d’un comportement sexuel « à risque » et non plus à cause de mon orientation sexuelle comme c’est le cas actuellement.
J’espère avoir un jour la possibilité de me rendre à une collecte comme tout le monde et de pouvoir en sortir fier et heureux.
* Nom d’emprunt.
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